Metteur en scène de cinéma français (Paris 1905 - id. 1934).
Il naît au moment où son père, Eugène Vigo, dit Miguel Almereyda, intensifie son activité révolutionnaire au sein d’organisations anarchistes et dans les journaux politiques. Arrêté en août 1917, ce dernier meurt peu après en prison. L’hypothèse du suicide, émise en cours d’enquête, a été réfutée par certains, convaincus qu’il a été assassiné. Jean Vigo quitte alors Paris pour Montpellier, où l’on s’efforce de dissimuler son identité. Inscrit dans une école de Nîmes, il y passe quatre ans avant de devenir interne au lycée de Chartres (1922), où il abandonne définitivement son nom d’emprunt « Jean Salles ». C’est en Sorbonne, où il s’est inscrit pour y préparer une licence de philosophie, qu’il commence à songer au cinéma, tout en œuvrant à la réhabilitation de son père. La maladie l’obligeant bientôt à quitter Paris pour Font-Romeu (1927), il y rencontre l’écrivain Claude Aveline, puis découvre Nice, où il fait la connaissance de Claude Autant-Lara et de Germaine Dulac, qui lui promet de l’aider au sein de la compagnie Franco-films. Jean Vigo et sa fiancée s’installent donc sur la Côte d’Azur, où Jean travaille alors aux côtés de Léonce Henry Burel, chef opérateur de Vénus, qui se tourne aux studios de la Victorine. À cette époque, Jean, qui écrit déjà beaucoup, rencontre Jean Lods et le frère de Dziga Vertov, l’opérateur Boris Kaufman. C’est avec ce dernier qu’il commence un documentaire ironique et caustique, À propos de Nice, dont le tournage s’achève en 1930. Le Rimbaud du cinéma est né, agressif, passionné, pessimiste. Le film est présenté à Paris en mai 1930 et connaît un succès critique certain. En 1932, Vigo est élu au Comité directeur de la Fédération française des ciné-clubs et tourne Zéro de conduite (fin 1932 - début 1933 ; titre de tournage : les Cancres). Présenté en avril 1933, ce film ne soulève guère d’enthousiasme, et Gide lui-même émet des réserves. Autre malchance : la commission de censure refuse le visa en raison de l’aspect « subversif » de l’œuvre (peut-être aussi en souvenir du père de Vigo). Le film reste invisible, sauf dans les ciné-clubs, jusqu’en 1945. Profondément autobiographique, il nous raconte la simple histoire d’une rentrée des classes effectuée par des élèves qui sont loin d’être des enfants modèles : Vigo nous les montre sans indulgence, parce qu’il les aime et les voudrait différents. C’est une œuvre plus tendre qu’anarchiste, où les élans de colère débouchent sur l’amour et un espoir certain dans une société nouvelle. Après divers projets abandonnés, Vigo se laisse convaincre par un producteur d’adapter un obscur scénario de Jean Guinée, l’Atalante. Conseillé par Georges Simenon, il effectue des repérages, engage les comédiens (fin 1933 - début 1934), tourne le film et, compte tenu de l’intérêt relatif que manifestent les exploitants, se voit contraint de le rebaptiser le Chaland qui passe, titre de la chanson que le producteur ajoute à la partition de Maurice Jaubert. Insuccès total, ce poème de l’eau (un thème d’élection de Vigo, rapidement traité dans son court métrage de commande Taris, roi de l’eau, 1931), où le réalisme s’unit à une poésie d’essence surréaliste, demeure le chef-d’œuvre de Vigo. Le cinéaste meurt le 5 octobre 1934, vaincu par la septicémie. Son bref passage dans le cinéma a eu la fulgurance de l’éclair, dont la lumière aujourd’hui n’est pas ternie : il n’est pas sûr que Jean-Luc Godard existerait vraiment s’il n’y avait eu, au firmament des poètes, l’œuvre tourmentée, fébrile, virulente et romantique de l’élève Vigo. Un élève qui fut son propre maître.
M. G.
P. E. Sales Gomes, Jean Vigo (Éd. du Seuil, 1957). / Jean Vigo, numéro spécial de Premier Plan (Serdoc, Lyon, 1961). / M. Estève (sous la dir. de), Jean Vigo (Lettres modernes, 1967). / P. Lherminier, Jean Vigo (Seghers, 1967).