Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vigne et vins (suite)

Or, les raisins et le vin — par leur composition — se distinguent fondamentalement de tous les autres fruits et de toutes les autres boissons fermentées. Le moût de raisin, en effet, est un milieu privilégié pour la fermentation alcoolique. La qualité et le taux de son acidité ainsi que ses constituants phénoliques en font un milieu inhibiteur pour bon nombre d’agents pathogènes. Avec un raisin normal et une technique de vinification tenant compte de nos connaissances physiologiques, biologiques et physico-chimiques, on peut élaborer un vin se suffisant à lui-même — et pour sa maturation et pour sa conservation ultérieure — en se limitant aux précautions ordinaires de propreté et d’hygiène.

La multiplication des traitements d’ordres physique, physico-chimique et chimique est trop souvent une conséquence de l’application de techniques de vinification défectueuses.

Parmi les traitements, il faut distinguer les traitements classiques et naturels, tels que les soutirages périodiques. En la circonstance, on ne doit jamais oublier que l’air est plutôt malfaisant que bienfaisant, sauf dans quelques cas bien précis, quand des constituants de forme réduite donnent mauvaise odeur.

Les filtrations et les collages subissent des progrès réels, aussi bien du côté des matériaux que du côté de l’appareillage. La recherche d’une limpidité parfaite est à l’origine d’exigences de plus en plus grandes et de la multiplication des opérations ; on va même jusqu’à la recherche du vide microbien.

Une filtration très poussée ne se fait pas sans diminuer le potentiel qualitatif du vin. Ici s’opposent la qualité apparente, où la limpidité est facteur déterminant, et la qualité réelle, avec un maximum de valeur hygiénique et nutritionnelle. Dans le premier cas, les microconstituants, tels que vitamines B, acides aminés, oligo-éléments, sont en partie éliminés. Dans le second cas, ils sont conservés.

Le traitement raisonnable des raisins et la conduite convenable des vinifications conditionnent finalement une limpidité satisfaisante.

C’est dire que collage et filtration, surtout, contrairement à la tendance actuelle, ne devraient être appliqués que dans des cas bien définis et limités.

Le vieillissement et la stabilisation des vins sont des termes impropres. Le vin est essentiellement un milieu biologique en évolution permanente. Rapide au début, plus lente ensuite, cette évolution est marquée par des phénomènes visibles (précipitations, changements de couleur, dégagement de CO2) et par d’autres invisibles (échanges éventuels entre levures et milieu, estérification, polymérisation, qui, suivant l’état de condensation, peuvent donner lieu à des précipitations [matières tannoïdes]) ; enfin, des phénomènes microbiens ou enzymatiques transforment les substrats, tels que l’alcool, la glycérine et les acides.

En fait, on doit distinguer trois âges dans la vie d’un vin : sa jeunesse, pendant laquelle l’amélioration gustative se poursuit ; sa maturité proprement dite, où le vin a acquis une certaine plénitude de qualités ; enfin la phase de sénescence, où le vin perd de plus en plus ses qualités. La technologie des vins doit tendre à accélérer la première phase, à prolonger le plus possible la deuxième et à retarder la troisième.

En dernière analyse, la stabilisation n’est autre chose que la pasteurisation. Celle-ci a évolué favorablement — dans sa conception et surtout dans sa réalisation — au fur et à mesure que progressaient les sciences nutritionnelles et microbiennes ainsi que la connaissance du raisin et du vin. Elle est devenue à la fois plus exigeante, plus délicate et plus efficace. Elle ne peut être réalisée que par l’action de hautes températures stérilisant le milieu, détruisant les micro-organismes, ce qui est souhaitable, mais aussi les enzymes, ce qui, pour certains, est fort regrettable. Ces actions thermiques sont suivies de collage et de filtration plus ou moins poussés. Des microconstituants précieux, quelques oligo-éléments et vitamines, sont éliminés. Le potentiel biologique qu’avait le vin avant traitement est ainsi diminué.

Mais le plus grave, c’est que ces traitements appliqués au cours de la première phase de maturation désorganisent celle-ci. L’évolution biologique est contrariée. La stabilisation ne devrait intervenir qu’à la fin de la deuxième phase. De toute façon, le potentiel biologique se trouve diminué.

Pour la conservation des vins, une ère nouvelle a débuté avec l’usage systématique des atmosphères protectrices contre toute oxydation. On emploie soit l’azote, soit le gaz carbonique, ou bien un mélange des deux, ou enfin l’argon. Cette protection est fondamentale pour les vins blancs et les vins à consommer jeunes.

Les vins soumis à maturation n’ont pas la même exigence. Mais l’influence de l’air doit être progressive. La fixation de l’oxygène n’est pas la même dans le cas d’apport massif que dans le cas d’apport lent ; celui-ci permet au système d’oxydoréduction existant dans les vins de fonctionner normalement.

Les traitements, en dehors de traitements classiques, aboutissent trop souvent, en fin d’analyse, à tromper le consommateur, surtout quand il s’agit du mélange de vins.

Si l’on invoque la nécessité d’uniformiser la production, c’est faire peu de cas du désir du consommateur ; une propagande insidieuse a, sans nul doute, déformé le goût et l’a mal informé sur les caractères naturels du bon vin, variables, évidemment, en fonction de l’année ; or, le consommateur souhaite des caractères aussi proches que possible d’une année à l’autre. Ainsi est né le « mélange des vins », expression qui mérite d’être précisée.

Dans le mélange, on devrait distinguer l’assemblage et le coupage. L’assemblage consiste à mélanger des vins d’origine identique se complétant harmonieusement en constituants et en valeur gustative. Les traitements ultérieurs sont alors réduits au minimum. Le coupage est le mélange de vins trop souvent inconsommables par nature avec des vins « correctifs » ou améliorants. Aussi ces vins sont-ils appelés parfois vins médecins. Les coupages exigent des traitements assez nombreux, dont on connaît les inconvénients.

Pour justifier le coupage des vins et les traitements divers qu’ils subissent, on invoque le goût du consommateur, qu’on croit fixé une bonne fois pour toutes. En fait, les goûts sont variables, et rechercher l’uniformité, c’est agir contrairement aux aspirations des groupes et des individus.