Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Baath (suite)

Le 23 février 1966, les officiers écartés du pouvoir déclenchent un coup d’État, constituent un nouveau commandement régional et désignent Yūsuf Zuwayyin à la tête du gouvernement. Les membres du commandement national, tels Aflak et Bīṭār, arrêtés, peuvent quelques mois plus tard, dans des conditions mystérieuses, s’enfuir au Liban. La hiérarchie se renverse au sein du Baath, et le commandement régional n’hésite pas à désigner un commandement national à sa dévotion.

Au mois de mars 1966, la nouvelle équipe convoque un congrès extraordinaire du parti, qui appelle à « travailler en faveur de l’unité arabe en préparant les bases populaires socialistes », et à se rapprocher des États « progressistes » arabes comme l’Algérie, le Yémen et l’Égypte. Un rapprochement est amorcé avec la République arabe unie, qui aboutit à la conclusion d’une convention militaire entre les deux pays.

Parallèlement, le gouvernement syrien pratique une politique de méfiance à l’égard des puissances occidentales, pour s’appuyer principalement sur l’U. R. S. S., qui accepte de participer au développement du pays. En 1967, il entre en conflit avec l’Iraq Petroleum Company (I P C), qui transite le pétrole irakien à travers le territoire syrien. En même temps, le gouvernement bassiste pratique une politique d’aide et d’encouragement aux commandos palestiniens dans leur lutte contre l’État d’Israël.

Ces positions, ajoutées aux déclarations répétées contre l’impérialisme et le sionisme, ne sont pas sans inquiéter les puissances occidentales et l’État d’Israël. Celui-ci réagit vigoureusement, et la tension aboutit au déclenchement au mois de juin 1967 de la troisième guerre israélo-arabe.

L’armée syrienne réagit très mollement contre l’intervention des forces sionistes qui occupent les monts de Gōlān et la ville de Qunayṭra. Depuis, le gouvernement bassiste arrive difficilement à concilier ses déclarations révolutionnaires avec une attitude prudente en ce qui concerne la Palestine ; en septembre 1970, l’armée syrienne soutient les fedayin contre les troupes du gouvernement jordanien, mais cette intervention militaire sera de courte durée. L’armée reste cependant encore maîtresse de la situation et continue à diriger la Syrie au nom du Baath : en novembre 1970, le général Ḥāfiz al-Asad constitue un gouvernement très largement dominé par le Baath mais élargi toutefois aux « Unionistes progressistes », partisans de l’union avec la R. A. U., et aux communistes. Cet élargissement des bases du pouvoir est souligné par la révision constitutionnelle de février 1971, qui amène la formation d’un « Conseil du peuple », organisme qui, sur 169 délégués, ne compte que 87 membres du parti. Le Conseil du peuple approuve la nomination du général al-Asad à la tête de l’État et un référendum populaire confirme cette nomination (12 mars 1971). À l’extérieur, le nouveau régime fait sortir la Syrie de l’isolement en adhérant à l’alliance qui unit déjà la R. A. U. à la Libye et au Soudan tout en cherchant à développer les rapports avec d’autres pays, en particulier la France.

Ce sont également des militaires qui détiennent le pouvoir en Iraq au nom du Baath. Après le renversement de la monarchie (1958), celui-ci place ses espoirs dans le nouveau régime pour réaliser l’unité arabe. Très vite déçu par le général Kassem, qui entre en conflit avec Nasser, le Baath tente en 1959 de s’emparer du pouvoir. Mais la rébellion de Mossoul, dirigée par un bassiste, le colonel Abd al-Wahhab Chawwāf, est noyée dans le sang. Le Baath revient à la charge et contribue largement au coup d’État du 8 février 1963, qui met fin au régime de Kassem. Cependant, au mois de novembre de la même année, les éléments bassistes sont écartés du gouvernement par le maréchal Aref alors président de la République. Le Baath doit attendre juillet 1968 pour s’emparer du pouvoir, grâce au coup d’État militaire dirigé par le général Aḥmad Ḥasan al-Bakr. Représentant la tendance modérée du Baath, celui-ci s’oppose à la direction syrienne du moment et constitue un commandement national avec les chefs historiques du parti, tels Aflak et Bīṭār.

M. A.

➙ Arabes / Égypte / Iraq / Syrie.

Babel (Issaak Emmanouilovitch)

Écrivain russe (Odessa 1894 - † 1941).


Né dans une ville cosmopolite où les influences juives et méditerranéennes, russes et occidentales créent un milieu social et culturel animé, Issaak Babel, fils d’un petit commerçant israélite, est élevé dans une triple tradition : hébraïque dans sa famille, où la lecture de la Bible et du Talmud est de rigueur ; russe à l’école commerciale Nicolas-Ier, où il est admis en dépit du numerus clausus ; occidentale enfin, grâce à un professeur français qui le met en contact avec ses compatriotes et l’incite à des lectures (celle de Maupassant par exemple) qui contribuent à éveiller sa vocation littéraire. En 1915, il arrive à Petrograd, où Gorki, après avoir publié ses deux premiers récits dans sa revue Letopis (les Annales) en novembre 1916, lui conseille d’abandonner provisoirement la littérature pour acquérir l’expérience et la maturité qui lui manquent. Soldat sur le front de Roumanie quand éclate la révolution, il revient à Petrograd pour y travailler dans l’appareil administratif et policier du pouvoir soviétique avant d’être mobilisé dans l’Armée rouge, avec laquelle il participe notamment à la campagne polonaise de la Ire armée de cavalerie de Boudennyï (1920). Démobilisé, il est reporter à Tiflis, puis typographe à Odessa, où la presse locale commence en 1923 à publier ses récits, qui, repris en 1923-1924 par les revues littéraires de la capitale (notamment le L E F de Maïakovski et la Krasnaïa Nov de Voronski), font de lui l’un des chefs de file de la génération des prosateurs issus de la révolution.

Répartis en trois cycles — Konarmia (Cavalerie rouge, publié en volume en 1926), qui peint la campagne polonaise de Boudennyï, Odesskie Rasskazy (Contes d’Odessa, réunis en 1931) et un cycle autobiographique, Istoria moïeï goloubiatni (Histoire de mon pigeonnier, 1925) —, la plupart des récits de Babel, écrits entre 1921 et 1925, se présentent comme des témoignages vécus qui ne doivent rien à la fiction. Le sentiment de l’authenticité est accru par l’absence de tout commentaire psychologique, la véracité savoureuse des dialogues et le réalisme audacieux des détails. Ce réalisme contraste cependant avec l’emphase délibérée des répétitions expressives, des épithètes hyperboliques, des métaphores flamboyantes, qui créent autour des héros de Babel, cosaques de la cavalerie rouge ou gangsters d’Odessa, une auréole d’épopée ou de légende. Des critiques et des lecteurs (en particulier Boudennyï) lui ont reproché d’avoir calomnié l’Armée rouge en choisissant pour la représenter des épisodes peu glorieux et des personnages tarés. En fait, Babel n’est pas un réaliste cherchant à peindre une donnée historique ou sociale objective, mais un romantique dont l’œuvre exprime, par la juxtaposition des extrêmes, la catégorie même du réel telle qu’elle s’impose à un regard à la fois impitoyablement lucide et naïvement ébloui, mélange d’avidité sensuelle et d’ironie. La révolution, incarnée par les gueux superbes et repoussants de la cavalerie rouge, s’identifie précisément à cette catégorie du réel qui bouscule et déprécie l’humanisme idéaliste du narrateur Lioutov.