Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

Une détermination dans le domaine historique

Ce mot, à signification péjorative, était souvent appliqué aux productions postérieures à la Renaissance et antérieures au classicisme français. Pour définir l’art de cette période, les mots en usage avaient été ceux de bizarre, de grotesque (le mot avait été vulgarisé par l’ouvrage de Th. Gautier en 1844) ; on parlait aussi de poètes et d’artistes « indépendants » ; « baroque » prévalut bientôt. Le contenu esthétique de l’idée de baroque ne pouvait se forger qu’à partir de concepts déjà existants : d’où la dépendance du baroque à l’égard de la Renaissance et du classicisme. Le baroque était conçu comme une forme décadente de l’art renaissant dans la formule du Cicerone de Jacob Burckhardt (1855) : « Le baroque parle la même langue que la Renaissance, mais à la manière d’un dialecte sauvage. » La détermination des auteurs baroques se fit donc à l’aide des termes de décadent, d’attardé, d’épigone. Inversement, un autre type de détermination consistait à se référer au classicisme : on parla alors d’annonciateurs, de prophètes, de précurseurs. Ainsi naquit la notion de préclassicisme. Cet effort de situation historique ne s’accompagnait pas d’un essai de détermination positive. Toutefois Burckhardt, et avec lui nombre d’esthéticiens allemands, tendait à accorder à l’art baroque, débarrassé de toute nuance péjorative, une certaine autonomie, et à le définir comme une notion positive entre deux autres manifestations bien définies de l’histoire de l’art.


Les catégories wölffliniennes

Le rôle de Heinrich Wölfflin (1864-1945) fut fondamental dans l’évolution du terme baroque vers un concept d’esthétique générale. Dans les Principes fondamentaux de l’histoire de l’art (1915), Wölfflin procédait par confrontation de contraires définissant chacun un élément de l’esthétique classique ou baroque. L’art linéaire, qui insiste sur le dessin et les formes, s’oppose à l’art pictural, qui procède par glissando et donne la préférence au mouvement sur la forme statique. L’expression de la profondeur résulte d’une superposition géométrique de plans successifs, ou au contraire est l’invitation à explorer un espace continu comme une mélodie. La forme fermée, par laquelle l’œuvre s’érige en sa propre fin, s’oppose à la forme ouverte, qui invite à poursuivre une rêverie dont l’œuvre n’est que le tremplin. Les termes de clarté et d’obscurité déterminent une dernière opposition : dans le baroque, « l’image ne coïncide plus avec la pleine clarté de l’objet. »


La théorie des éons et le baroque permanent

Ces catégories très vastes orientaient les recherches vers des conceptions philosophiques de l’histoire de l’art. Le rôle d’Eugenio d’Ors (1882-1954) a été de fournir les bases d’une explication « structurale » avant la lettre de la notion de baroque. À ses yeux, le baroque est un éon, une permanence liée à un « système » où la dimension temporelle se défait au profit d’oppositions synchroniques entre baroque et classicisme. La structure baroque finit par enfermer toute l’histoire de l’art et tous les domaines, et sert de dénominateur commun à des périodes aussi éloignées que l’alexandrinisme, la Contre-Réforme et le décadentisme fin de siècle. E. d’Ors accentuait l’opposition entre baroque et classicisme, rejetant toute idée évolutive de décadence ou de décomposition. Il voyait dans le baroque l’antithèse exacte et permanente d’un classicisme cyclique et fragile.


Les théories évolutives

Henri Focillon (1881-1943) a soutenu une thèse selon laquelle les arts passeraient successivement par trois âges : une phase dite « archaïque », où s’ébauche la plénitude qui correspondra à l’âge classique, puis une phase d’exubérance, à la fois efflorescence et dégénérescence. Le baroque appartiendrait au dernier de ces trois âges de l’art. La notion de temps joue ici un rôle essentiel, dans une perspective biologique, et la filiation du classique au baroque retrouve une place que lui avaient fait perdre les oppositions et les ruptures radicales établies par Wölfflin et E. d’Ors.

Une conception qui a le mérite d’assurer une synthèse entre l’idée d’évolution et celle de continuité s’est récemment fait jour. Elle consiste en une extrapolation pour l’histoire générale de l’art du processus de filiation entre les grands maîtres de la Renaissance et leurs imitateurs. Ainsi est née la notion de maniérisme. Les disciples de Raphaël ou de Michel-Ange ont repris la technique du maître, mais en lui ajoutant des variations hyperboliques, où chacun exprime une tendance qui lui est personnelle. Ainsi l’artiste ajoute à la matière qui lui est léguée sa manière expressive. Le maniérisme est une imitation créatrice, une recherche de style qui, sous l’apparence d’une reprise de thèmes magistraux, s’efforce d’être un expressionnisme subjectif. On a voulu expliquer le baroque par une imitation maniériste de l’idéal renaissant. Le classicisme à son tour pourrait être (au même titre que la préciosité, le réalisme et le burlesque) une variation maniériste sur l’idéal baroque, dont il reprend en l’enflant hyperboliquement une particularité.


Le baroque existe-t-il ?

La question mérite d’être aujourd’hui posée à nouveau. Benedetto Croce (1866-1952), tout en admettant l’usage du mot baroque pour désigner l’âge qui sépare la Renaissance du siècle des lumières, ne pouvait définir cette période que négativement : séries de singeries et de contorsions où se manifestait l’impuissance d’une époque à se définir par rapport à un idéal. La France a toujours été réticente à la notion de baroque, qui a longtemps été niée. Il a fallu les études de Marcel Raymond, Raymond Lebègue, Victor-L. Tapié, Jean Rousset pour faire admettre ce contrepoids au totalitarisme classique. Récemment, Pierre Charpentrat se demandait si l’hypothèse baroque, après l’étonnante fertilité dont elle a fait preuve pour la réévaluation du passé, ne confinait pas à l’épuisement et ne servait pas désormais à préserver une vision conservatrice et codifiée du xviie s. En somme, n’en arrivons-nous pas à un point où il faut songer, sous peine de voir perdre toute signification créatrice au mot, à un au-delà du baroque ?