Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Yougoslavie (suite)

Le réalisme est représenté en poésie par Anton Aškerc (1856-1912), ancien prêtre devenu champion de l’anticléricalisme. En prose, Ivan Tavčar (1851-1923), qui fut maire de Ljubljana, écrivit de nombreuses nouvelles et quatre romans, le plus célèbre étant la Chronique de Visoko (1919), où il évoque avec sympathie les paysans. Quant à Janko Kersnik (1852-1897), il garde dans la peinture de la société de son époque le goût romantique des intrigues amoureuses compliquées.

Au xxe s., on observe une diversification plus grande des tendances, avec en toile de fond la lutte entre Anciens et Modernes. À la fin du xixe s., en poésie, on relève les noms de Dragotin Kette (1876-1899), auteur de sonnets panthéistes, de Josip Murn (1879-1901), dit Aleksandrov, hanté par le pressentiment de sa mort prochaine. Plus durable et plus profonde a été l’influence d’Oton Župančič (1878-1949), intellectuel raffiné qui n’en a pas pour autant perdu sa sympathie pour le monde des humbles et des campagnes. La prose connaît de grands talents, au premier rang desquels se place Ivan Cankar (1876-1918), dont le style lyrique anime les essais et les nouvelles où il décrit la montée d’un prolétariat d’origine paysanne. Franc Saleški Finžgar (1871-1962), ecclésiastique généreux cherchant aux problèmes sociaux des solutions dans la religion, écrivit des romans historiques où les questions du présent sont projetées dans le passé.

La période d’après 1925 est marquée par la forte personnalité de Lovro Kuhar (1893-1950), écrivant sous le pseudonyme de Prežihov Voranc et dont l’œuvre, multiple, composée de nouvelles, de romans et de récits de voyages, est axée sur les problèmes sociaux.

La littérature née de la lutte de libération nationale aura longtemps la Résistance comme thème principal, à côté de la peinture de la nouvelle Yougoslavie socialiste. On citera les noms du nouvelliste Ciril Kosmač (né en 1910) et du poète lyrique Matej Bor (né en 1913). Depuis quelques années, on assiste cependant à un élargissement des thèmes et à une interrogation sur la place de l’homme, de l’individu face à la société.


La littérature croate

La littérature médiévale est écrite dans une langue dérivée du slavon d’Église et ne comprend guère que des œuvres historiques. Toutefois, dans le cadre de l’État croate, il se développe des littératures techniques (textes juridiques, chartes, traités) et des traductions de romans occidentaux dans une langue dégagée de l’emprise religieuse.

Sur la côte dalmate, la Renaissance voit l’éclosion d’une littérature de haute qualité, dite « ragusaine », dont les derniers feux ne s’éteindront qu’au début du xxe s. et qui a laissé des œuvres de grande valeur dans différents domaines, notamment en poésie. Le lyrisme avec Šiško Menčetić (1457-1527) et Džore Držić (1461-1501) ne fit d’abord qu’imiter Pétrarque pour trouver sa voie propre avec Dinko Ranjina (1536-1607), plus classique et maniant un vers plus varié. Le genre particulier de l’« idylle de pêcheurs » est illustré par la Pêche (1556) de Petar Hektorović (v. 1487-1572), de l’île de Hvar.

Andrija Čubranović (fin du xvie s.), avec sa Gitane, donna un curieux poème d’amour sur le mode satirique. Tandis que la poésie épique est cultivée à Split avec Marko Marulić (1450-1524), auteur de Judita (1501, publié en 1521), et à Zadar par Petar Zoranić († 1543 ou 1569) et Brne Karnarutić (v. 1520 - v. 1573), la poésie dramatique, issue des mystères, s’appuie d’abord sur des thèmes religieux (Mavro Vetranović [1482-1576]), puis laïques (Hanibal Lucić [v. 1485-1553]). La tragédie doit ses œuvres majeures à Savko Gucetić (1531-1603), puis à Dominko Zlatarić (1558-1613), et la comédie est illustrée par Marin Držić (1508-1567), dont l’Oncle Maroje (1550) reste l’un des chefs-d’œuvre du théâtre yougoslave. Il faut noter aussi que la Réforme a donné un certain essor à la littérature « technique » en parler kajkavien.

Par la suite, dans une période intermédiaire, la littérature ragusaine continue sur sa lancée dans des genres variés : la lyrique amoureuse s’affine et devient moins maniérée avec Ivan Bunić (1591-1658), Horacije Mažibradić (v. 1570-1639), Vladislav Menčetić (1600-1666). La poésie satirique, avec le Derviche de Stijepo Djurdjević (1579-1632) et Marunka d’Ignjat Djurdjević (1675-1737), donne deux modèles du genre. La poésie épique a permis à Ivan Gundulić (v. 1589-1638) de donner sa mesure avec l’épopée malheureusement inachevée d’Osman, où la forme classique s’allie à un fond romantique. Il est aussi l’auteur d’un monologue lyrique, les Larmes du fils prodigue, et du jeu pastoral de Dubravka. Junije Palmotić (1606-1657) est l’auteur de tragi-comédies aux intrigues compliquées.

La prose continue d’occuper une place inférieure. On notera toutefois la traduction de l’Ancien et du Nouveau Testament par Bartol Kačić (1575-1650), auteur d’une grammaire de la langue populaire. Pendant la Contre-Réforme, on ne peut guère citer que le poète lyrique Franjo Krsto Frankopan, mort décapité pour avoir comploté en 1671 contre les Habsbourg.

Après 1750, les premières manifestations d’un sentiment national apparaissent. Le joug turc se relâche, de nombreux étrangers visitent le pays et laissent des relations de leurs voyages. Le moine franciscain Andrija Kačić Miošić (1704-1760) écrit en prose et en vers dans le mètre de la chanson populaire ses Entretiens familiers sur la nation slave (1756), qui ont jusqu’en Allemagne un succès considérable. Rappelons, à titre anecdotique, que le dernier représentant de la littérature ragusaine, auteur de poésies dans le style populaire, était français d’origine : Marc Bruère-Desrivaux (1774-1823), dit Marko Bruerović.

Allant de pair avec l’éveil du sentiment national, le besoin se fit sentir d’une langue unifiée. Ljudevit Gaj (1809-1872) a eu le mérite de comprendre que la meilleure solution était le štokavien (commun au serbe et au croate). Renonçant au dialecte kajkavien, plus spécifiquement croate, il a eu une grande influence avec sa revue Danica (l’Étoile du matin), porte-parole de l’illyrisme. À ce mouvement se rattache Ivan Mažuranić (1814-1890), auteur du poème la Mort de Smail-aga Čengić (1846). Sous l’influence de l’illyrisme se crée un théâtre à sujets croates, la critique littéraire apparaît et l’exemple des écoles occidentales donne toute sa vigueur au sentiment national retrouvé.

On ne peut guère mettre à l’actif de la poésie préromantique que les Iskrice (Étincelles) de Niccolo Tommaseo (1802-1874), composées en italien et traduites par l’auteur. Par contre, le théâtre se développe avec Dimitrije Demeter (1811-1872), auteur notamment du drame national Teuta (1844). La prose, par un travail lent et obscur, prépare l’avenir.