Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Wilde (Oscar Fingall O’Flahertie Wills)

Écrivain anglais (Dublin 1854 - Paris 1900).



« J’ai mis tout mon génie dans ma vie... »

Étrange Angleterre qui, dès que le siècle commence à se confire en austérité, se plaît à susciter des écrivains pétrifiant d’horreur — en même temps qu’ils les hypnotisent — les foules bien-pensantes. Ainsi Byron. Ainsi Swinburne. Et puis Wilde. Éclat, luxe, remous, scandales les auréolent. Élément naturel et climat soigneusement composé, leur comportement atteint à l’authentique art de vivre. Qu’on lise The Picture of Dorian Gray (le Portrait de Dorian Gray, 1890-91) : « Assurément, la vie se présentait pour lui comme le premier et le plus grand de tous les arts ; à celui-là tous les autres ne servaient guère que d’introduction. » Gide, pour sa part, estime que, « habile à piper ceux qui font la mondaine gloire, Wilde avait su créer, par-devant son vrai personnage, un amusant fantôme dont il jouait avec esprit ». Quant à Wilde, il écrit que le public anglais, hypocrite, prude et philistin, « confond toujours l’homme avec ses productions » (lettre à E. de Goncourt, 17 déc. 1891). Il ajoute aussi, en 1884, à propos des personnages de Dorian Gray, le « bon » et « moral » et les « mauvais » et « dépravés » : « Basil Hallward est ce que je pense que je suis ; lord Henry ce que le monde me croit être ; Dorian ce que j’aimerais être... » Alors, comme le portrait stigmatisé de tous ses « péchés » s’attache irrémédiablement au destin de Dorian, « son » personnage aux multiples facettes fait partie intégrante de Wilde. L’une de ses meilleures créations. Un père brillant médecin et une mère poétesse, dans les années 40, du mouvement Young Ireland, sous le nom de « Speranza », lui assurent une enfance et une adolescence sans histoire et donc heureuse. Dans le salon maternel, il découvre la société et, dans les meilleures écoles, la culture : Portera Royal School, Enniskillon (jusqu’en 1871) ; Trinity College, à Dublin (jusqu’en 1874). Enfin Magdalen College, à Oxford (jusqu’en 1879) — paradis des étudiants —, auquel il offre le tribut de « Magdalen » (Poems, 1881). Populaire, nonchalant mais brillant, fervent des antiquités classiques et de la poésie, admirateur de Ruskin*, de M. Arnold et surtout de Walter Horatio Pater, dont la doctrine sert de fondement à ses propres idées, il goûte la vie agréable d’étudiant aisé, visitant l’Italie ou la Grèce pendant ses vacances. Donnant aussi ses premiers poèmes. Un cri d’indignation, « On the Recent Massacres of the Christians in Bulgaria ». Un sonnet sur la tombe de Keats, « Ô toi le plus doux chanteur de notre terre anglaise ! » (« Keats’ Grave », 1877). Et en 1878, « Ravenna », qui lui vaut le prix sir Roger Newdigate pour la poésie anglaise.

Puis il se lance à la conquête de Londres. S’inspirant du principe de l’un de ses héros qui considère que « pour tout homme cultivé, accepter l’idéal de son époque, c’est faire acte d’immoralité révoltante », il affermit le personnage déjà esquissé à Oxford. Charmant, captivant et scandalisant à la fois, enfourchant son dada de l’esthétisme et du retour à la beauté, ne négligeant rien pour se singulariser, il s’impose très vite comme tête de file du Tout-Londres, qu’il invite à « ressusciter cet art ancien du mensonge », convaincu que « les amateurs, dans le cercle domestique, aux lunchs littéraires, aux thés d’après-midi, pourront faire beaucoup pour l’éducation du public » (Intentions : « The Decay of Lying » [« le Déclin du mensonge »], 1891). Maître de la conversation brillante, tel son lord Henry, « éblouissant, prestigieux, irrésistible. Les auditeurs hors d’eux-mêmes suivaient en riant la flûte de l’enchanteur. » Il dépense sans compter : « les beaux péchés, comme les beaux objets, sont le privilège du riche ».

L’année 1882 le trouve en Amérique pour une tournée de conférences. Deux ans après, il épouse Constance Lloyd. Et en 1891 The Picture of Dorian Gray paraît en volume. Avec l’étrange et prémonitoire sensation de Basil sentant peser sur lui les yeux de Dorian : « Lorsque nos regards se croisèrent, je me sentis pâlir. Une étrange terreur s’empara de moi. De toute évidence, je me trouvais en présence d’un être d’un tel charme personnel que, si je cédais à la fascination, mes sens, mon cœur, mon art lui-même, tout s’y consumerait. » Vers cette même époque, en effet, Wilde rencontre le beau lord Alfred Bruce Douglas, fils du huitième marquis de Queensberry, de seize ans son cadet, dit « Bosie » et que Shaw appelait « Childe Alfred ». Dès lors, son personnage prend sa forme définitive de scandale — car « de telles adorations sont pleines de danger : danger de les perdre, danger non moindre de les garder ». À peine parvenu au faîte de sa gloire sociale, il est l’objet de l’horreur nationale ; le procès que lui intente en 1895 le père de lord Douglas le précipite dans la plus sombre solitude d’une condamnation infamante. Deux ans de « hard labour » à la prison de Reading dont il reste la célèbre Ballad of Reading Gaol (Ballade de la geôle de Reading, 1898) — « C.3.3 », son numéro de cellule — avec dans ces cent neuf strophes cet émouvant miroitement d’une nouvelle facette du personnage :
[...] minuit toujours au fond du cœur, et le crépuscule dans le cachot,
[...] Chacun dans son Enfer séparé
[...] Et jamais une voix humaine n’approche
Pour dire un mot gentil...
Et par tous oubliés, nous pourrissons et pourrissons,
L’âme et le corps en ruine.

À côté de ce poème, d’une veine unique dans l’œuvre de Wilde, témoigne également la non moins fameuse lettre à lord Douglas du 1er avril 1897. En 1905, Robert Ross, sous le titre de De profundis, publie des extraits de cette longue missive (20 feuilles in-folio chacune de quatre pages) tendant à promouvoir l’image d’un pénitent. Mais quoique Wilde y profère de très dures paroles à l’égard de lord Douglas et regrette leur « néfaste et lamentable amitié », cause « de la ruine et de l’infamie publique » pour lui, rien ne saurait empêcher que s’accomplisse la prémonition de Dorian Gray. Oublié, divorcé, seul, exilé dans la France des heures dorées de sa jeunesse, se cachant sous le nom symbolique de Sebastian Melmoth — souvenir du héros de Melmoth the Wanderer, roman gothique écrit en 1820 par un oncle de sa mère —, il renoue avec « Childe Alfred ». Car, écrit-il, « je ne peux vivre sans l’atmosphère de l’amour ; je dois aimer et être aimé, quel que soit le prix que je paye [...] Quand les gens me critiquent de revenir à Bosie, dites-leur qu’il m’a offert l’amour — et que dans ma solitude et ma disgrâce je me suis, après trois mois de lutte contre un hideux monde philistin, tourné vers lui » (lettre à R. Ross, 21 sept. 1897). Au personnage tour à tour brillant, cynique, adulé, scandaleux, ce cri pathétique confère une nouvelle dimension. Celle d’un homme qui se déchire dans la recherche d’un amour vrai dont la découverte eût peut-être changé le cours de son destin.