Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vision (suite)

Cette pauvreté et ces confusions interdisent certaines carrières aux dichromates, notamment celles où une bonne reconnaissance des feux colorés est nécessaire (aviation, marine, chemin de fer). Même pour la conduite des automobiles il faut faire attention : le protanope, par exemple, voit les signaux rouges éteints, contrairement au deutéranope, mais, pour l’un comme pour l’autre, la distinction ne se fait que par la position du signal. Pour dépister le dichromatisme, on utilise des tests, dont le plus répandu est constitué de planches parsemées de ronds colorés : un sujet normal peut y lire par exemple un chiffre sur un fond d’une autre couleur, alors que le dichromate ne voit rien si la figure à lire et le fond sont composés de ronds dont les couleurs sont confondues par lui (tests d’Ishihara).

Il existe un autre type d’anomalie, encore plus fréquent que le dichromatisme (toujours chez les sujets masculins), mais moins grave : c’est le trichromatisme anormal. Il n’y a plus absence d’une fondamentale, mais une des fondamentales est réalisée par un pigment qui diffère de la normale. Dans les cas légers, ce défaut passe inaperçu, mais il s’accompagne parfois de mauvaises discriminations qui, ici encore, peuvent imposer des dépistages dans les métiers où une parfaite vision des couleurs est nécessaire.


Vision des formes

La question de l’acuité visuelle, c’est-à-dire des plus petits détails que l’œil sépare, semble à beaucoup le problème visuel majeur. Chez les Vertébrés, cette acuité dépend de deux facteurs : la qualité de l’optique de l’œil et l’existence, dans la rétine, de récepteurs indépendants assez rapprochés. Le premier facteur varie peu d’une espèce à l’autre ; au contraire, le second change beaucoup, selon que l’animal possède ou non une fovéa où les cônes sont serrés, effilés et surtout reliés séparément à une bipolaire et celle-ci à une ganglionnaire, afin que le message visuel arrive sans mélange au cerveau. Il est classique de dire que, chez l’Homme, cette acuité visuelle correspond à un angle de l’environ, encore qu’on observe des valeurs beaucoup moindres avec certains tests : ainsi, dans un vernier, où l’œil doit juger de l’alignement de deux traits, des valeurs de quelques secondes d’arc peuvent être obtenues, et la vision d’un fil télégraphique sur le ciel est encore possible pour un angle apparent inférieur à la seconde d’arc ; il est vrai qu’il ne s’agit plus ici de séparer des détails, mais de reconnaître l’ombre très légère que porte sur la rétine l’image du fil.

Dès qu’on sort de la fovéa, l’acuité baisse, non que l’image se détériore, mais parce que la rétine n’est plus capable de l’analyser en détail : il n’y a guère qu’un million de fibres dans le nerf optique de l’Homme, et chacune ne peut transmettre qu’une seule information à chaque instant, par la fréquence des « spikes » qu’elle véhicule. Les 7 millions de cônes de la rétine doivent donc se réunir à plusieurs pour envoyer ensemble leur message, et c’est encore pire pour les 120 millions de bâtonnets. C’est pourquoi l’acuité nocturne est mauvaise, la sensibilité aux faibles lumières prenant le pas sur l’analyse des détails.

Dans la vie pratique, la rétine latérale joue un rôle essentiel malgré son acuité mauvaise ; ainsi, dans certaines maladies où la fovéa devient aveugle, le sujet n’est guère gêné que pour des travaux fins ; au contraire, s’il perdait la vision latérale en conservant sa fovéa, il aurait un comportement de quasi aveugle, comme on peut s’en rendre compte en mettant devant un œil un long tube en carton et en fermant l’autre œil. L’intégrité du champ visuel latéral est, pour la conduite automobile par exemple, infiniment plus importante que l’acuité visuelle, qui est pourtant seule prise en considération par le code de la route.

Il existe dès le niveau rétinien des mécanismes de perception des formes, en particulier pour les directions verticales et horizontales, comme l’ont montré des études qui ont été faites sur le Chat et sur le Lapin notamment.


Mouvements

La vision met en jeu le mouvement de deux façons. D’une part, si l’œil est immobile, un objet qui se déplace dans le champ visuel de l’animal est perçu beaucoup mieux que s’il est immobile : en plaçant sa main assez latéralement, à bout de bras, on est incapable de compter ses doigts, mais que l’un de ceux-ci remue tant soit peu et on le voit. Les animaux savent cela d’instinct : ils font le mort pour ne pas attirer l’attention.

Il semble que cette sensibilité au mouvement soit liée à des ganglionnaires du type on-off, qui répondent dès qu’une variation de lumière se produit. Dans certains cas, la direction du mouvement agit, la ganglionnaire répondant par exemple pour des déplacements horizontaux et non pour des mouvements verticaux.

D’autre part, les animaux, et tout spécialement l’Homme, dont les yeux sont très mobiles dans les orbites, déplacent constamment leurs globes oculaires, sous l’action de six muscles pour chaque globe (par paires antagonistes), dont l’action est remarquablement précise. Quand un objet se déplace et qu’on le suit du regard, si le mouvement n’est pas trop rapide, les mouvements des yeux sont continus et réguliers. Au contraire, si on déplace volontairement le regard au lieu de poursuivre un mouvement extérieur, les yeux exécutent des saccades avec des temps d’arrêt intermédiaires. Un cas typique est la lecture : selon la longueur de la ligne, les yeux font quatre saccades, ou davantage, avec un retour de la fin de la ligne au début de la ligne suivante, le tout involontairement ; la lecture ne se fait pas lettre à lettre, sauf pendant l’apprentissage par les enfants, ni même mot à mot, mais par groupes de mots qu’on devine plutôt qu’on ne les lit. C’est ce qui rend difficile le métier de correcteur d’imprimerie : avec de l’habitude, il lit presque à allure normale, mais se rend compte qu’il y a une coquille par quelque chose de non usuel ; ensuite il cherche l’erreur lettre par lettre.