Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Weygand (Maxime) (suite)

Maintenu en activité sans limite d’âge, Weygand s’engage à fond auprès de ses ministres successifs pour porter le potentiel de l’armée au niveau exigé par la sécurité de la France, de nouveau menacée par le réarmement accéléré de l’Allemagne de Hitler. Quand, le 21 janvier 1935, jour de ses soixante-huit ans, il quitte le service, la pacification du Maroc est terminée et, si la ligne Maginot s’achève, Weygand se refuse à fonder sur elle seule la défense du pays. C’est lui qui inaugure la mécanisation de la cavalerie par la création en 1933 des divisions légères mécaniques, mais le gros souci qu’il laisse au général Gamelin*, son successeur, est le problème des effectifs dû au déficit des naissances de 1914-1918, qui ne sera résolu qu’en portant à deux ans la durée du service militaire.

Installé à Paris, Weygand consacre le meilleur de son temps à écrire. Après une histoire militaire de Méhémet-Ali, que lui avait demandée le roi Fu’ād Ier d’Égypte en 1929 et qui ne sera pas diffusée, il publie en 1938 son Histoire de l’armée française. Entre-temps, il prononce plusieurs conférences en France et à l’étranger, notamment sur les problèmes militaires et sur la menace allemande, dont il mesure la gravité. Rappelé au service à la fin d’août 1939, il prend à Beyrouth le 2 septembre le commandement du théâtre d’opérations de Méditerranée orientale avec mission de coordonner l’action des alliés dans cette région en liaison avec ses homologues britanniques d’Alexandrie, le général Archibald Percival Wavell (1883-1950) et l’amiral Andrew Browne Cunningham (1883-1963). Les missions qu’il accomplit à Paris auprès de Gamelin, de Daladier et de Paul Reynaud lui révèlent l’indécision du gouvernement comme la carence du haut commandement. Le 12 avril 1940, il regagne, très inquiet, son poste à Beyrouth. Le 16 mai, devant la gravité de la situation militaire, Reynaud — qui, le 18, nommera Pétain vice-président du Conseil — rappelle Weygand à Paris ; à son arrivée le 19, il remplace Gamelin comme commandant en chef de tous les théâtres d’opérations.

« Si la France est en danger, avait dit Foch, appelez Weygand. » On l’appelait malheureusement trop tard. En dépit de l’extraordinaire énergie de cet homme de soixante-treize ans qui possède la totale confiance de l’armée, la situation est trop compromise pour être rétablie. Après avoir en vain tenté de sauver les armées de Belgique et de reconstituer un front sur la Somme et l’Aisne, Weygand, dépourvu de toute réserve, se résout le 11 juin à recommander au gouvernement de conclure un armistice. Pour lui, c’est la seule solution qui, permettant de sauver les territoires français d’Afrique, sauvegarde la possibilité de reconstituer les forces indispensables à la reprise de la guerre contre l’Allemagne.

Pour défendre cette position fondamentale, l’armistice, condition de la revanche, Weygand accepte le 17 juin dans le gouvernement du maréchal Pétain le poste de ministre de la Défense nationale, qu’il cumule avec celui de commandant en chef. Dès la fin de juin, il prescrit le transfert d’armes et de munitions en Afrique et, par une note secrète du 2 juillet 1940, ordonne le camouflage de matériels de combat en zone non occupée. Secondé par le général Colson, il oriente déjà l’action clandestine et, pour pallier la suppression du service de recrutement, fait créer un service civil de la statistique (ancêtre de l’actuel I. N. S. E. E.) qui préparera la remobilisation de l’armée et œuvrera pour la Résistance*. Dès le 6 septembre, toutefois, Weygand, qui se heurte de plus en plus violemment à Laval, est, sur les instances de ce dernier, brutalement congédié par Pétain, qui le nomme, le 7, délégué général du gouvernement en Afrique du Nord.

Arrivé à Alger le 9 octobre 1940, il poursuit dans ce dernier poste officiel de sa longue carrière la politique qu’il s’est fixée trois mois plus tôt. Son premier souci est le maintien de l’unité des territoires français d’Afrique dont certains ont rallié de Gaulle. Aussi entreprend-il d’aller lui-même expliquer aux autorités locales la position de la France et sa conception de l’armistice. De Tunis à Rabat, de Dakar à Niamey, il effectue en avion quarante-deux voyages dans les trois derniers mois de 1940 ! Tous ses soins vont à l’armée d’Afrique, dont il portera les effectifs à 143 000 hommes, auxquels s’ajoutent 60 000 « clandestins ». Secondé par les généraux Juin* (Maroc), de Lattre de Tassigny* (Tunisie), Louis Kœltz (1884-1970) [Algérie] et Jean Barrau (1882-1970) [Dakar], il oriente résolument ses cadres « sur l’esprit de sacrifice et le désir de revanche » (directive du 10 févr. 1941). Pour mener à bien son action, il n’hésite pas à écarter par tous les moyens les contrôleurs italiens et allemands des commissions d’armistice. Vis-à-vis des Anglais, sa position se résume dans les deux aphorismes : « Défendre l’Afrique contre quiconque » et « S’ils viennent avec quatre divisions je les force à rembarquer, avec vingt je leur ouvre les portes », mais le 2 février 1941 il écrit à Wavell pour le féliciter de ses succès sur les Italiens. Le 21 décembre 1940 à Dakar, Weygand rencontre Robert Daniel Murphy, envoyé spécial de Roosevelt, avec qui il signe le 26 février 1941 la convention autorisant le ravitaillement de l’Afrique par les États-Unis. Trois mois plus tard, Weygand découvre la teneur des protocoles signés à Paris le 27 mai 1941 par Darlan*, qui livrent Bizerte et Dakar à la Wehrmacht. À Vichy, où Pétain l’a convoqué, le général prend si fermement position le 3 juin qu’il empêche leur ratification par le Conseil des ministres. Darlan, de plus en plus lié au clan allemand de Vichy, allait bientôt prendre sa revanche. En juillet, il obtient de Pétain que Weygand soit placé sous ses ordres et cesse de relever directement du maréchal. Cédant ensuite à la pression des Allemands, il fait décider le 18 novembre 1941 le rappel d’Afrique du général. La seule mesure d’apaisement sera la nomination au commandement en Afrique du Nord du général Juin, qui y poursuivra remarquablement l’œuvre de son chef. Quant à Weygand, à qui Darlan interdit tout retour à Alger, il s’installe à Grasse, puis à Cannes, sous surveillance de la police. Dans ce premier exil, le général ne se départit pas de son attitude : déférent attachement à Pétain malgré son désaccord fondamental avec sa politique vis-à-vis de l’Allemagne, refus de toute adhésion à de Gaulle, en qui il voit un dissident, ferment de division entre les Français, accueil à tous ceux qui luttent contre l’Allemagne (il reçoit une lettre de Roosevelt à Noël de 1941) en refusant toutefois, en raison de ses soixante-quinze ans, de prendre toute nouvelle initiative.