Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Wells (Herbert George) (suite)

À partir de 1900, il exploite une veine sociale et comique dans la tradition romanesque classique héritée du xviiie s. à travers le xixe s. Jeune auteur aux tendances progressistes, il participe aux activités de la Fabian Society (1903-1909). Mais, bientôt brouillé avec Shaw, il caricature les Webb, cheville ouvrière du mouvement, dans son The New Machiavelli (1911). En effet, à partir d’environ 1910, il s’adonne plus spécifiquement à la littérature de propagande et d’idées.

Dans cette production touffue dominent les romans parus pour la plupart sous forme de feuilletons. On y trouve aussi des nouvelles (The Stolen Bacillus and Other Incidents, 1895 ; The Plattner Story, and Others, 1897 ; Thirty Strange Stories, 1897 ; Tales of Space and Times, 1899 ; Twelve Stories and a Dream, 1903 ; The Country of the Blind, and Other Stories, 1911), des écrits politiques, philosophiques ou sociologiques (Socialism and the Family, 1906 ; New Worlds for Old, 1908 ; God : the Invisible King, 1917 ; The Common Sense or World Peace, 1929 ; Mind at the End of its Tether, 1945), des traités ambitieux (The Outline of History, being a Plain History of Life and Mankind, 1920 ; A Short History of the World, 1922 ; The Work, Wealth and Happiness of Mankind, 1932), sans compter une abondante œuvre proprement journalistique.

« Le roman doit se faire le médiateur social, le véhicule de l’intelligence, l’instrument de l’examen personnel, le promenoir de la morale et la bourse des mœurs, la manufacture des coutumes, la critique des lois et institutions et des idées et dogmes sociaux [...]. »

Les grands principes de base, les croyances fondamentales, la lutte pour un monde non individualiste et socialiste, la plupart des idées et des thèmes auxquels le théâtre de Shaw sert de tremplin, Wells les exprime et les défend dans son roman. Des finalités de la vie à l’antifascisme aucun sujet ne le rebute. Au centre de Love and Mr. Lewisham se place le problème de l’individu face à l’espèce, et Lewisham déchirant symboliquement le programme de ses ambitions pour se consacrer à sa famille atteste que les intérêts du premier importent moins que la progression du groupe. D’ailleurs, l’héroïne d’Ann Veronica (1909) n’atteint à la plénitude du bonheur que lorsqu’elle réalise les fonctions de l’espèce. Quant à Marjorie et à Trafford, ils opèrent leur régénération spirituelle en reprenant contact, loin des mondanités, selon le « mysticisme évolutionnaire » de Wells, avec la vie rude authentique. Tout un groupe de romans, guère plus lus, cernent à peu près complètement la fiction didactique de Wells : roman politique dans la lignée de ceux de Disraeli avec The New Machiavelli, qu’alourdissent états d’âme et réflexions politiques de ses héros et porte-parole ; romans développant ses points de vue sur la guerre (Mr. Britling sees it through, 1916), sur la religion (The Undying Fire, 1919), sur l’éducation (Joan and Peter, 1918), contre le fascisme (Meanwhile, 1927 ; The Autocracy of Mr. Parham, 1930). Enfin, Ann Veronica, influencée par la Vivie Warren de Shaw, aborde l’inévitable question de la femme moderne dans son désir de s’épanouir par-delà les préjugés. Et, avec l’énorme The World of William Clissold (1926) vient le temps des désillusions, succédant à l’optimisme original et qui éclate dans Mind at the End of its Tether (1945), où Wells ne cache plus sa désespérance pour l’espèce humaine. Cette espèce humaine, toujours au centre de ses romans socio-comiques, elle ressemble étrangement à celle qu’affectionnait Dickens. L’exemple de Kipps se révèle, à cet égard, frappant et livre un vaste panorama social à travers l’expérience du jeune homme, des débuts de son apprentissage jusqu’au moment de sa fortune. Appartenant au commun — à la petite bourgeoisie surtout —, les personnages de Wells réagissent selon les critères de leur milieu et de leur éducation. Comme ceux de Dickens, ils témoignent souvent de ces « vertus » dynamiques, imagination, débrouillardise, que cultivent si bien le héros de la charmante History of Mr. Polly (1910) ou l’oncle « Teddy » résumant son art de faire fortune en une formule lapidaire, « vendre la chose le meilleur marché dans la bouteille la plus chère » (Tono-Bungay). Ainsi, l’observation sociale de Wells — qui se rapproche par sa manière de l’« école cockney » — s’exerce par un art gai, abondant et capricieux — on songe à Fielding — malgré un certain décousu et de nombreuses digressions. Mais, de toute façon, Wells ne se survit pas en elle.

« Personne n’aurait cru dans les dernières années du xixe s. que les affaires humaines étaient surveillées attentivement et de très près par des intelligences plus grandes que celles de l’homme et pourtant aussi mortelles que la sienne. »

Plus qu’à son œuvre engagée, le nom de Wells s’attache désormais à un genre dont il partage la paternité avec Jules Verne : la science-fiction*. Là, il excelle. Réalisme du style, sens aigu de la description, puissance imaginative caractérisent l’art de ses fameuses « scientific romances » et élèvent au rang de classiques When the Sleeper wakes (1899), The First Men in the Moon (1901), The Time Machine, The Island of Dr. Moreau (1896) et, bien sûr, The Invisible Man (1897). Elles offrent déjà les thèmes, et la symbolique d’une veine largement exploitée aujourd’hui : thème devenu traditionnel des civilisations réfugiées dans les entrailles de la Terre (The Time Machine), cerveaux centraux régissant tout un peuple (The First Men in the Moon), guerres ou catastrophes précédant les réorganisations des sociétés dans le futur (In the Days of the Comet, 1906). Elles accueillent la science-fiction de la mécanique (machine à explorer le temps, sphère des premiers hommes sur la Lune), encore que cette technique des appareils d’avant-garde retienne moins son attention qu’un peu plus tard celle de l’inventeur du « robot », Karel Čapek (R. U. R., 1920), ou de l’Américain Isaac Asimov.