Bachelard (Gaston) (suite)
L’un des plus dangereux obstacles épistémologiques est le langage, dont les mots donnent souvent des images au lieu de concepts, qui séduit là où il faudrait déduire. Une « psychanalyse de la connaissance objective » devra donc déceler dans le langage scientifique les marques équivoques d’un inconscient qui donne pour science ce qui n’est que poésie. Elle permettra ainsi, tout en faisant de l’imagination la racine commune de la science et de la poésie, d’assigner à chacune des axes de développement divergents : si, par l’imagination, le poète se projette dans le monde et vit avec ce dont il parle, à cette connaissance affective qui se nourrit d’analogies et de métaphores la science oppose un idéal d’objectivité, de non-compromission du savant avec l’objet sur lequel il porte son attention.
Cette « psychanalyse » va conduire Bachelard à dresser le grand catalogue thématique de l’imaginaire poétique qui fait de lui une des sources de la critique actuelle. En effet, la part faite à l’imagination par cette philosophie est, en tous sens, primordiale ; valorisant l’irréel par rapport au réel, renversant le rapport traditionnel de l’un à l’autre, Bachelard demande de « placer l’image en avant même de la perception » ; on rêve avant de voir, on imagine avant de percevoir, et la chimie, rappelle-t-il, se dégage lentement de l’alchimie.
La philosophie se situe ainsi entre la science et la poésie, mais non pas comme un mélange décevant qui donnerait l’une quand on voudrait l’autre, bien plutôt comme la ligne de démarcation dont la rigueur et la netteté permettent à chacune d’elles d’avoir toute la liberté et toute l’efficacité dont elle est capable.
D. H.
Hommage à Gaston Bachelard (P. U. F., 1957). / P. Quillet, Gaston Bachelard (Seghers, 1964). / G. Canguilhem, « Gaston Bachelard » dans Études d’histoire et de philosophie des sciences (Vrin, 1968). / H. Tuzet, « les Voies ouvertes par Gaston Bachelard à la critique littéraire » in G. Poulet, les Chemins actuels de la critique (Union gén. d’éd., 1968). / D. Lecourt, l’Épistémologie historique de Gaston Bachelard (Vrin, 1969). / V. Therrien, la Révolution de Gaston Bachelard en critique littéraire (Klincksieck, 1970). / C. Margolin, Bachelard (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1974). / M. Vadée, Gaston Bachelard ou le Nouvel Idéalisme épistémologique (Éd. sociales, 1975).