Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aviz (dynastie d’) (suite)

L’expansion portugaise

À l’origine de cette expansion (v. Henri le Navigateur), on peut discerner deux mobiles : désir de conquête territoriale chez une noblesse dont les revenus s’amenuisent de plus en plus, désir de commerce pacifique dans les milieux financiers de la capitale. Ces deux aspects, conquête guerrière et commerce, sont souvent réunis ; c’est le cas au début de l’expansion marocaine.

En 1415, l’expédition préparée dans le plus grand secret aboutit à la prise de Ceuta, centre d’une riche zone sucrière et terminus de routes sahariennes. La tentative de l’infant Ferdinand sur Tanger en 1437 est un échec total. Après la régence pacifique du prince Pierre, Alphonse V l’Africain (1438-1481) reprend une politique de pénétration au Maroc. La suzeraineté portugaise peut facilement s’imposer dans une bonne partie de cet empire en crise. Ainsi est constitué cet Algarve dalem mar em Africa dont rêvait Alphonse V. Mais ces conquêtes coûtent cher et rapportent peu : la route des caravelles a remplacé celle des caravanes pour le trafic avec l’Afrique noire, le sucre de Madère rend inutile celui de Ceuta ou du Sous. L’entretien des garnisons est un véritable gouffre financier, et, sagement, malgré ses scrupules de prince chrétien, Jean III (1521-1557) abandonne la majeure partie de ces conquêtes.

C’est que, durant la même période, l’Empire portugais a atteint des dimensions mondiales. Sous Jean II se crée un premier empire atlantique, fondé sur l’or et les esclaves africains et le sucre des îles atlantiques. Jean III poursuit une politique systématique d’exploration, politique dont son successeur, dom Manuel o Venturoso, Manuel le Chanceux, allait recueillir les fruits. En moins d’un siècle, un vaste empire se crée en Orient, mais essentiellement — ce qui fera sa faiblesse — un empire maritime et commercial. Au Brésil, par contre, les Portugais se taillent un vaste empire territorial. Avec les îles et le Brésil, c’est un nouvel Atlantique portugais qui se développe, reposant non plus sur l’or et le malaguette africain, mais essentiellement sur le sucre.

La conquête d’un empire n’est peut-être pas l’aspect le plus spectaculaire de l’expansion portugaise. Les conquêtes territoriales ne sont certes pas négligeables ; mais plus prodigieuse encore est cette formidable émigration qui, en quelques décennies, éparpille les Portugais dans tout l’univers. Ils s’infiltrent dans les colonies hispano-américaines, fréquentent les foires de Gambie, sillonnent l’Angola ou le Monomotapa à la recherche de métaux précieux. Nous les retrouvons en Inde, dans l’Indonésie, à Macao et même au Japon. António de Andrade (1580-1634) atteint le Tibet, Bento de Góis (1562-1607) traverse le Pamir et va en Mongolie. Dans le Nouveau comme dans l’Ancien Monde, les Portugais, commerçants, missionnaires, soldats, sont partout. Si Jean III a dû pratiquer en Europe une politique prudente d’isolement, l’expansion portugaise au xvie s. est telle que parler d’économie portugaise c’est évoquer l’économie mondiale.


L’évolution de la métropole

L’or d’outre-mer n’a pas eu au Portugal un rôle révolutionnaire. Il arrive progressivement, et surtout il est obtenu par échanges. Ce n’est pas le produit de rapines, et quels que soient les avantages du troc, il faut quand même fournir des contreparties. Cet or, facteur de richesses au même titre que le poivre ou le sucre, n’a pas sclérosé le Portugal, mais en a fait une puissance riche et entreprenante.

La vie maritime est toujours aussi active : les marins portugais fréquentent les ports français ou biscaïens, les pêcheurs vont sur les bancs de Terre-Neuve. Les besoins d’exportation stimulent les industries locales ; ainsi Manuel fait remettre en activité les mines de cuivre d’Aljustrel. L’agriculture se transforme avec le développement de la culture du maïs et la poussée vers le nord de l’olivier.

Les premières décennies du xvie s. sont pour le Portugal le siècle d’or. Lisbonne, grand centre international de plus de 100 000 habitants, devient une des métropoles européennes. C’est la grande période de l’art manuélin, depuis la sobre beauté de la fenêtre de Tomar jusqu’aux surprenantes chapelles inachevées de Batalha. L’enseignement se développe sous l’impulsion de Jean III, et l’université de Coimbra figure en bonne place dans la hiérarchie européenne. Arrivés en 1540, les Jésuites vont jouer au Portugal un rôle essentiel ; ayant le quasi-monopole de l’enseignement, ils vont forger un sentiment national. Le portugais a déjà remplacé le latin dans les textes juridiques et Luís de Camões* allait lui donner ses lettres de noblesse. Mais l’auteur des Lusiades ne doit pas faire oublier les André Falcão de Resende (1527-1599), Gil Vicente (v. 1470 - v. 1536), Francisco Sá de Miranda (1481-1558), João de Barros (1496-1570), etc.


Le problème des nouveaux chrétiens

Malgré une persécution larvée, la communauté juive jouait un rôle essentiel au Portugal, et, vers la fin du xve s., la majeure partie de la richesse liquide se trouvait entre ses mains. De là une certaine méfiance de la part du gouvernement, mais aussi un violent antisémitisme populaire, sentiment qui s’étendait aussi aux « nouveaux chrétiens », juifs convertis de fraîche date. Quand la Castille bannit ses juifs en 1492, Jean II en accueillit bon nombre au Portugal : artisans, riches, etc. Les ambitions matrimoniales de Manuel l’obligèrent à renoncer à cette politique de tolérance.

En 1496, il ordonna l’expulsion des juifs, et aussi des musulmans. Concentrés à Lisbonne, nombre de juifs se convertirent sous la menace ; seule une poignée fut réellement expulsée, ainsi que les musulmans. L’unité religieuse était ainsi réalisée au prix de quelques dizaines de milliers de nouveaux chrétiens. Conscient de la faiblesse d’une pareille conversion, Manuel interdit toute attaque contre les nouveaux chrétiens pendant vingt ans. Cela ne désarme pas l’hostilité populaire et, de 1504 à 1506, eurent lieu de nombreux massacres. Pour détourner et arrêter cette fureur populaire, Manuel demanda à la papauté la création au Portugal d’un tribunal de l’Inquisition. Malgré les réticences du pape, qui craignait cette Inquisition d’État, instrument au service du pouvoir, le premier tribunal fut créé en 1540 à Coimbra. L’hostilité contre les nouveaux chrétiens subsiste, non pour des raisons religieuses, mais pour des raisons d’ordre économique. Ils sont les vrais maîtres du commerce, soit comme commendataires des entreprises royales au début, soit comme fermiers ensuite. Certains ont pu quitter le Portugal en emportant leurs biens, tissant ainsi sur toute l’Europe un vaste réseau commercial. La plupart restent et se fondent dans la population. Jouant un rôle essentiel tant sur le plan intellectuel qu’économique, ils ont suscité bien des jalousies. Au début du xviie s., l’Inquisition estimait à 200 000 le nombre de familles portugaises qui avaient du sang juif, plus du tiers de la population !

La création du Saint-Office a eu un effet bénéfique immédiat : désarmer les violences populaires. Par la suite, il a conservé l’unité religieuse, mais, par la censure des livres, il a eu un effet stérilisant sur la pensée portugaise.