Welles (Orson) (suite)
Quelques mois avant d’entreprendre un film policier de commande, la Soif du mal (The Touch of Evil, 1958), dont il fait un grandiose opéra de série noire, Welles commence le tournage d’un Don Quichotte (1957), qu’il déclare terminé en 1967, que personne n’a vu, même en partie, et qui relève du mythe absolu. Les quatre années suivantes, il les passe dans un certain nombre de films qu’il ne réalise pas lui-même (le Génie du mal, de R. Fleischer, 1959, pour ne citer que le meilleur), puis reçoit une proposition qui l’enchante : tourner le Procès (The Trial) de Kafka en Yougoslavie avec une distribution internationale. L’accueil de la critique à la sortie du film en 1962 est plus tiède que celui du public, qui reconnaît enfin en Orson Welles un des seuls authentiques génies du septième art, comme le furent avant lui un Stroheim ou un Murnau.
D’innombrables figurations dans des films plus ou moins bons suivent, et puis Welles réalise, sans moyens, en Espagne, Falstaff (Chimes at Midnight, 1965), dont on loue au festival de Cannes les très grandes qualités. Mais sa suprématie reconnue ne lui donne pas pour autant les capitaux nécessaires à la réalisation de ses multiples projets. C’est pour l’O. R. T. F. qu’il tourne en 1967 un moyen métrage, une Histoire immortelle, où il prouve en cinquante minutes admirables qu’il n’a rien perdu de sa science du montage, de son goût pour le cadrage insolite et de sa force créatrice. Pour la première fois, il s’attaque à la couleur : la réussite est totale. On ne saura jamais, par contre, si Run towards Death (1967) en était une, car le film s’est perdu en Yougoslavie. Depuis, Welles a réalisé en collaboration avec F. Reichenbach un documentaire (de fiction) sur les faussaires intitulé Vérités et mensonges (Fakes) [1972-1974]), qui est une véritable leçon de montage.
Le film qu’il tourne en 1972-73 à Hollywood et en Espagne, The Other Side of the Wind, ressemble fort à un testament spirituel. Il raconte en effet la mort d’Hollywood vue par un cinéaste qui y est revenu une dernière fois, après en avoir été inlassablement rejeté.
Le drame de la carrière d’Orson Welles, l’inaction forcée, le contraint à tourner chacun de ses films comme s’il réalisait son tout premier. Ses meilleures réussites, curieusement, appartiennent à un genre littéraire ou « hollywoodien » défini, cela quoi qu’il en ait : le « thriller » ou la saga familiale (la Splendeur des Amberson). Le cinéma est pour lui synonyme de « respiration », de raison de vivre et d’espérer. Excessif, infatigable, aussi peu conventionnel que possible, Orson Welles poursuit dans sa tête et dans ses trop rares films une œuvre de géant, à laquelle le cinéma doit beaucoup et devra toujours.
M. G.
A. Bazin, Orson Welles (Éd. du Cerf, 1950 ; nouv. éd., 1972). / J.-C. Allais, Orson Welles (Serdoc, Lyon, 1961). / M. Bessy, Orson Welles (Seghers, 1963). / M. Estève (sous la dir. de), Orson Welles, l’éthique et l’esthétique (Lettres modernes, 1963). / P. Cowie, The Cinema of Orson Welles (New York, 1965 ; nouv. éd. A Ribbon of Dreams : the Cinema of Orson Welles, 1973). / C. Higham, The Films of Orson Welles (Berkeley, 1970). / J. McBride, Orson Welles (Londres, 1972).