Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Yougoslavie (suite)

Sans doute dès la fin de 1896, les habitants de Belgrade avaient-ils pu applaudir au café « la Croix d’or » les premiers films de Lumière, sans doute la société française Pathé avait-elle envoyé plusieurs correspondants tourner quelques petites bandes documentaires et utilisé également les services de certains amateurs locaux. Néanmoins, les noms des pionniers sont assez peu nombreux. On a gardé en mémoire le nom d’un opérateur serbe, Stanislav Novorita, qui était parti en 1900 « chasser » l’image en Chine, et surtout celui d’un photographe de Bitola (Monastir) nommé Milton Monaki, qui, vers 1905, s’était acquis une flatteuse réputation dans son propre pays. En 1910, un groupe d’acteurs (parmi lesquels Čiča-Ilija Stanojević [1859-1930]) qui appartenaient à des compagnies théâtrales de Belgrade réalise, en collaboration avec Pathé, Karadjordje, un long métrage consacré à la mémoire de la première insurrection contre les Turcs. En 1912, Josip Halla et Slavko Jovanović rapportent des prises de vues de la guerre des Balkans. Après la Première Guerre mondiale, on note diverses tentatives pour établir un embryon de production organisée. La Société Croatia-film entreprend en 1919 un autre long métrage (Matija Gubec), mais tombe en faillite rapidement. Elle est remplacée par la Jugoslavija D. D. L’équipement des salles (elles sont seulement dix-sept en 1925) reste longtemps rudimentaire. Toutes les productions des années 20 et 30 sont le fait d’isolés, amateurs enthousiastes ou groupements de cinéastes sans grands moyens financiers. Les longs métrages sont rares (le Château solitaire [Dvorovi u samoći] de Tito Strozzi en 1925, le Roi du charleston [Kralj Čarlstona] en 1926 et la Pécheresse sans péchés [Grešnicu bez greha] en 1927 de Kosta Novaković, les Pentes du Triglav [Triglavske strmine] en 1930 de Metod Badjura, Avec la foi en Dieu [S verom u boga] en 1934 de Mihailo Popović). Pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1943, Oktavijan Miletić rend hommage au compositeur croate Lisinski dans un film du même nom. En juillet 1945, l’industrie cinématographique est nationalisée. Un an plus tard paraît sur les écrans le premier film (Slavica de Vjekoslav Afrić) de la nouvelle république socialiste yougoslave. La production s’organise progressivement : fondation de diverses sociétés de production (Avala [à Belgrade], Jadran [à Zagreb], Triglav [à Ljubljana] dès 1946, puis Bosna [à Sarajevo] et Vardar [à Skopje] en 1947, Lovćen [à Budva] en 1950 et enfin Ufus et le Studio artistique [à Belgrade] en 1953), création d’un complexe cinématographique dans le parc Košutnjak près de la capitale, essais de coproductions (avec la R. F. A. notamment : le Dernier Pont [1953] d’Helmut Käutner). D’abord dirigé par un Comité central, le cinéma fut, au début des années 50, décentralisé pour la distribution comme pour la production, et chaque organisme de production, restant contrôlé au niveau national par une Association des producteurs, acquit une totale autonomie économique et artistique. Le nombre des films augmenta avec régularité (trois en 1947, six en 1951, onze en 1955) pour se stabiliser autour de la trentaine au cours des années 60. Les cinéastes bâtirent longtemps leurs scénarios autour des nombreux récits inspirés directement par la guerre contre les Allemands : les hauts faits des partisans, les diverses étapes de la résistance antinazie furent évoqués pendant de très nombreuses années (de Slavica à Soixante-Sept Jours [Užička republika] de Žika Mitrović, qui remportera le grand prix du Festival national de Pula en 1974).

Rares même furent de 1946 à 1960 les films qui échappèrent à ce thème obsessionnel et abordèrent d’autres sujets (l’adaptation en 1949 du roman de Borisav Stanković Sofka par Radoš Novaković fut la première exception). Les films traitant de sujets contemporains sans arrière-plan militaire ou historique n’apparurent que vers 1957, et encore furent-ils plutôt timides et maladroits.

L’un des faits les plus importants de la cinématographie yougoslave au cours des années 50 est sans conteste la fondation à Zagreb en 1956 d’un studio de dessins animés qui allait peu à peu, grâce à l’impulsion de ses deux chefs de file, Dušan Vukotić et Vatroslav Mimica, devenir célèbre et révolutionner le monde de l’animation postdisneyenne.

Une première vague de réalisateurs s’impose : France Štiglic (Sur notre terre [Na svojoj zemlji, 1948], la Vallée de la paix [Dolina mira, 1956], le Neuvième Cercle [Deveti Krug, 1960], Ballade d’une trompette et d’un nuage [Balada o trubi i oblaku, 1961], Ne pleure pas Pierrot [Ne plači Petre, 1964]), Vladimir Pogačić (Grands et petits [Veliki i mali, 1956], Samedi soir [Subotom uveče, 1957]), Veljko Bulajić (le Train sans horaire [Vlak bez voznog reda, 1959], les Diables rouges face aux S. S. [Kozara, 1962], Un regard dans la prunelle du soleil [Pogled u zjenicu sunca, 1966], la Bataille de la Neretva [Bitka na Neretvi, 1970]), Branko Bauer (Nous sommes des hommes [Samo ljudi, 1957], Face à face [Licem u lice, 1963]), Žika Mitrović (Miss Stone [1958], l’Attentat de Sarajevo [Solunski atentatori, 1961], la Marche sur la Drina [Marš na Drinu, 1964]), Radoš Novaković (Le vent s’est arrêté à l’aube [Vetar je stao, 1959]). Avec les premières réalisations du Slovène Boštjan Hladnik (la Danse sous la pluie [Ples na kiši, 1961], le Château de sable [Peščani grad, 1962]) et d’Aleksandar Petrović (Deux [Dvoje, 1961], les Jours [Dani, 1963], Trois [Tri, 1965]), une évolution thématique importante apparaît clairement dans la cinématographie yougoslave. En même temps que l’approfondissement des analyses psychologiques apparaît un goût prononcé pour le naturalisme « cru » et le réalisme politique (parfois désenchanté), voire un penchant pour le surréalisme. Le cinéma yougoslave des années 60, sans abandonner pour autant l’évocation des faits de guerre, s’engage vers des chemins plus divers et permet à de jeunes talents de s’exprimer. Ainsi Dušan Makavejev (L’homme n’est pas un oiseau [Čovek nije trica, 1965], Une affaire de cœur [Skupljači perja, 1967], Innocence sans protection [Nevinost bez zaštite, 1968]), dont l’humour caustique apparaîtra davantage encore dans ses mises en scène ultérieures réalisées à l’étranger (W. R. les mystères de l’organisme [1971] et Sweet Movie [1974]), Živojin Pavlović (le Réveil des rats [Budjenje pacova, 1967], Quand je serai mort et livide [Kad budem mrtav i beo, 1968], les Épis rouges [Crveno Klasje, 1971], le Vol de l’oiseau mort [Let mrtve ptice, 1974]) ou Puriša Djordjević (le Rêve [San, 1966], le Matin [Jutro, 1967], Midi [Podne, 1968], les Cyclistes [Biciklisti, 1970], Pavle Pavlović [1975]).