Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vigne et vins (suite)

La nouvelle géographie de la Vigne

La géographie de la Vigne est en train de subir une mutation nouvelle : après l’ère de la démocratisation et de la poussée des vignobles de masse, l’évolution du goût remet en faveur des productions plus fines et plus diversifiées. Dans une société d’abondance, le vin est un des articles qui correspond le mieux à l’élargissement des ressources et au souci nouveau de la qualité de la vie. Tous les pays avancés se trouvent touchés par cette transformation. En Scandinavie, en Grande-Bretagne, au Canada, aux États-Unis, l’achat d’une bouteille pour accompagner un repas a cessé d’apparaître comme un luxe réprouvé par la morale puritaine. En Allemagne, en Belgique, en Suisse, les habitudes se modifient aussi. Dans les pays traditionnellement gros producteurs, les vins de qualité courante se vendent mal. La demande est de plus en plus adressée à des produits supérieurs.

Tout cela se traduit par une augmentation notable des prix de vins de grands crus : la clientèle moyenne ne peut plus acheter ces vins. On voit donc se multiplier les plantations et les récoltes dans les régions capables de fournir des vins de qualité moyenne, vins de pays, vins d’appellation contrôlée, si on emploie les catégories françaises. Cela redonne vie aux terroirs où la vigne rencontrait des difficultés, car la productivité y est faible : ils livrent des produits de la qualité la plus recherchée aujourd’hui.

La géographie de la Vigne est donc à la fois le reflet des conditions naturelles et celui des habitudes de boire anciennes ou récentes. C’est à la longue tradition aristocratique et bourgeoise que la France doit la multiplicité de ses zones de viticulture savante : Bordelais, pays de la Loire, Champagne, Alsace, Bourgogne, Beaujolais, Côtes-du-Rhône. Elle lui est redevable aussi de la notion de cru, cette idée que la qualité dépend à la fois du cépage (les pays germaniques le savent aussi) et du terroir. La vague de démocratisation a créé chez nous le type original du vignoble de masse, esquissé déjà avant la révolution des transports dans l’aire d’approvisionnement de Paris ou, pour le ravitaillement du commerce néerlandais, sur les rives de l’Atlantique, avant de trouver sa plus parfaite expression dans le Languedoc. Depuis une cinquantaine d’années, l’affinage du goût se traduit par la formation de nouvelles régions productrices spécialisées dans les qualités moyennes : certaines retrouvent des implantations un temps négligées, comme à Cahors, à Arbois, à Auxerre ou à Sancerre. D’autres sont des créations neuves, comme toutes les zones qui se sont fait, en Provence, une spécialité des vins rosés. Depuis longtemps, l’économie des régions de cru a cessé de dépendre du seul marché français. La transformation des goûts dans les pays étrangers est en train de produire le même effet pour les produits de qualité moyenne.

Plus que les autres cultures, la viticulture a eu de tout temps la vertu de créer chez ceux qui la pratiquent une subtile façon de vivre. On a pu parler de civilisations de la Vigne : celles-ci trouvent leur plus parfaite expression dans des zones rurales depuis longtemps vivifiées par l’influence des villes et du grand commerce, le Bordelais et la Bourgogne en fournissant les meilleurs exemples. La prospérité actuelle de certaines viticultures doit beaucoup à ces foyers vigoureux, mais l’uniformisation des modes de vie laisse déjà prévoir le moment où ces milieux disparaîtront et où la Vigne perdra une bonne part de ce qui en faisait un signe de civilisation rurale supérieure.

P. C.


La viticulture

Les activités viti-vinicoles sont en pleine extension dans le monde. En France, leur importance les met dans le groupe de tête des activités agricoles du pays. Par la superficie de son vignoble (environ 1 200 000 ha), la variété et la qualité de sa production (de 60 à 80 Mq de raisins), la France était et est encore le premier pays viticole du monde. Sa production de vin (de 60 à 80 Mhl) représente près du quart de la production mondiale.

Ces activités sont motivées par la recherche de la qualité, selon des critères gustatifs, hygiéniques et nutritionnels. Une qualité apparente ne suffit plus. Aussi est-il nécessaire d’effectuer un choix de plus en plus sévère et judicieux, en viticulture, de plants sélectionnés et, en œnologie, des méthodes de vinifications appropriées.

Toutefois, le classement actuel des cépages est fait en fonction exclusive d’une production de vin. La renommée des vins français n’y est sans doute pas étrangère.

Or, planter aujourd’hui, c’est constituer un vignoble qui sera en pleine production dans vingt-cinq ans et au-delà. Il est à peu près certain, eu égard à l’évolution constatée aujourd’hui, que la proportion des boissons non fermentées à base de raisin sera beaucoup plus importante à la fin du xxe s. qu’elle ne l’est aujourd’hui.

C’est pourquoi la sélection des cépages devrait être plus prospective qu’elle ne l’est, aussi bien grâce au choix rationnel des cépages existants que grâce à la création de nouveaux cépages mieux appropriés : cépages plus aromatiques pour des vins spéciaux, des jus de raisin et peut-être des eaux-de-vie, plus acides et moins sucrés pour les jus de raisin, plus colorés pour les vins rouges en général, etc.

D’une façon générale les rendements moyens, dans tous les pays, augmentent. C’est la conséquence du renouvellement du vignoble avec un choix de cépages et de clones plus productifs, mais parfois plus sensibles aux maladies, d’une protection mieux assurée, mais de plus en plus onéreuse et délicate, d’une culture plus intensive avec un emploi généreux d’engrais. Il en résulte un plus grand nombre de récoltes excédentaires, et ce d’autant plus que le vin est le dérivé presque exclusif du raisin.

L’économie viticole, et tout spécialement en France, s’en trouve bouleversée. On constate de plus en plus un hiatus dans les préoccupations du vigneron ; s’il est resté un remarquable viticulteur, celui-ci s’est trop souvent désintéressé des problèmes posés par la transformation du raisin en vin ; d’où, parfois, l’emploi d’un équipement irrationnel et de techniques contraires à une saine politique de qualité.

Certes, la qualité du raisin conditionne au départ celle du vin. Mais cette dernière est aussi fonction, pour une très large part — parfois prépondérante même — des modalités de transformation du raisin en vin, au point que le meilleur des raisins de cuve peut produire un vin ne répondant plus aux critères qualitatifs exigés aujourd’hui.

Sur un plan général, on assiste à une extension du vignoble dans un grand nombre de régions du monde. C’est que la Vigne peut croître dans des climats très divers et sous diverses latitudes, même tropicales. Quel que soit le climat, la culture de la Vigne est possible partout où une période de sécheresse suffisamment longue existe.

Par contre, si le climat est continuellement chaud et humide, elle est rendue difficile. Les progrès de la génétique apporteront-ils une solution à ces problèmes climatiques ? En attendant, il existe de nombreuses zones à vocation viticole encore inutilisées, que l’on peut exploiter.

Quoi qu’il en soit, parallèlement aux vignobles traditionnels, naissent et se développent des vignobles concurrentiels. La recherche de la qualité est vitale pour les premiers.

Une des caractéristiques de la vie d’un vignoble est son exigence en main-d’œuvre. De toutes les cultures, la Vigne est peut-être celle qui demande le plus de soins : plus que toute autre, elle associe sa vie à celle de l’Homme. Aussi a-t-on pu parler de civilisation de la Vigne pour caractériser certaines civilisations humaines.