Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Wisigoths (suite)

La crise est inutile puisque l’autre fils de Léovigild, Reccared Ier (586-601), se convertit en 589 au catholicisme au concile de Tolède, qui introduit le filioque dans le Credo. Brisant les révoltes des grands en 587, 588 et 589 ainsi que la courte réaction arienne de Witteric (603-609/610), l’Église triomphe. Avec Isidore de Séville (v. 560-636), elle doit même modérer en 616 le zèle de Sisebut (612-621), premier persécuteur des juifs d’Espagne, inquiétés également par ses successeurs en 633, en 654 et en 681.

Surtout, l’Église domine dès lors les souverains. Reccared Ier, puis son fils Liuva II (601-603) ne peuvent pas imposer le principe héréditaire, pas plus que leurs successeurs, qui, en 633, 636, 639 et 653, sont élus suivant le système de la monarchie élective, que les grands et les évêques ont imposé au IVe concile de Tolède. En 653, le VIIIe concile de Tolède contraint Receswinthe (649-672) à laisser à l’Assemblée des grands, clercs ou laïques, le libre choix de son successeur : Wamba (672-680), le dernier grand souverain wisigoth.


Fusion et civilisation

Préparée par la pratique du service militaire en commun et par celle des mariages mixtes dès la fin du vie s., accélérée par la conversion de Reccared Ier en 589, plus lente à réaliser en matière fiscale, la fusion juridique avec les Hispano-Romains est consacrée par l’interdiction du Bréviaire d’Alaric, auquel Receswinthe substitue le Forum judicum, ou Liber judiciorum (654).

Dès lors, les contacts multipliés entre aristocrates hispano-romains et wisigoths, également imprégnés de culture antique, parachèvent la fusion, notamment sur le plan intellectuel, dont Tolède et Séville sont les principaux centres et les évêques de cette dernière ville, les plus illustres représentants : saint Léandre († v. 601) et son frère Isidore (601-636). Ce dernier est l’auteur d’une Historia Gothorum et surtout des Etymologiae, encyclopédie des connaissances du temps qui fut l’ouvrage le plus lu au Moyen Âge ; il témoigne de l’intérêt porté par les chrétiens du viie s. tant aux lettres profanes qu’aux lettres sacrées ainsi que de leur esprit d’ouverture aux problèmes de l’Orient, avec lequel ils semblent avoir maintenu des liens économiques et spirituels étroits. L’école épiscopale de Tolède, les monastères du nord-ouest de la Péninsule rattachés aux traditions ascétiques de l’Angleterre et de l’Irlande, sous l’influence de l’archevêque de Braga, Fructueux († v. 665), les églises de San Juan Bautista de Baños de Cerrato (661), de San Pedro de la Nave (près de Zamora), de Quintanilla de las Viñas au décor à motifs antiques et à personnages stylisés illustrent cette culture très vivante dans une région qui échappe au début du viiie s. à la mortelle invasion musulmane.


La fin du royaume wisigoth

Svinthila (621-631) chasse définitivement les Byzantins de l’Algarve en 629 et contraint les Vascons au tribut. Pourtant, il ne peut empêcher ces peuples de continuer à s’agiter, de même que la Septimanie, qui se soulève une première fois seule en 631 sous le règne de Sisenand (631-636), une seconde fois en 672 avec l’appui de la Tarraconaise contre le roi Wamba, qui reconquiert ces provinces ville par ville en 673.

Pour remédier à la fuite des hommes libres devant le service militaire, Wamba étend au clergé leurs obligations en 673. En fait, malgré le succès de la fusion, il ne dispose que des seules forces gothiques, cavaliers et gardingos, liés par un serment à sa personne et qu’il nourrit sans doute d’un bénéfice viager dans le cadre d’un système de subordination vassalique.

Cet ultime effort ne sauve pas la monarchie. Après l’occupation de Tanger (683) et un premier raid musulman contre les côtes d’Espagne, la volonté de Wittiza (702-710) d’assurer le trône à son fils, Akhila, déclenche, à sa mort en 710, une guerre civile qui oppose ce dernier, maître de l’Espagne du Nord, à l’élu des Grands, le gouverneur de la Bétique : Rodrigue ou Rodéric. Peut-être appelées par le premier de ces compétiteurs, les forces berbères de Tāriq ibn Ziyād débarquent en 711, sur l’ordre du gouverneur du Maghreb, Mūsā ibn Nuṣayr. Victorieuses sur les rives du río Barbate (bataille dite « du Guadalete », 19-26 juill. 711), où Rodrigue (710-11) trouve la mort, elles occupent peu après Cordoue et toute la Péninsule (sauf le Nord-Ouest) entre 712 et 714. La principauté wisigothique de Murcie n’est assujettie que vers 713.

En fait, dès 712, le peuple wisigoth disparaît de l’histoire, anéanti par les musulmans ou absorbé par les Hispano-Romains.

P. T.

➙ Aquitaine / Attila / Clovis / Espagne / Francs / Gaule / Huns / Italie / Ostrogoths / Rome / Théodoric Ier / Vandales.

 M. Torres et coll., España visigoda, t. III de Historia de España, sous la dir. de R. Menéndez Pidal (Madrid, 1940). / F. Mossé, Manuel de la langue gotique (Aubier, 1942 ; 2e éd., 1956). / G. G. Miles, The Coinage of the Visigoths of Spain (New York, 1952). / R. M. de Abadal y Vinyals, Del reino de Tolosa al reino de Toledo (Madrid, 1960). / J. Puig i Cadafalch, l’Art wisigothique et ses survivances (De Nobèle, 1961). / M. Hirmer et P. de Palol, Spanien : Kunst des frühen Mittelalters vom Westgotenreich bis zum Ende der Romanik (Munich, 1965 ; trad. fr. l’Art en Espagne, du royaume wisigoth à la fin de l’époque romane, Flammarion, 1967). / L. Musset, les Invasions, t. I : les Vagues germaniques (P. U. F., coll. « Nouv. Clio », 1965). / E. A. Thompson, The Visigoth in the Time of Ulfila (Oxford, 1966). / P. de Palol, Arte hispánico de la epoca visigoda (Barcelone, 1968). / G. Fournier, l’Occident de la fin du ve siècle à la fin du ixe siècle (A. Colin, coll. « U », 1970). / J. Fontaine, l’Art préroman hispanique, t. I : l’art paléochrétien, l’art wisigothique, l’art asturien (Zodiaque, La Pierre-qui-vire, 1973).


L’art wisigothique

On réserve l’épithète de « wisigothique » à l’art développé dans le royaume de Tolède à partir des règnes de Léovigild (573-586) et de Reccared Ier (586-601), c’est-à-dire lorsque la péninsule Ibérique eut réalisé son unité politique, juridique et religieuse. Ses manifestations, d’une saisissante originalité, appartiennent à tous les domaines de la création esthétique.

L’architecture se caractérise par l’usage du grand appareil avec des joints souvent très fins, un dessin outrepassé (dépassant rarement le tiers du rayon) pour les arcs et des techniques assez constantes pour les supports et le voûtement.