Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Baléares (suite)

Minorque, où domine la grande propriété, s’est tournée, sous l’influence de la domination anglaise au cours du xviiie s., vers une spécialisation tout autre : bénéficiant d’une plus grande humidité, elle a développé les prairies artificielles et les cultures fourragères au service d’un élevage bovin destiné à la production de viande et de fromage.

Malgré ces spécialisations, la vie rurale connaît une grave crise. La productivité reste médiocre : l’insuffisance des apports d’engrais explique la faiblesse des rendements ; la mécanisation progresse difficilement dans des champs complantés d’arbres fruitiers ; les grands propriétaires accaparent les terres, alors que beaucoup d’exploitations sont trop petites pour être rentables. Aussi une intense émigration vide-t-elle les campagnes. Ce ne sont pas les industries traditionnelles du cuir, de la chaussure et du textile, relevant bien souvent de l’artisanat, ni la pêche, paradoxalement peu active, ni l’exploitation des salines qui peuvent absorber beaucoup de main-d’œuvre. Le tourisme, en revanche, a complètement bouleversé la situation.

Né vers les années 1930, il a connu un grand essor après 1950. En 1966, les Baléares ont accueilli 1 238 000 visiteurs. Les hôtels, les urbanisations touristiques se sont multipliés tout au long des côtes, offrant de nombreux emplois mieux rétribués que le travail de la terre ; certaines industries s’en sont trouvées stimulées, particulièrement la construction et la bijouterie (perles). Aujourd’hui, les Baléares font vivre 558 000 habitants sur un peu plus de 5 000 km2, et, après avoir été le siège d’une émigration vers l’Amérique, elles sont devenues un foyer d’immigration. Palma de Majorque (182 000 hab.) symbolise par sa rapide expansion cet essor récent ; mais elle rappelle par les riches monuments qui ornent sa vieille ville qu’elle fut une des grandes places commerciales de la fin du Moyen Âge.

R. L.


Les premiers peuplements et les invasions

C’est à l’âge du bronze que remonte l’implantation d’une population stable à Majorque et à Minorque, grâce à la situation des îles sur la route du commerce des métaux. Les Phéniciens leur donnent une certaine autonomie, et l’on voit à cette époque se développer une culture particulière, celle des « talayots », « taulas » et « navetas », monuments mégalithiques.

Au vie s. av. J.-C., les Baléares subissent les influences grecque et punique. Les Carthaginois occupent Ibiza, qui devient pour la première fois le siège d’un peuplement sédentaire et prend le nom de colonie Ebusus. Le reste de l’archipel fournit d’excellents frondeurs mercenaires à l’armée de Carthage. Les Carthaginois fondent plusieurs établissements à Minorque (Portus Magonis, auj. Mahón, et Jama, auj. Ciudadela).

En 123 av. J.-C., les Romains, commandés par le consul Quintus Caecilius Metellus, décident d’occuper les îles pour éviter les attaques des pirates. En 70, les Baléares sont constituées en province sous la dépendance de Rome. Les Romains fondent à Majorque les villes de Palma et de Pollentia (auj. Pollensa). Après avoir subi successivement les invasions des Vandales et des Byzantins, l’archipel est soumis, à partir de 902, aux Arabes, qui entreprennent sa conquête pour des raisons d’ordre stratégique. Ils introduisent des techniques nouvelles dans le domaine agricole, notamment l’emploi du moulin à vent et de la roue à eau.


La Reconquista et le royaume de Majorque

Les Occidentaux, qui souffrent des actes de piraterie des corsaires baléares, organisent une expédition contre les îles en 1115 ; ils réussissent à s’emparer de Majorque et d’Ibiza, mais doivent bientôt fuir à la suite de l’intervention des Almoravides.

Jacques Ier le Conquérant (1213-1276) parvient à reprendre Majorque en 1229 et Ibiza six ans plus tard. Il faut attendre 1287 et le règne d’Alphonse III (1285-1291) pour que Minorque soit reconquise à son tour. Jacques Ier expulse les musulmans ou les réduit en esclavage, développe le commerce avec l’Italie et la France, fait construire la cathédrale de Palma et se pose en protecteur des lettres.

Par son testament, il lègue les Baléares, le Roussillon, la Cerdagne et le comté de Montpellier à son fils cadet, Jacques, qui, en prenant le titre de roi de Majorque (1276-1311), constitue un royaume séparé de la couronne d’Aragon ; le manque de capacité des souverains qui se succèdent fait passer le royaume en 1343 aux mains de Pierre IV d’Aragon (1336-1387), qui bat son cousin Jacques III à Lluchmayor en 1349. Il ne s’ensuit cependant aucun changement sensible du point de vue politique, et les privilèges accordés par Jacques Ier et ses successeurs sont maintenus. La prospérité du commerce, concentré surtout dans les ports de Palma (Majorque), Mahón et Ciudadela (Minorque), ainsi que dans celui d’Ibiza, donne naissance à une aristocratie maritime qui vient se joindre à celle des propriétaires fonciers existant déjà.

Les épidémies de peste qui se produisent alors sont à l’origine de la concentration des terres et, par voie de conséquence, de l’apparition d’une classe pauvre de travailleurs agricoles qui se soulèvent pendant les règnes d’Alphonse V et de Charles Quint.


La décadence

L’union de l’Aragon et de la Castille et la découverte de l’Amérique, qui déplace le commerce vers l’Atlantique, entraînent la décadence des îles de la moitié du xvie à la fin du xviiie s. Leur approvisionnement devenant difficile, elles se consacrent à la culture des céréales, de la vigne et de l’olivier, pour pouvoir satisfaire leurs propres besoins. La dernière épidémie de peste emporte en 1652 plus du cinquième de la population, mais, dès lors, l’accroissement démographique devient normal.

Au début du xviiie s., la guerre de la Succession d’Espagne a des incidences fâcheuses sur la vie des Baléares, qui se prononcent en faveur de l’archiduc Charles d’Autriche contre les Bourbons. En 1708, les Anglais occupent Minorque, qui leur est adjugée par le traité d’Utrecht (1713) en même temps que Gibraltar. Ils la conservent jusqu’en 1756, date à laquelle les Français s’en emparent avec une escadre commandée par le maréchal de Richelieu.