Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Y

Yougoslavie (suite)

Sur le plan intérieur, cette rupture est accompagnée d’une réorientation vers un système socialiste d’autogestion* : prévue au départ par la loi du 27 juin 1950 sur la gestion des entreprises et des associations économiques pour les collectivités de travail, l’autogestion va s’étendre progressivement à toutes les branches d’activités économiques et autres, tandis que les compétences des organismes d’autogestion augmenteront. Parallèlement, on tend à décentraliser l’économie et à assouplir la planification : en 1953, on abandonne la collectivisation entreprise en 1949 ; une nouvelle réforme agraire impose un maximum de 10 ha aux paysans. On développe aussi l’autogestion communale : une loi de janvier 1953, qui modifie la Constitution de 1946, consacre ces changements, mettant fin à l’organisation du pouvoir de type soviétique. On assiste aussi à une transformation des organisations socio-politiques ; selon le VIe Congrès du parti (nov. 1952 à Zagreb), le parti doit avoir surtout un rôle d’orientation idéologico-politique et ne pas avoir un monopole sur les décisions : il prend alors le nom de Ligue des communistes (Savez komunista Jugoslavije, SKJ).

Cependant, la démocratisation pose des problèmes, et ses limites apparaissent avec l’expulsion en 1954 de Milovan Djilas du Comité central pour ses articles concernant la « nouvelle classe dirigeante ». Au VIIe Congrès de la Ligue (avr. 1958, à Ljubljana), la bureaucratie et le démocratisme petit-bourgeois sont attaqués, et un nouveau programme est adopté.


Le titisme après 1960

Une période marquée par un développement de la démocratisation s’ouvre après 1960. Une nouvelle constitution (1963) institue une république « socialiste », mettant l’accent sur la démocratie directe et l’autonomie des républiques. Le VIIIe Congrès de la Ligue (déc. 1964, à Belgrade) confirme l’orientation vers une démocratisation accrue ; en 1965, une réforme économique et sociale est entreprise sur la base de l’autogestion et du développement de l’économie de marché. En 1966, les activités des services de sécurité d’État sont critiquées, ce qui entraîne la démission du Serbe Aleksandar Ranković, l’une des principales personnalités du régime.

Mais le problème du nationalisme demeure et entraîne au cours des années 70 une crise marquée notamment par le limogeage des dirigeants croates (1971). Se développe aussi la lutte contre le libéralisme (limogeage des dirigeants serbes), le technocratisme, les tendances kominformistes. La Constitution de 1974, qui met en place une Assemblée fédérale comprenant une Chambre fédérale et une Chambre des républiques et des provinces, renforce les droits des républiques, mais garantit en même temps l’autogestion et l’unité du système, le rôle directeur du parti et la présence du marxisme dans la société restant intangibles. Une nouvelle ère s’ouvre ainsi pour la Yougoslavie socialiste, d’autant plus que se pose déjà le problème de la succession du président Tito.

Une organisation originale de la défense

En raison de sa situation géopolitique entre les pays du pacte de Varsovie* et ceux de l’O. T. A. N., la Yougoslavie, qui a maintenu depuis la crise de 1948 sa position de non-alignement vis-à-vis des deux blocs, poursuit une politique de défense résolument indépendante. La dernière organisation de son appareil militaire, datant de 1965, prévoyait en cas d’invasion l’engagement d’un corps de bataille d’une dizaine de divisions en action retardatrice pour permettre la mise sur pied d’unités territoriales qui mèneraient ensuite une guérilla généralisée. Cette conception de la défense a été remise en cause par l’intervention militaire conduite en 1968 par l’U. R. S. S. et ses alliés du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie. Mesurant la gravité de cette action, qui s’était déroulée sans rencontrer de résistance, le gouvernement du maréchal Tito décidait de remanier profondément son organisation de la défense. La loi du 11 février 1969 sur la défense du peuple traduit l’opinion qu’une agression ne peut être brisée ni par les seules forces armées ni par la seule résistance passive des populations. La défense du pays exige l’engagement coordonné de l’ensemble des communautés socio-politiques : « La guerre défensive est celle du peuple tout entier [...]. Nul n’a le droit de signer ou de reconnaître la capitulation ou l’occupation du pays. » Le principe d’une résistance immédiate et générale étant accepté par toutes les forces vives de la nation, celles-ci doivent pouvoir à tout moment assurer la défense du territoire. Le système nouveau est fondé sur la mise sur pied permanente de deux forces complémentaires, mais indépendantes : l’armée populaire, force militaire du gouvernement fédéral, et l’armée territoriale, force civile largement décentralisée.

• L’armée populaire est alimentée par un service militaire de 15 mois dans l’armée et de 18 mois dans la marine. En 1977, les forces terrestres (env. 200 000 hommes) comprenaient 9 divisions d’infanterie et 21 brigades indépendantes (dont 11 d’infanterie, 7 blindées et 3 de montagne). L’armée de l’air (env. 30 000 hommes) disposait de 350 appareils ; la marine (env. 20 000 hommes) armait un destroyer de 2 400 t, le Split, 5 sous-marins de 700 à 1 000 t, une cinquantaine de bâtiments légers et 80 vedettes lance-torpilles ou lance-missiles... L’armement est d’origine américaine ou soviétique, mais de nombreux matériels sont désormais fabriqués en Yougoslavie.

• L’armée territoriale, aux ordres des républiques ou provinces autonomes, est à la charge exclusive des communautés politiques de base et des organisations du travail (entreprises, écoles...), qui en assurent le financement, la mise sur pied et l’instruction (avec un concours très limité de l’armée populaire). Couvrant l’ensemble du territoire, différentes suivant les régions (montagne ou plaine, zones urbaines ou rurales), ses formations sont destinées à mener dans leur ressort d’origine la lutte contre l’envahisseur. Parmi elles, seules les unités de partisans peuvent être engagées sur l’ensemble du territoire en coopération avec l’armée populaire. Un état-major de défense nationale a été créé à Zagreb en 1970 pour coordonner l’action de l’armée territoriale avec celle des organisations de jeunesse et de protection civile ainsi que pour centraliser tous les renseignements d’ordre logistique (stocks alimentaires, matériels, etc.). Le service est dû par les hommes de 16 à 65 ans et par les femmes de 19 à 40 ans ; une instruction militaire élémentaire est dispensée aux jeunes gens et aux jeunes filles à partir de 16 ans. L’effectif de l’armée territoriale était estimé en 1977 à environ 1 million de personnes. Son importance est primordiale et, dans l’esprit des dirigeants yougoslaves, cette armée territoriale constitue, en complément de l’armée populaire, une véritable force de dissuasion non nucléaire.

F. de B. et P. D.