Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bach (suite)

La « résurrection » de J.-S. Bach

Il est bien certain que la première moitié du xxe s. a vécu sous l’égide de Bach. « Retour à Bach », a-t-on dit. Mieux aurait valu dire : « découverte de Bach ». En effet, si les musicologues, depuis une cinquantaine d’années, avaient commencé à écrire certaines études sur le Cantor, c’est par le concert que, dès le début du xxe s., se fit une large diffusion de son œuvre, partant, de sa pensée.

Fondée par Gustave Bret en 1904, la société Bach se donnait pour tâche de révéler au temple de l’Étoile les Passions ainsi que certaines cantates, la Messe en « si » et le Magnificat. Une société Bach analogue se fondait en Allemagne et en Angleterre. A. Cortot, comme chef d’orchestre, faisait, dans ses auditions, une large place aux Concertos brandebourgeois. Alexandre Guilmant et Charles Marie Widor, dans les récitals d’orgue qui attiraient la foule au palais du Trocadéro, lui révélaient les grands préludes et fugues, et certains chorals.

Après la Première Guerre mondiale, Marcel Dupré exécutait de mémoire toute l’œuvre d’orgue de Bach au Conservatoire, et il en faisait, comme Guilmant et Eugène Gigout, la base de son enseignement à la classe d’orgue.

Au clavecin, Wanda Landowska inscrivait à ses programmes aussi bien le Clavecin bien tempéré, le Concerto italien ou les partite. La découverte de toute cette œuvre ne fit que s’accélérer entre les deux guerres.

Les malheurs qu’attira sur la France l’invasion allemande au moment de la Seconde Guerre mondiale, et qui frustrèrent le public de tout divertissement, provoquèrent ce contrecoup auquel personne ne s’attendait : la montée en flèche de l’œuvre de Bach et de la personnalité du Cantor, considéré comme un maître de haute spiritualité, un architecte souverain. Dès lors, et par le truchement des Jeunesses musicales de France, Bach remplit peu à peu les salles, que ce soit le Bach de l’orgue, le Bach du clavecin, le Bach des cantates ou le Bach de la musique de chambre. La Radiodiffusion-Télévision française prend le relais, et plusieurs émissions sont consacrées exclusivement soit à l’effort vocal, soit à l’effort instrumental du Cantor. À l’écoute des multiples cantates de Bach, l’auditeur prend conscience de l’extraordinaire puissance et de la diversité du compositeur.

Le deux centième anniversaire de la mort de Bach en 1950 affirme sa position, en France et dans le monde. On peut dire qu’à partir de cette date toute l’œuvre sera jouée et qu’il ne reste plus une ombre, plus un terrain ignoré dans cette immense production. Ajoutons que la résurrection du clavecin, en Europe et en Amérique, contribue également à la découverte objective des œuvres que Bach lui a consacrées. Les orgues classiques ou baroques, reconstituées d’après les principes de la facture d’orgues du xviiie s., ne peuvent que promouvoir une meilleure écoute des préludes et fugues, des sonates et des chorals.

Enfin, l’extraordinaire révolution du microsillon va mettre à la disposition de tous une œuvre qui doit former l’essentiel des discothèques à venir.

Depuis vingt-cinq ans, dans tous les pays du monde, se sont constitués des orchestres de chambre, des chorales ou des sociétés qui s’honorent du patronage de Jean-Sébastien Bach.


Bach et la musicologie

On a coutume de dire que Jean-Sébastien Bach est resté ignoré du grand public pendant cent ans après sa mort. C’est oublier les efforts des personnalités qui, dès le dernier tiers du xviiie s., tant comme historiens que comme musiciens, se sont intéressées au cas Bach. Sans reparler de l’intérêt que Carl Philipp Emanuel Bach portait aux manuscrits de son père, qu’il a signalés et transmis au diplomate G. Van Swieten, c’est un musicologue et compositeur allemand, Johann Nikolaus Forkel, qui regroupe en un petit volume, paru en 1802, tout ce qu’il a pu glaner concernant la vie de Bach et son art. Quelques préludes et fugues du Clavecin bien tempéré sont publiés en même temps en Angleterre et dans les pays germaniques. Muzio Clementi en annexe à ses méthodes de piano, et, sans même citer Bach, Giambattista Martini, dans sa méthode d’orgue dédiée à l’impératrice Joséphine, transcrit le choral De profundis. On aimerait savoir quelles sont les éditions que Beethoven a connues de Bach. C’est à l’amitié de Schumann et de Mendelssohn que l’on doit la fondation de la « Bachgesellschaft » à Leipzig — ainsi qu’on l’a dit —, qui assurera le grand départ de la diffusion même de l’œuvre de Bach. Et si une société Bach est fondée à Leipzig en 1874, c’est l’un de ses fondateurs, Philipp Spitta, qui publie de 1873 à 1880 la première biographie critique du cantor de Leipzig, ouvrage documenté qui servira de source première à tous ceux qui écriront sur Bach. Parmi les Allemands qui ont travaillé sur la vie ou l’œuvre, citons les travaux de H. Kretzschmar, H. Riemann, W. Dahms, H. Besseler, H. J. Moser, J. M. Müller-Blattau, W. Gurlitt. Parmi les Français, les livres d’Ernest David, d’A. Schweitzer, A. Pirro, T. Gérold, R. Pitrou. Parmi les Anglais, les études nombreuses de C. S. Terry, C. H. H. Parry, H. Grace.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les biographies de Jean-Sébastien Bach se sont multipliées, de même que les travaux d’érudition sur telle partie ou tel aspect de son œuvre (cantate, musique d’orgue). C’est à cette époque que les Allemands ont décidé de procéder à une nouvelle édition complète de l’œuvre de Bach (Neue Bach-Ausgabe). Cette immense tâche, qui a été confiée à l’éditeur Bärenreiter, a été prise à charge par les séminaires de musicologie de Leipzig et de Göttingen, sous la direction des érudits Werner Neumann, Alfred Dürr et Friedrich Smend. La présentation de cette nouvelle entreprise Bach comporte, pour chaque œuvre, l’édition scientifique du texte et un volume de Bericht, c’est-à-dire de commentaires documentés concernant l’œuvre envisagée. Ajoutons enfin que le musicologue W. Schmieder a établi un catalogue thématique et scientifique de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach sous le titre Thematisch-systematisches Verzeichnis der musikalischen Werke von Johann Sebastian Bach (Leipzig, 1950).