Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Y

Yuan Che-k’ai

En pinyin Yuan Shikai, homme politique chinois (Xiangcheng [Siang-tch’eng], prov. du Henan [Ho-nan], 1859 - Pékin 1916).


Issu d’une famille de lettrés-fonctionnaires de l’Empire mandchou, Yuan Shikai naît au Henan en 1859. Après avoir effectué des études classiques, il se tourne vers le métier des armes et participe, après la défaite chinoise contre le Japon en 1895, à la diffusion des idées réformistes avant de tourner casaque. Au moment du mouvement des « cent jours » (juin-sept. 1898), il prend parti contre le jeune empereur réformateur Guangxu (Kouang-siu) et pour l’impératrice douairière Ci Xi (Ts’eu-hi) et le clan des conservateurs. Chargé depuis peu de diriger l’armée nouvelle, il devait, en effet, entrer à Pékin et garder à vue Ci Xi. Mais il trahit le plan.

En 1900, il est chargé de réprimer le mouvement des « Boxeurs », qui s’oppose à l’expansion impérialiste consécutive à la guerre sino-japonaise et menace la dynastie. Il exécute sa mission avec une efficacité féroce. En 1901, il est nommé gouverneur général du Zhili (Tcheli), la grande province de la Chine du Nord. Là, il crée, grâce à l’appui et aux subsides du gouvernement central, l’armée du Nord, ou Beiyang (Pei-yang), qui, en 1905, compte six divisions dotées d’équipement moderne, d’instructeurs japonais et occidentaux et d’officiers formés à l’étranger. Les cadres de son armée lui sont personnellement très dévoués. Ils formeront l’essentiel de la clique Beiyang dans les premières années de la République. Yuan Shikai met en pratique les réformes que le gouvernement impérial finit par adopter non seulement pour l’armée, mais aussi pour l’éducation, l’administration et les institutions. Après la mort de la vieille impératrice Ci Xi en 1908, il connaît un moment de disgrâce, car le prince régent, Chun (Tch’ouen), le soupçonne d’être responsable de la mort de Guangxu, le jeune souverain. Il reste néanmoins dans son fief et garde la haute main sur son armée.

Deux jours après le début de la rébellion républicaine du 10 octobre 1911, le prince Chun ordonne aux unités de l’armée Beiyang de faire route vers le sud pour mater le soulèvement. Mais il lui faut négocier avec Yuan, et celui-ci impose ses conditions : pour se rallier les révolutionnaires, il demande leur amnistie, l’autorisation des partis, la formation d’un parlement et celle d’un cabinet responsable. Enfin, il obtient le contrôle de toutes les armées impériales. Au début de novembre, il est nommé Premier ministre. En fait, il refuse de soutenir l’Empire, que les puissances ne soutiennent même plus, et préfère se placer en médiateur entre les deux parties.

À Nankin, les républicains forment un gouvernement provisoire et, le 29 décembre 1911, portent à la présidence de la République Sun* Yat-sen, qui se déclare prêt, le jour même de son investiture, à céder la place à Yuan Shikai si celui-ci se rallie à la cause républicaine pour éviter l’éclatement du nouvel État. Yuan obtient l’abdication du dernier empereur mandchou (14 févr. 1912) et les pleins pouvoirs pour organiser un gouvernement républicain provisoire.

Sun Yat-sen offre alors sa démission, et Yuan est finalement autorisé à prendre la présidence de la République sans quitter Pékin. Le Parlement provisoire le rejoindra dans la nouvelle capitale républicaine. Yuan inaugure ses fonctions le 12 mars 1912.

Il doit essentiellement ses succès rapides à son art de l’intrigue et surtout à son armée.

Pendant la première année de la République, la Chine va découvrir le parlementarisme. Mais l’utilisation par le nouveau président de la provocation policière, de l’intervention militaire et de l’assassinat politique va rapidement mettre un terme à cette nouvelle ère. Après la démission forcée du Premier ministre Tang Shaoyi (T’ang Chao-yi), pourtant choisi par Yuan lui-même, et l’assassinat en mars 1913 de Song Jiaoren (Song Kiao-jen), le leader du Guomindang (Kouo-min-tang) à l’Assemblée, Yuan s’engage délibérément sur la voie de la dictature. Il possède un atout majeur : le soutien des puissances étrangères, qui lui permettent de consolider son régime. Cette « aide » ne va pas sans compromis en matière d’indépendance nationale et de politique étrangère. Yuan tente par ailleurs de désagréger l’opposition parlementaire en soudoyant les députés. Cependant, certaines provinces refusent de se soumettre au nouveau pouvoir. La « seconde révolution » dure l’espace d’un été avant d’être écrasée, faute d’avoir été soutenue par les dirigeants du Guomindang et la bourgeoisie marchande des villes côtières. Yuan Shikai resserre son contrôle sur les provinces qui lui échappaient encore et, le 6 octobre 1913, fait confirmer son élection à la présidence et rassemble bientôt entre ses mains la plupart des pouvoirs. Le Guomindang est déclaré illégal, et le Parlement ajourné indéfiniment. Enfin, Yuan devient président à vie et s’arroge le droit de nommer son successeur.

Yuan, qui a alors cinquante-quatre ans, a atteint le faîte de sa puissance. Son aspect massif, encore renforcé par une épaisse moustache, tranche avec sa vivacité d’expression. Son énergie et son intelligence n’ont d’égal que sa fourberie et son mépris pour les hommes. Son ambition dévorante l’incitera à sous-estimer l’impact idéologique de la révolution de 1911 : il tente, à partir de la fin de 1914, d’instaurer une nouvelle dynastie impériale. Mais son projet suscite une opposition qui touche bientôt plusieurs provinces. Une fois de plus, l’unité chinoise est menacée. Le contrôle même de l’armée Beiyang échappe à son ancien chef, qui doit faire des concessions et finit par abolir l’empire.

Outre l’opposition intérieure, Yuan connaît des difficultés diplomatiques. Le Japon, entré en guerre symboliquement aux côtés des Alliés, s’empare des possessions allemandes en Chine et, en 1915, formule auprès de Pékin « vingt et une demandes » visant à faire de la Chine une colonie nippone. Yuan accepte en mai 1915 les exigences des Japonais. Cela n’empêche pas le gouvernement de Tōkyō de lui retirer son soutien au moment de la restauration monarchique. Isolé sur le plan diplomatique comme sur le plan politique, Yuan propose aux républicains d’entrer au gouvernement. Mais certains continuent de demander son départ.

Sa mort soudaine, le 6 juin 1916, dénoue la situation. Pendant un court moment, la Chine va connaître un retour très provisoire à la légalité républicaine et à l’unité nationale.