Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Voznessenski (Andreï Andreïevitch)

Poète soviétique (Moscou 1933).


Fils d’un ingénieur qui a participé à la construction des grands barrages sibériens, Andreï Voznessenski a obtenu en 1957 le diplôme de l’institut d’architecture de Moscou. Tout en poursuivant ses études d’architecture, il a fréquenté les ateliers des peintres V. G. Bekhteïev et A. A. Deïneka. C’est de ses années d’études que datent aussi ses premiers essais poétiques, qu’il soumet à Pasternak, le seul maître qu’il se reconnaisse parmi les poètes (Roublev, Le Corbusier et Joan Miró sont par ailleurs les artistes dont il se sent le plus proche). Il a vingt-cinq ans lorsque la Literatournaïa Gazeta publie ses premiers vers. Ses deux premiers recueils, Parabola (Parabole) et Mozaika (Mosaïque), paraissent en 1960, suivis par 40 liritcheskikh otstoupleni iz poemy Treougolnaïa groucha (Quarante Digressions lyriques au poème « la Poire triangulaire », 1962), Antimiry (Antimondes, 1964), Akhillessovo serdtse (le Cœur d’Achille, 1966), Ten zvouka (Ombre d’un son, 1970), et Vzgliad (Regard, 1972).

Voznessenski est, avec Evtouchenko, le poète le plus célèbre de la « génération du dégel », dont les audaces de forme et de pensée renouent avec la grande époque de la poésie russe moderne et rétablissent le contact avec un public lassé du conformisme des années staliniennes. À la différence d’Evtouchenko, il doit moins son succès à l’actualité de ses thèmes qu’à la fougue et à l’audace d’une affirmation lyrique, dont il trouve le modèle chez Pasternak. Cette affirmation s’exprime notamment dans le thème, primordial chez lui, de l’art comme expression d’une vocation de l’homme au génie et à l’immortalité (Parabolitcheskaïa ballada [la Ballade parabolique] ; Ballada totchki [la Ballade du point], 1959). Un autre thème majeur est celui de l’amour, glorifié comme une adhésion sans réserve au mouvement impétueux de la vie, donc comme une acceptation reconnaissante de la rupture et de la séparation (Ossen v Sigoulde [Automne à Sigoulda], 1960). Cependant, comme chez Pasternak, ce thème a pour pendant celui, pathétique, de la destinée féminine, que le poète ressent comme une blessure toujours ouverte (Sidich beremennaïa blednaïa... [Tu es là, enceinte, toute pâle...], 1959 ; Biout jenchtchinou [On bat une femme], 1962).

Le culte de l’audace créatrice fait de Voznessenski un admirateur enthousiaste de l’art moderne, dans son alliance avec les techniques d’avant-garde. De l’Aérodrome nocturne de New York (Notchnoï aeroport v Niou-Ïorke, 1962), le poète fait le symbole d’un monde contemporain qui le fascine, et dont il trouve l’image en Amérique. Cette fascination « occidentaliste » et « moderniste », que la critique lui a reprochée, a cependant pour contrepartie une sorte de goût sensuel de la nature primitive, qui se rattache expressément à l’image d’une Russie rude et généreuse comme une déesse païenne de la Fécondité (Sibirskie bani [Bains sibériens], 1959). D’autre part, le sentiment de ce qu’il y a d’aveugle et d’inhumain dans la civilisation des chiffres et des machines, et de la menace que celle-ci fait peser sur ce qu’il y a de plus fragile et de plus précieux en l’homme (sentiment qui se fait jour notamment dans les poèmes inspirés par l’Occident) donne un relief dramatique nouveau aux thèmes de l’amour et de la destinée féminine dans le poème Oza (1964), vaste composition lyrique.

Le goût de l’audace se manifeste aussi chez Voznessenski par l’émancipation de la forme poétique. Marchant ici aussi sur les traces de Pasternak, dont s’inspirent la structure hardiment associative de sa poésie, sa syntaxe familiale et elliptique, son organisation sonore fortement marquée, Voznessenski innove surtout par l’importance qu’il donne au principe rythmique, en s’inspirant notamment de la poésie populaire. Des changements de rythme à l’intérieur d’un même poème il fait un puissant moyen d’expression, qui rend sa poésie particulièrement propice à une interprétation orale et lui assure des succès considérables auprès des auditoires russes et étrangers.

Moins liés à l’actualité politique que ceux d’Evtouchenko, ses premiers poèmes s’inscrivent aussi cependant dans le mouvement de « déstalinisation » : ainsi, son premier poème de longue haleine, Mastera (les Artisans, 1959), fondé sur la légende selon laquelle Ivan le Terrible aurait fait crever les yeux des bâtisseurs de Basile-le-Bienheureux, illustre l’éternelle opposition entre l’art et le despotisme. Cependant, Voznessenski manifeste sa fidélité à l’idéal communiste, en particulier dans le long poème Longjumeau (1962), dédié au souvenir de Lénine.

M. A.

 A. A. Mikhaïlov, Andreï Voznessenski (en russe, Moscou, 1970).