Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Viêt-nam (suite)

Le triomphe de la romanisation

Dès lors se voit définitivement assuré le triomphe du vietnamien romanisé. Pham Quynh (1892-1945) fonde en 1917 la revue Vent du Sud, qu’il animera, jusqu’à sa disparition en 1934, avec le concours des plus grands parmi les meilleurs lettrés. Érudit, orateur de talent, brillant écrivain, homme politique éminent, il est l’auteur d’une foule d’ouvrages consacrés tant à la grandeur de la nation vietnamienne qu’à la connaissance des littératures chinoise et surtout française. Grâce à lui, surtout, le vietnamien devient une véritable langue de culture.

Le roman moderne fait une timide apparition à Hanoi dès 1925 avec la Pastèque de Nguyên Trong Thuât (1883-1940) et Tô Tâm (nom de l’héroïne) de Hoang Ngoc Phach (né en 1896). Dans Tô Tâm, récit d’un amour contrarié, voué à une fin malheureuse, apparaît le heurt inévitable entre la tradition, rigide, et la soif de liberté de la jeunesse. Ce désir de liberté de l’individu se fait jour désormais dans tous les domaines, et la morale confucéenne, attaquée, ébranlée, finit par céder devant les idées nouvelles héritées de l’Occident.

Recueillant le legs du passé, Nguyên Van Ngoc (1891-1942) attache son nom à la création d’une « Bibliothèque de littérature vietnamienne » et d’une « Bibliothèque des œuvres anciennes et modernes ». Grâce à lui, nous est connue une masse de dictons et de proverbes, de chansons et de légendes.

Les revues Mœurs (1932), puis Aujourd’hui (1935) sont l’organe du « Groupe littéraire autonome », qui anime la période 1930-1940. À ce groupe appartiennent la plupart des grands auteurs du moment, décidés à consacrer une littérature moderne, enfin totalement libérée de l’emprise du chinois, mettant en œuvre une langue nationale simple, claire et précise. Impossible de citer, tant ils sont nombreux, les romans à très gros succès dressant le tableau réaliste de la société contemporaine, avec la lutte que se livrent anciens et modernes, s’ajoutant au conflit des générations. Nhât Linh (1906-1963) et Khai Hung (1896-1947) sont, sans conteste, les plus grands des romanciers du groupe.

Dans le domaine de la poésie d’inspiration populaire, Hô Trong Hiêu (né en 1900) fait, sous le pseudonyme de Tu Mo, une critique satirique des mœurs du temps. Plus grand encore, Thê Lu (né en 1907) fait figure de leader de la poésie nouvelle, sacrifiant à la clarté l’obéissance aux règles ; fortement imprégnés de culture française, ses vers chantent les beautés de la nature à l’état sauvage. Auprès deux se tiennent de jeunes poètes au renom confirmé : Xuân Diêu (né en 1917), chantre de l’amour, Huy Cân (né en 1919), Luu Trong Lu (né en 1912) et enfin Han Mac Tu (1912-1940), catholique fervent, poète lépreux, dont les « chants désespérés » et les « poèmes fous » émeuvent par la souffrance et l’angoisse qu’ils recèlent.

Le journalisme a grandement facilité une telle richesse de publications, auxquelles s’ajoutent d’intéressants reportages de type social. Vu Trong Phung (1912-1939) excelle dans ce genre, alliant à ses qualités de romancier un sens très poussé d’observation réaliste. Avec, en 1935, la suppression de la censure et l’octroi de la liberté de la presse, le journalisme prend un nouvel essor. Une statistique officielle révèle qu’en 1939, au Viêt-nam, paraissent 128 quotidiens et 176 bulletins ou revues. L’essayiste Nguyên Tuân (né en 1913) acquiert la notoriété en 1940 avec ses Échos et reflets d’une époque.

Quant au théâtre, il ne demeure pas en marge du mouvement. Après la traduction des classiques français, un théâtre rénové prend naissance dans le Sud et acquiert peu à peu ses lettres de noblesse, tandis que demeurent les pièces de type classique, largement tributaires du chinois. Là encore, lyrisme et réalisme caractérisent les auteurs, dont le plus célèbre demeure Vi Huyên Dac (né en 1899).


Un temps de désarroi

L’échec du mouvement révolutionnaire des années 30 n’a pas, pour autant, découragé nationalistes et progressistes, qui, à la faveur des circonstances et du développement des idées venues de l’Occident, trouvent une audience élargie parmi le peuple. Il en est qui stigmatisent le caractère trop bourgeois des romans et de la poésie nouvelle. Les reportages mettent davantage l’accent sur les mauvais côtés de la société, proposent des mesures « avancées » pour assurer une meilleure existence à la masse des déshérités.

Mais la guerre éclate, et survient l’occupation japonaise, qui s’accompagne d’un nouvel essor du nationalisme. L’autorité coloniale s’émeut et restreint la liberté d’expression. Il s’ensuit un profond désarroi des consciences. Le groupe littéraire « Tritân » fonde en 1941 une revue du même nom, d’où la politique est absente. Les articles publiés se tournent vers le passé, mais leur intérêt certain décroît rapidement. Une nouvelle revue naît en 1943, Thanh-nghi, animée par des intellectuels pour la plupart progressistes, désireux de conduire la population vers une meilleure connaissance des questions juridiques, politiques et sociologiques. Elle meurt en 1945, sans doute parce que trop dirigée et insuffisamment réaliste.

Peu d’auteurs nouveaux. Devant les entraves rencontrées dans le domaine du présent, chacun se consacre, selon ses goûts, à des études philologiques ou historiques surtout. Le poète Vu Hoang Chuong (né en 1916), à l’image de biens d’autres, recherche l’oubli. Quach Tân (né en 1910) opère un retour vers le classicisme. Avec le groupe « Han Thuyên », une littérature marxiste se fait jour au milieu de romans et de reportages en tout genre.


Deux pays, deux tendances

Le Viêt-minh s’empare du pouvoir le 19 août 1945 à Hanoi. Sous son impulsion, les idéaux de patriotisme et de nationalisme sont largement célébrés. Au sein de cette littérature dirigée, parmi d’abondants récits et reportages effectués avec le souci de la grandeur du mouvement communiste, Tô Huu (né en 1920) occupe une place de choix grâce à ses poèmes révolutionnaires.

Mais une nouvelle guerre franco-vietnamienne éclate à la fin de 1946, pour durer jusqu’aux accords de 1954. Le conflit entraîne une division des écrivains : les uns exaltent la résistance ; les autres se consacrent principalement à des rééditions.

Les négociateurs de Genève coupent en deux le Viêt-nam, et la littérature prend alors deux directions totalement opposées.

Dans le Nord, l’art pour l’art étant repoussé et proscrit, la liberté d’expression étant étroitement subordonnée à des considérations politiques et sociales, les écrits connus présentent de réelles faiblesses. Seuls des travaux d’érudition et des traductions d’ouvrages anciens, effectués en équipes, méritent une admiration sans réserve.