Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Balanchine (George) (suite)

Si Balanchine est l’auteur d’importants ballets narratifs (la Chatte, le Fils prodigue, Palais de cristal, la Somnambule, Bugaku) et de grandes reconstitutions classiques (Casse-Noisette, le Lac des cygnes), il est avant tout le créateur de ballets abstraits dépouillés de tout artifice. « Pour monter des gestes purs, dit-il, je n’ai pas besoin d’escaliers, de colonnades et autres constructions qui, à mon sens, offrent l’inconvénient certain d’accaparer l’attention au détriment de la danse. » L’absence presque totale de décoration est compensée par une remarquable utilisation des éclairages.

Son inspiration naît uniquement de la musique, et, avant tout travail créateur, il apprend la partition comme si lui-même devait tenir le pupitre du chef d’orchestre. Il lui arriva même de jouer la partie de clarinette dans The Pied Piper (musique d’A. Copland), ballet de son assistant Jerome Robbins. C’est visuellement qu’il assimile la partition, et sa lecture détermine le schéma du ballet, qu’il ne peut composer que sur un plateau où il dispose de tous les éléments scéniques et où il procède lui-même à certains essais. Musicien, il n’exige pas cette qualité de ses danseurs, qui, grâce à lui, ont atteint une très haute technicité, mais qui restent en toutes circonstances ses « outils », des instruments dont il joue en maître. Abstraction, dépersonnalisation des interprètes, rigueur géométrique pourraient conduire les ballets de Balanchine à une froideur, un statisme dépourvus de pouvoir émotionnel. Grâce à un choix judicieux des gestes, des lignes, des rythmes, des enchaînements spatiaux, on se trouve face à des œuvres de danse pure, profondément lyriques et belles, où tout est suggéré plutôt que dit.

C’est ainsi que sont nées les œuvres les plus caractéristiques du style et du vocabulaire balanchiniens : Serenade (1934), Concerto Barocco (1941), Danses concertantes (1944), The Four Temperaments (1946), Trumpet Concerto (1950), la Symphonie écossaise (1952), Ivesiana (1954), Agon (1957), Liebeslieder Walzer (1960). Movements for piano and orchestra (1963), Brahms-Schönberg Quartet (1966), Jewels (les Bijoux) [1967], Violin Concerto (1972), Tzigane (1975), Union Jack (1976).

Créateur doué d’une riche imagination, il est, en même temps qu’un novateur, le continuateur de la grande tradition classique. L’ensemble de son œuvre chorégraphique comporte plus de cent trente compositions dont un certain nombre ont été réalisées pour le cinéma (A Midsummer Night’s Dream, 1966) et la télévision. Balanchine a également publié Complete Stories of the Great Ballets (1954 ; trad. fr. Histoire de mes ballets, 1969).

H. H.

Baldung (Hans), surnommé Grien

Peintre et graveur allemand (Gmünd 1484 ou 1485 - Strasbourg 1545).


Originaire d’une famille de Souabe qui était en relation avec les milieux humanistes, Hans Baldung fait son apprentissage à Strasbourg et, dès 1503, entre à l’atelier de Dürer* à Nuremberg. Il exécute alors une série de gravures sur bois où il ne met point son monogramme, et dont plusieurs reçurent après coup celui de Dürer. Il en produit également comme illustrations de livres, pour plusieurs éditeurs.

Comme peintre, au cours de la période 1503-1505, on lui attribue en général le petit tableau du Louvre, Un cavalier avec la Mort et une jeune femme, qui présente sans doute de grandes analogies avec ses dessins et ses bois, mais surprend par son mouvement et son élégance au regard des deux retables attestés de 1507, peints pour la cathédrale de Halle : celui de Saint Sébastien (musée de Nuremberg) et celui de l’Adoration des mages (Berlin). Si le coloris y est précieux, le groupement des personnages est assez maladroit.

En 1509, Baldung s’établit à Strasbourg, où, jusqu’en 1512, son talent s’épanouit dans toutes les directions. Il peint le portrait de son protecteur, le margrave Christophe Ier de Bade, avec sa famille (Karlsruhe) et cette Crucifixion (Berlin) où une coquette Madeleine embrasse le pied de la croix. Surtout, il inaugure la série d’œuvres à la fois érotiques et d’un sens parfois secret qui auront sa prédilection durant toute sa carrière. Une beauté nue se regarde dans un miroir, tandis que la Mort soustrait son écharpe et brandit un sablier au-dessus d’elle (les Trois Âges de la femme, Vienne). Le sujet n’a rien de bien original, mais il le devient par le caractère sensuel du nu, peint manifestement sur modèle vivant. La plus fameuse gravure de cette époque, le camaïeu du Sabbat (1511) obtenu au moyen de trois planches admirablement repérées, annonce une série de sujets qui ont trait aux opérations magiques.

De 1512 à 1517, Baldung séjourne à Fribourg-en-Brisgau, où il est appelé pour peindre le retable du maître-autel de la cathédrale, le plus beau de toute sa production. Ici, plus trace de gaucherie. La grave solennité du sujet central, le couronnement de la Vierge, les blanches draperies des apôtres et les délicieux clairs-obscurs des visages féminins dans les scènes épisodiques des volets, autant de réussites d’un artiste de race. C’est le temps où Baldung, arrivé au plus haut de sa renommée, exécute quelques dessins pour le livre de prières de l’empereur Maximilien, sans que sa collaboration aux entreprises de celui-ci puisse se comparer à celles de Dürer ou de Hans Burgkmair.

Revenu en 1517 à Strasbourg, qu’il ne quittera plus, Baldung y trouve une atmosphère modifiée par les progrès de la Réforme. Partisan de Luther, il dessinera en 1521, pour le bois d’illustration, le visage du réformateur, et donnera des vignettes à un des ouvrages d’Ulrich von Hutten. Mais ses nus n’ont jamais été plus voluptueux, qu’il s’agisse de la Judith de 1525 (Nuremberg) ou des Allégories de 1529 (Munich), dont le galbe affiné s’oppose à celui des Deux Sorcières (1523) de Francfort.

Baldung se livre enfin à d’assez curieuses expériences avec une série de tableaux de l’histoire ou du mythe antique en costumes contemporains, dont la richesse de coloris, confrontée aux noirs, est incomparable (Mucius Scaevola [Dresde], Pyrame et Thisbé [Berlin]). Il est moins heureux dans les musculatures herculéennes d’une lutte à l’antique (Hercule et Antée, Kassel), et il faut bien confesser qu’on ne reconnaît guère, dans son dernier tableau des Sept Âges de la femme (Leipzig), fort maniéré, l’impeccable dessinateur de nus. Cependant, ses gravures, jusqu’à la fin, gardent toute leur fermeté : c’est un bien singulier morceau que le Palefrenier ensorcelé, couché exactement de face, endormi, tandis qu’une sorcière, à droite, agite sur lui une torche. Quelques années auparavant, Baldung Grien montrait, au sein d’une forêt, des chevaux sauvages en train de ruer, de se mordre, de s’accoupler. Ainsi y a-t-il souvent chez lui, dans le choix des sujets, un peu plus que des singularités d’artiste, et certains de ses biographes admettent qu’il pouvait être initié à l’« art des ténèbres ».

P. D. C.

 H. Curjel, Hans Baldung Grien (Munich, 1923). / O. Fischer, Hans Baldung Grien (Munich, 1939). / C. Koch, Die Zeichnungen Hans Baldung Griens (Berlin, 1941). / M. C. Oldenburg, Die Buchholzschnitte des Hans Baldung Grien (Baden-Baden et Strasbourg, 1962). / K. Œttinger et K. A. Knappe, Hans Baldung Grien und Albrecht Dürer in Nürnberg (Nuremberg, 1963).