Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

Physionomie d’un art, caractères d’une littérature : l’esthétique baroque

Nous réserverons la qualification de baroque, laissant de côté l’utilisation « dorsienne » du mot, à la période qui recouvre le dernier tiers du xvie s. et les deux premiers du xviie. La Réforme avait engendré une réaction puriste et puritaine dans les pays où elle avait pu s’implanter. La réaction de la Contre-Réforme consista souvent à valoriser les domaines les plus contestés. Partant de l’Italie romaine, on voit se développer une architecture d’un style nouveau qui cultive arrogamment les valeurs dénoncées par le protestantisme. On peut la caractériser par : 1o le goût du monumental et du collectif, qui s’oppose à la sobriété pétrie d’humilité et à l’individualisme protestants ; 2o une volonté d’impressionner en agissant sur les sens, en troublant consciemment les habitudes, en s’adressant à l’affectivité ; 3o une exhibition de puissance matérielle, et particulièrement de richesse, à la gloire des choses temporelles ; 4o l’importance des superpositions décoratives, contre-offensive de la forme et de l’apparence, par opposition au retour aux sources et à la mise à nu des idées tentés précédemment par la Réforme.

Ces productions envahissent les pays catholiques de l’Europe méridionale et centrale : Espagne, Portugal, Flandres, Autriche, Allemagne du Sud. Le rôle des Jésuites est essentiel dans leur propagation en Europe et hors d’Europe (Goa, Mexique, Amérique du Sud). Le cas de la France a posé quelques problèmes : on a nié l’existence d’un baroque français, puis on l’a associé à la résistance contre le classicisme, avant de lui trouver une existence définie. Les pays protestants ont subi à leur tour la contagion, mais en donnant au baroque le style particulier d’une éloquence sévère. Les arts plastiques, valorisés par la nature même de ces constructions, connurent une étonnante floraison baroque, tandis que la musique recevait la même impulsion.

La notion de baroque en littérature résulte de l’application en ce domaine des critères retenus pour qualifier les arts de la construction et de la décoration. Les travaux des critiques littéraires ont montré la possibilité et la fertilité de l’hypothèse baroque. Les dénominateurs communs aux productions de l’âge baroque, établis sur un réseau de correspondances entre la littérature et l’art, permettent de cerner la notion de baroque littéraire.


Le goût du monumental

Il s’exprime par les privilèges accordés à certains genres, à un style et à ses figures. À partir de 1560, la poésie s’oriente vers des sujets grandioses et des œuvres massives. C’est l’âge d’or de l’inspiration cosmique, des poèmes cosmogoniques et des épopées métaphysiques. La même propension à l’ampleur explique la vogue des Hymnes et de la poésie encomiastique, et, dans une certaine mesure, du drame héroïque. Sur le plan de l’expression, le style périodique et le vocabulaire grandiloquent, les entassements de mots, les procédés accumulatifs et itératifs répondent au même état d’esprit. Une faveur particulière est accordée à certaines figures, dont la plus caractéristique est l’hyperbole. On note partout un plaisir à étaler les effets voyants, et à exploiter dans chaque figure de style le maximum de ses effets.


Une volonté d’impressionner

Art de l’apparence, le baroque cultive tous les moyens pour forcer l’attention dans le sens de l’admiration comme de l’horreur. De là l’importance du théâtre, dans lequel toute présence devient représentation, avec pour moteurs la puissance et la gloire. La surprise est un des moyens utilisés à cet effet : mélange des genres, avec les ruptures constantes et les associations inattendues du tragique et du grotesque, du comique et du macabre, de l’élégance et de la grossièreté. L’esthétique de la contradiction interne aboutit à privilégier des figures comme l’antithèse ou l’oxymoron, qui resserrent dans le minimum d’espace verbal le maximum d’effet psychologique. Le paradoxe constitue la variation maniériste la plus extrême sur un lieu communément reçu. Le concetto, cultivé par le marinisme, bloque en une formule adroitement située le dénouement d’un discours qui apparaît comme l’attente de cette révélation.


L’expression des richesses de l’univers

Il y a dans le baroque une appréhension littéraire de l’ordre matériel et sa valorisation sur tous les plans, qui s’opposent à la purification intellectualiste — cartésienne — de la nature, et à l’épuration — malherbienne, précieuse, académicienne — du langage. Le baroque tend à n’opérer dans les mots ni choix ni hiérarchie. L’unité de l’œuvre — unité de convergence — tient à cette confusion égalitaire des catégories. La truculence et l’afféterie, l’érotisme et le mysticisme voisinent dans la création d’un univers mêlé, où toute chose n’a de sens que comme composante non privilégiée dans le bouquet bigarré du monde. De là aussi le goût du fatras, du galimatias, où la confusion des mots, agencés pourtant dans une syntaxe très rigide, veut faire croire au chaos des choses. Les néologismes attestent les possibilités d’un langage ouvert, où l’innovation importe plus que la codification.


Les superpositions décoratives

On a défini le baroque comme un art qui préfère les décors aux structures. En fait, le baroque est fortement structuré (ce qui le différencie du rococo, dans lequel le souci décoratif fait disparaître la construction). Les structures linguistiques — syntaxe — et stylistiques — genres à règles fixes, parallélismes et symétries — sont visibles, souvent voyantes. La rhétorique baroque met en œuvre toutes les possibilités décoratives du langage : accumulations, redondances, hyperboles expriment la volonté de donner à chaque élément son maximum de volume. Métonymies, métaphores, périphrases jouent le même rôle que les volutes et les spirales dans l’organisation des volumes architecturaux. Asyndètes, anacoluthes évoquent à leur manière l’esthétique de la rupture et l’invitation constante à la surprise, qui caractérisent l’architecture.