Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Weimar (république de)

Nom porté par le régime politique de l’Allemagne de 1919 à 1933.



Les débuts

Le 9 novembre 1918, l’Allemagne devient un État républicain, mais c’est une république sans républicains. Pour empêcher les spartakistes (le Spartakusbund réunit, autour de R. Luxemburg* et de K. Liebknecht*, l’extrême gauche de la social-démocratie) de s’emparer des leviers de commande, Friedrich Ebert (1871-1925), chef du parti social-démocrate, constitue un gouvernement provisoire, le Conseil des commissaires du peuple (Rat der Volksbeauftragten), composé de trois sociaux-démocrates et de trois sociaux-démocrates indépendants (v. social-démocratie).

La situation du nouveau gouvernement est difficile. Tandis que l’Allemagne se couvre de conseils de soldats et d’ouvriers, et semble s’orienter vers un régime socialiste, fonctionnaires et soldats sont, au fond d’eux-mêmes, fidèles aux Hohenzollern*, comme une bonne partie de la population. En face d’eux, les partisans de la république sont peu nombreux, d’autant qu’à l’extrême gauche on souhaite moins la république que l’État socialiste. Or, ce sont les forces révolutionnaires qui ont créé la république : sans elles, le parti social-démocrate (SPD) et les partis qui sont à la droite auraient accepté la simple transformation de la monarchie en monarchie parlementaire. Depuis 1917, toutes les grandes actions ouvrières ont été déclenchées par le parti social-démocrate indépendant (USPD). Mais les membres de ce parti sont peu organisés et divisés en plusieurs tendances. Certains révisionnistes, Eduard Bernstein*, Rudolf Hilferding, Karl Kautsky, les ont rejoints pour les abandonner bientôt. Aux élections de janvier 1919, les sociaux-démocrates indépendants obtiendront moins de 10 p. 100 des suffrages ; ils joueront dans toute cette période un rôle modérateur, mais auront beaucoup de mal à contrôler la situation.


La révolution en Allemagne

Le Conseil des commissaires du peuple décide de ne pas toucher à l’appareil d’État. Tous les fonctionnaires doivent rester à leur poste. Mais la classe ouvrière — plus précisément les conseils d’ouvriers et de soldats — contrôle la vie politique réelle. Bon nombre de ces conseils tombent vite sous l’obédience du parti social-démocrate et des syndicats, qui pourront en modérer les élans. Le chef du gouvernement, Ebert, est bien décidé, au besoin avec l’accord du haut commandement, à maintenir l’ordre. C’est le paradoxe de socialistes prenant un pouvoir révolutionnaire et cherchant à s’y maintenir avec l’aide des milieux conservateurs. Cet accord de fait de novembre 1918 dominera l’évolution de la république de Weimar. Le 15 novembre, un protocole important est signé par les dirigeants syndicaux avec les représentants des industriels. Se réclamant de la communauté d’intérêts des employeurs et des salariés (Arbeitsgemeinschaft), il codifie certaines conquêtes ouvrières : journée de huit heures ; création de comités paritaires pour régler les conflits du travail dans l’usine ; reconnaissance des syndicats comme partenaires légaux.

Le texte confirme le droit de grève et de coalition, mais déclare aussi que les usines sont la propriété des patrons. Ainsi, au moment même où se développe une révolution socialiste, un texte paritaire reconnaît les droits patronaux et rend plus difficile le processus de socialisation.

Pourtant, cette tendance acquiert des adeptes. Mais on admet que la socialisation n’est possible que dans les industries « arrivées à maturité », et chacun est d’accord pour trouver « qu’aucun secteur économique n’est vraiment mûr ». Les commissaires pensent que le problème fondamental est de faire repartir l’économie, et l’on se borne à créer une commission de socialisation.

Le parti social-démocrate indépendant cherche à renforcer sa position. Les partis traditionnels se sont peu à peu reconstitués et continuent de disposer d’une grande influence grâce à leur presse, qui fait campagne contre les conseils ouvriers, les « rouges » et les spartakistes. Les sociaux-démocrates majoritaires cherchent à renforcer le pouvoir de l’Administration pour mieux résister à la pression des socialistes indépendants, d’autant plus que le ravitaillement est toujours difficile, que les prix montent et que le chômage augmente.

Le gouvernement veut obtenir l’envoi de troupes à Berlin, et par endroits se constituent des corps francs d’anciens soldats hostiles à la révolution. Au début de décembre, quelques éléments de l’armée interviennent dans Berlin. On arrête des membres du Comité central des conseils ouvriers. Certains éléments de l’armée proclament Ebert président de la république, mais celui-ci hésite à accepter, puis renonce. Devant cette tentative de putsch, les ouvriers manifestent, la troupe tire (6 déc.). Le gouvernement est bien décidé à intervenir contre les conseils d’ouvriers et de soldats, qui, dira Ebert, nous « ridiculisent devant l’histoire et le monde entier ». Le grand débat est de savoir à qui doit revenir le pouvoir : aux conseils ouvriers ou à l’Assemblée constituante ?

Le 14 décembre, le Drapeau rouge (die Rote Fahne) publie le programme spartakiste élaboré par Rosa Luxemburg. Ce journal propose l’établissement en Allemagne d’une république socialiste unitaire. Quelques jours plus tard, le congrès des conseils ouvriers se réunit, mais, dominé par le SPD, orthodoxe, il décide l’élection, pour le 19 janvier, d’une Assemblée constituante : il veut transformer l’État populaire en un État fondé sur le droit. Pourtant, le congrès maintient les pouvoirs des conseils de soldats et cherche à supprimer l’armée permanente, mais la pression de l’état-major général empêchera l’application de ces mesures. Toutefois, dans Berlin, à l’appel des spartakistes, des manifestations se produisent en faveur d’une république socialiste. Un grave incident survenu à Berlin démontre la faiblesse du gouvernement provisoire : pour dissoudre une manifestation d’une division populaire de marine, on fait donner l’ex-armée impériale (24 déc.). C’est un demi-échec, et une foule importante a soutenu les marins. Après cet incident, les commissaires sociaux-démocrates indépendants quittent le gouvernement provisoire (29 déc.) et sont remplacés par des socialistes orthodoxes, dont Gustav Noske (1868-1946), chargé des Affaires militaires.