Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Balkans (suite)

Mais les multiples États que les « Barbares » avaient créés en abolissant le réseau des cités en Occident, liés sous la conduite spirituelle de Rome, investirent les Balkans dès le début du iie s. et, par quatre « invasions » véritables cette fois-ci, détruisirent l’Empire d’Orient et se partagèrent les Balkans comme la plupart des autres terres byzantines. Les guerriers montagnards des Balkans acceptèrent de s’enrôler sous les ordres de ces nouveaux maîtres, mais très souvent ils fondèrent entre eux des principautés indépendantes, comme celles de l’Epire et de l’Albanie actuelle, ou celle de Moldavie et de Valachie. Ce pluralisme étatique continuera jusqu’à la venue des Ottomans, qui mettront le pied sur la péninsule pour la première fois en 1342. Cependant, les théoriciens de l’Église byzantine pensaient qu’il était impossible de créer une unité spirituelle avec cette pluralité, ce morcellement du pouvoir. Ils se tournèrent donc du côté de la force qui pouvait rétablir une unité dans les territoires de l’Empire byzantin décomposé, celle des Ottomans, qui, en dehors des quelques dizaines de milliers de Turcs de l’Asie centrale, avaient dans leurs rangs de nombreux convertis à l’islām de toutes origines, même balkanique.

Rome s’efforça de créer au sein de l’Église orientale un parti pro-occidental (unioniste), mais finalement les pro-Ottomans, moines du mont Athos en tête, gagnèrent la partie, disposèrent les populations favorablement envers les Ottomans et leur livrèrent Salonique, le mont Athos et même Constantinople. Ainsi s’instaura dans les Balkans, comme dans toute la Méditerranée orientale, l’Empire ottoman, avec un pouvoir extrêmement centralisé de militaires soumis à une double expression idéologique et spirituelle, celle de la hiérarchie musulmane et celle de la hiérarchie orthodoxe chrétienne associées.


Les Ottomans

L’Empire ottoman s’étendra sur toute la péninsule en soumettant, une par une, les principautés locales et les restes des États latins. Là s’instaure une organisation rationnelle de la terre, gérée par des militaires n’ayant aucun droit de transmission héréditaire ou d’aliénation. Un nouvel équilibre d’interdépendance économique et culturelle apparaît entre la « ville » et la campagne ; la « cité » se transforme progressivement en « ville » en abattant petit à petit ses fortifications.

Une bourgeoisie marchande naît et met sur pied un gigantesque réseau caravanier acheminant des marchandises de l’Asie et d’Afrique vers l’Europe, et inversement. Elle sera considérablement enrichie par ce trafic, le pouvoir ottoman ne lui opposant pas de barrières en dehors des brigands et des pirates plus ou moins légaux, avec lesquels les transactions sont d’usage. Cette bourgeoisie est de langue grecque et de religion orthodoxe, sans que cela veuille dire obligatoirement qu’elle soit grecque du point de vue ethnique. Car l’islām s’est surtout implanté dans les campagnes et dans les très grandes villes, et la culture orthodoxe, possédant une tradition citadine infiniment plus ancienne, est à la base de la culture bourgeoise naissante. En même temps, la grécophonie est un préalable pour accéder à cette culture bourgeoise, comme elle est un préalable pour accéder à la culture officielle de l’Église orthodoxe.

L’Europe ouvre volontiers ses portes à ces marchands et leur permettra non seulement de faire du commerce dans ses ports et dans ses grandes villes, mais aussi de s’y installer en des communautés fort nombreuses (Livourne, Vienne, Odessa, Trieste, etc.). Les divers États européens feront tout pour attirer leur confiance et étendre grâce à eux leur influence sur les Balkans ; d’autre part, en voulant détruire l’Empire ottoman, ils veulent, en fait, les priver de ce marché intégral si étendu qui contrôle les passages les plus importants entre l’Orient et l’Occident.

Dès le xviie s., l’Empire russe dénonce aux yeux des orthodoxes l’alliance orthodoxie-islām et se pose en champion de l’orthodoxie byzantine. En même temps, les États germaniques et latins dénigrent Byzance et veulent orienter les grécophones de l’Empire ottoman vers l’unité gréco-romaine.


L’Europe et les révolutions balkaniques

C’est à travers ces luttes d’influence que se définirent les nations balkaniques et qu’éclatèrent les révolutions qui séparèrent ces « nations » de l’Empire ottoman pour en faire des États indépendants. L’Occident européen, ayant comme cheval de bataille la grécité, démarquée de l’orthodoxie, devança la Russie en créant l’État grec. Comme celui-ci ne réussit pas à s’étendre sur toute la péninsule balkanique, ayant dans son sein un puissant courant orthodoxe pro-russe, la Russie put, à son tour, poser la question slave. Elle lança le panslavisme, mais l’Occident brisa ce courant en soulignant la latinité des Roumains, le touranisme des Bulgares, le particularisme des Croates, et découpa dans l’Empire de nouveaux États autonomes, sans pouvoir empêcher la Russie de garder un pion : le Monténégro, dans la zone d’influence occidentale. Les seuls qui restèrent fidèles à l’Empire ottoman jusqu’au bout furent les Albanais, qui luttèrent d’ailleurs durement pour ne pas se faire dévorer par leurs voisins.

Mais il était très difficile de définir les limites de tous ces nouveaux États, car la langue n’était pas un critère suffisant, attendu que l’interférence linguistique était totale, surtout dans des régions comme la Macédoine, l’Epire et la Thrace. Alors, des propagandes agissantes entreprirent la standardisation des nations balkaniques. Les indécis durent se choisir une nation soit par contrainte, soit par intérêt. Les conflits qui aboutirent aux « guerres balkaniques » (1912-1913) et qui fournirent l’étincelle à la Première Guerre mondiale (Sarajevo, 1914) ne purent résoudre le problème des frontières.

La guerre d’influence sur les États balkaniques prit un nouvel aspect à partir du moment où la Russie, voire l’U. R. S. S., cessa d’insister sur la religion orthodoxe pour s’allier les peuples des Balkans. Le mouvement communiste s’y propagea et y prit des proportions considérables au sein des fronts de libération nationaux, au cours de la Seconde Guerre mondiale. La Roumanie et la Bulgarie passèrent dans la zone d’influence soviétique, l’armée Rouge aidant. La Turquie convertit sa neutralité pro-allemande en neutralité pro-Alliance atlantique.

La Yougoslavie, incluse dans le bloc soviétique jusqu’en 1948, adopta ensuite une position mitigée à l’égard de l’Est et de l’Ouest en se rapprochant progressivement de l’Ouest. L’Albanie, pro-yougoslave au départ, se rapprocha de l’U. R. S. S. au moment où Tito se sépara d’elle, puis rompit avec celle-ci, en 1961, et se tourna vers la Chine maoïste.

Quant à la Grèce, le débarquement anglais, à la Libération, provoqua une guerre civile et démantela le mouvement communiste qui contrôlait, à un moment, plus de la moitié du pays. Après avoir traversé une vie politique orageuse durant vingt ans, la Grèce a vu s’installer une dictature militaire.

E. Z.

➙ Albanie / Barbares / Bulgarie / Grèce / Ottoman (Empire) / Yougoslavie.