Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

L’Europe « antibaroque »

Il serait injuste de limiter le baroque aux domaines où il a maintenu fermement son emprise pendant deux siècles. Il existe une France baroque, déjà sous Louis XIII, dans la peinture (Vouet*) et dans la sculpture (Sarazin*. les Anguier) plus que dans l’architecture, où le besoin du raisonnable se satisfait mieux des règles catégoriques du classicisme ; et cependant les effets de polychromie obtenus par l’emploi de la brique et de la pierre sont baroquisants, si l’on veut. Les rapports avec l’Italie sont constants, et Mazarin attire beaucoup de compatriotes. Le Mansart* de la Visitation et du Val-de-Grâce, à Paris, est certes baroque, tout comme Le Vau* au Collège des Quatre-Nations (Institut). Dans la sculpture, le courant baroque resurgit, puissant, à la fin du xviie s. et pendant la première moitié du xviiie s., avec les Coustou*, les Lemoyne*, les Adam*, les Slodtz*, Pigalle* ; un des plus grands artistes baroques, Puget*, voit ses œuvres admirées à Versailles, et aux meilleures places. En peinture, Jouvenet*, A. Coypel*, les Boullongne*, F. Le Moyne*, les Van Loo* font de la grande ou moins grande peinture baroque, et même Le Brun* dans son génie souple et multiple, dans son imagination dynamique mérite le titre de baroque. Quant à l’art rocaille qui règne en France jusqu’au milieu du xviiie s., il ressortit, nous l’avons déjà dit, au système baroque, et montre que la France, soi-disant cartésienne, n’est pas toujours rebelle à l’effusion et à la fantaisie.

On trouverait sans peine des traces du baroque, et même davantage, dans les monuments et les œuvres de pays qui se sont gardés, comme de la peste, d’une forme d’art venue de la Rome papiste, à savoir la Hollande (v. Pays-Bas) et l’Angleterre (v. Grande-Bretagne), cette citadelle du classicisme palladien. Quant à la Prusse, qui sous Frédéric II le Grand se livre à la francomanie, elle est trop proche du domaine baroque pour ne pas être atteinte ; en vérité, le sculpteur-architecte de Frédéric Ier, Andreas Schlüter (1664-1714), est un des grands artistes baroques du temps, et Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff (1699-1753), ailleurs de tendance palladienne, construit Sans-Souci, pour Frédéric le Grand, dans le meilleur goût rococo. Enfin, à l’est, la Russie* accueille Bartolomeo Francesco Rastrelli* (v. 1700-1771), architecte italien qui sans trop de peine adapte le baroque à l’architecture des tsars (palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg [v. Leningrad], monastère de Smolnyï).

Une grande partie de l’Europe a donc subi la loi du baroque, système d’idées et système esthétique qui ne cédera qu’à l’apparition de l’esprit de contestation expérimentale, donc de recherche de nouvelles valeurs, dans la seconde moitié du xviiie s. Mais il est assez paradoxal à première vue que cette mentalité de rechange, qui se prétend révolutionnaire, suscite, plutôt qu’une mutation dans le système des arts, la reprise d’un classicisme refroidi dans la tyrannie de ses règles, incapable de se revivifier dans l’archéologie des « antiquaires ».

F. S.


La musique baroque

L’application du terme « baroque » au phénomène musical est le résultat d’une osmose mal définie entre l’étude des arts plastiques et celle de la musique. On fait couramment appel de nos jours à l’expression musique baroque, bien qu’on ne s’entende pas, le plus souvent, sur une définition de ce que l’on désigne par là.

Cet état de fait provient d’un manque de coordination entre les travaux des musicologues et ceux des historiens d’art. Deux tentatives de définition du baroque en musique ont néanmoins fait date : elles illustrent deux approches différentes et, si elles semblent mener toutes deux à une sorte d’impasse, elles demeurent essentielles dans la mesure où elles situent le problème sans pour autant le résoudre.

• Le Baroque et la musique (1948), de Suzanne Clercx, tente de retrouver dans la langue musicale des éléments susceptibles d’être mis en parallèle avec les phénomènes plastiques. Cet essai de concordance, parfois heureux au niveau du détail, ne parvient pas à se maintenir sur le plan de la synthèse ; il n’en résulte donc pas de définition précise de la notion.

• Music in the Baroque Era (1947), de Manfred F. Bukofzer, refuse d’emblée la confrontation avec les arts plastiques, et se présente comme une remarquable étude des caractères stylistiques de la musique pendant une période (de 1600 à 1750) considérée comme l’ère baroque par simple analogie avec le domaine des arts plastiques. La décision volontaire d’éviter tout parallélisme ne permet pas, là non plus, de dégager une définition.

• C’est l’établissement de cette définition qu’a entrepris l’auteur du présent article dans son essai Musique du baroque. Cela ne lui a paru possible qu’en s’écartant des deux attitudes précédemment définies, à savoir : d’une part l’accord de détail avec les thèses des historiens d’art sans recherche de synthèse, et d’autre part l’étude du phénomène musical en milieu étanche.


Morphologie du baroque

Il faut revenir au phénomène spirituel d’où est issu le baroque : la Contre-Réforme. Les conséquences de cette révolution spirituelle — indissoluble de la Renaissance et de la Réforme qui l’ont provoquée — créent un contexte socio-culturel qui ne sera réellement remis en question qu’à partir de la Révolution française.

Il est possible, dans un premier temps, de définir ce contexte comme une prise de conscience du « moi ». État, ou mieux, devenir, qui s’oppose à la fois à la période médiévale qui précède et à la période romantique qui suit. En effet, l’individu médiéval demeure étroitement lié au complexe de la masse. L’autorité spirituelle encore incontestée du catholicisme modèle la société et l’art du Moyen Âge. L’artiste n’est ici qu’un artisan, tellement éloigné du concept d’expression personnelle qu’il se perd souvent dans l’anonymat. À l’autre extrême, l’individu romantique se détache d’un complexe de masse. Conscient des droits de l’homme, convaincu d’une inexistence possible du Dieu du christianisme, il s’efforce de se prendre lui-même pour objet de méditation et d’appréhension du monde.