Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bally (Charles)

Linguiste suisse (Genève 1865 - id. 1947).



Sa vie

Bally se situe dans l’héritage direct de F. de Saussure*, à qui il succède en 1913 à la chaire de grammaire comparée et linguistique générale de l’université de Genève ; disciple passionné, il publiera avec A. Séchehaye le Cours de linguistique générale (1916) professé par F. de Saussure pendant ses dernières années à Genève.

Ses premières études linguistiques avaient été consacrées à la philologie grecque, avec sa thèse de doctorat De Euripidis tragoediarum partibus lyricis quaestiones (Berlin, 1889). Mais, professeur au lycée Calvin de Genève, il rencontre à trente ans Saussure, qui enseigne alors à l’université. Il entreprend l’étude du sanskrit, et il participe aux séminaires de français moderne, où sa connaissance de l’allemand et du français l’aide à mettre en pratique les idées nouvelles qui seront à la base de son œuvre.


Son œuvre

L’adhésion de Bally aux grands principes saussuriens se manifeste dès 1900 par un article publié dans les Mémoires de la société de linguistique, où il critique les excès de la linguistique comparative historique, et où il établit l’importance des deux niveaux complémentaires diachronique et synchronique.

Mais Bally oriente ses propres recherches vers un domaine original qu’il approfondira tout au long de sa vie, et dont témoignent ses premières publications : Précis de stylistique (1905), Traité de stylistique française (2 vol., 1908-1909), le Langage et la vie (1913). Il fait la synthèse de ses recherches dans son ouvrage le plus important : Linguistique générale et linguistique française (1932). Profondément convaincu de la nécessité de saisir les relations qui unissent la pensée au langage, Bally élabore une science nouvelle fondée sur les théories sociologiques et psychologiques de l’époque (celles de Durkheim et de Bergson), qu’il appelle la stylistique, mais qui diffère sensiblement de ce qu’on entend généralement par ce terme. L’ambition de Bally est de fonder, parallèlement à la linguistique de la langue, qui a surtout préoccupé Saussure, une linguistique de la parole, en indiquant de façon précise les limites de l’une par rapport à l’autre et leurs relations mutuelles. La langue est conçue essentiellement comme un fait social, permettant la communication entre les individus. La parole concerne particulièrement la psychologie individuelle en tant que moyen d’exprimer l’affectivité et la vie émotionnelle. Cette conception a pour conséquence une définition de la « créativité » : la langue ne possède par essence qu’une créativité virtuelle, seule la parole est en mesure de la réaliser, et d’influer à la longue sur la structure de la langue, du triple point de vue phonétique, syntaxique, lexical. La stylistique, ou science de l’expression, doit donc s’attacher à l’étude des faits de parole pris dans leur totalité, la méthode utilisée dépendant de l’aspect qui intéresse le linguiste. En effet, il peut observer une langue « étrangère » ; en ce cas, son analyse sera « objective », ou « externe », et le maximum d’efficacité est obtenu sans aucune connaissance antérieure de la langue étudiée, ni du peuple qui l’utilise, ni de sa civilisation (ces conditions sont proches de celles qui président aux États-Unis aux descriptions des langues amérindiennes). L’autre type d’analyse, celle que pratique Bally, est « subjectif », ou « interne » ; elle exige une connaissance parfaite de la langue étudiée et porte de ce fait sur la langue maternelle du linguiste. Les données expérimentales qui constituent le champ d’observations de la stylistique se situent dans le domaine de la parole spontanée, avec un examen du contexte situationnel et des réactions psychologiques des « sujets parlants et entendants ». Il faut exclure de ces données les formes littéraires de la langue écrite, de même que les caractéristiques qui relèvent de langues particulières (argotiques, professionnelles, scientifiques), utilisées par les sous-groupes socio-culturels d’une même communauté linguistique. Une étude de ces faits marginaux, comparés à la langue usuelle familière, ainsi que des « incorrections grammaticales », permet souvent de déceler certaines des « tendances » de la langue envisagée.

La stylistique de Bally, débarrassée d’impératifs esthétiques ou normatifs, est une tentative pour créer une linguistique de la parole ; ce qui est fondamental, ce n’est plus le système sous-jacent à l’organisation et à la combinaison des éléments du discours, mais le point de vue expressif avec ses nuances subtiles qui donnent aux signes leur valeur fluctuante, toujours menacée et présentant néanmoins, entre elles, un équilibre rarement mis en doute par les locuteurs.

Bally a emprunté à ses contemporains certaines de leurs conceptions, comme la notion de « tendance » chez M. Grammont ou celle de « progrès du langage » chez O. Jespersen et A. Meillet. Alors qu’il est critiqué par certains structuralistes pour avoir introduit la notion d’expressivité, indéfinissable du point de vue d’une linguistique qui se veut scientifique et rigoureuse. Bally est aujourd’hui considéré comme un des pionniers de la grammaire générative. Ses études sur la relation entre le signe linguistique et la pensée l’avaient amené à formuler un principe fondamental, en œuvre dans toutes les langues : la transposition, qui permet de faire passer certaines catégories grammaticales dans d’autres de façon occasionnelle, ou de transformer une proposition en un groupe nominal pour les besoins de l’expressivité. Ce même principe, formalisé et systématisé, occupe une place importante dans les théories transformationnelles.

Par ailleurs, sa théorie de l’énonciation, qui différencie par leurs caractéristiques linguistiques essentielles les sous-groupes socio-culturels et insiste sur l’importance de la situation (monde, milieu) dans les rapports linguistiques qu’entretiennent les locuteurs, n’est pas sans rappeler, sous une forme encore intuitive, les efforts actuels de la socio-linguistique, lorsqu’elle se propose d’établir une typologie du discours.

G. P.

➙ Saussure (F. de) / Structuralisme.