Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vienne (cercle de) (suite)

Logique et mathématiques

Touchant la logique, le premier point de la doctrine du cercle de Vienne est le suivant : la logique est un mode d’organisation de notre langage, une méthode de parler d’objets. Mais la logique ne parle sur aucun objet (c’est ce que Hahn, visiblement d’après Wittgenstein, appelle la « nature de tautologies des vérités logiques »). Cette conception nominaliste de la logique s’oppose aux conceptions platoniciennes selon lesquelles la logique décrirait des réalités (les propriétés générales des objets, les structures de l’Être, etc., ou peut-être, plus modestement, des classes et des relations).

Un second point est le fait constatable que les vérités logiques (par exemple « cette rose est rouge ou cette rose n’est pas rouge ») ne sont réfutables par aucune observation. Hahn y voit « la base du caractère certain et de la validité universelle des lois logiques ».

De ces deux remarques, les positivistes viennois infèrent que l’irréfutabilité des lois logiques provient de ce qu’elles ne disent rien sur quelque objet que ce soit. D’où ils tirent la conséquence que la logique est engendrée par le langage, ce qui représente une assertion plus forte que de dire qu’elle consiste en les lois de l’emploi du langage. Ainsi, l’instance du tiers exclu citée plus haut et qui est « une proposition logique », c’est-à-dire logiquement vraie, est vraie en vertu du langage ou, plus précisément, en vertu des conventions sur l’emploi des opérateurs ne ... pas et ou. Cela signifie qu’étant donné le langage et ses règles elle est automatiquement vraie : « Elle exprime seulement une convention sur la manière dont nous voulons parler » (H. Hahn, « Logic, Mathematics and the Knowledge of Nature », repris dans A. J. Ayer). Cette théorie, qu’on appelle tantôt théorie linguistique de la vérité logique (logiquement vrai = vrai en vertu du langage), tantôt théorie de la vérité logique comme convention linguistique, a été discutée par Quine (« Carnap and Logical Truth », dans Schilpp ; voir aussi Philosophy of Logic, 1971).

Les mathématiques sont rangées avec la logique parmi les sciences formelles, dont les vérités sont d’ordre analytique, par opposition aux sciences factuelles ou sciences de faits, qui établissent des propositions synthétiques, c’est-à-dire des descriptions de données observables ou des propositions générales utilisées comme lois ou comme hypothèses.

Les propositions analytiques de la logique et des mathématiques ont un rôle auxiliaire dans la dérivation de nombreuses propositions synthétiques et sont dépourvues de contenu propre. Ces sciences formelles n’ajoutent rien au domaine de la science parce qu’il n’existe pas d’objets formels comme il existe des objets réels. Elles sont des systèmes de propositions auxiliaires « sans objet ni contenu » (Carnap, « Formal and Factual Science » [1934], repris dans H. Feigl et M. Brodbeck). L’auteur conclut que, par suite, la distinction entre sciences formelles et sciences factuelles n’endommage pas l’unité de la science.


La notion de vérifiabilité

Les représentants du positivisme logique pensaient qu’un énoncé n’a de sens que s’il est analytique ou vérifiable empiriquement. Cette idée remonte à Hume et, plus près de nous, à Mach et à P. W. Bridgman (« Le sens d’un terme est la collection de ses règles d’application »). Le principe de vérifiabilité, ou critère empiriste du sens, que le cercle de Vienne attribue à Wittgenstein : « Le sens d’une proposition est identique à sa méthode de vérification », semble être une variante de cette idée des empiristes. Comme on l’a vu plus haut, elle est une arme antimétaphysique. Toutefois, ce principe semble ne pas avoir de statut bien clair, car, s’il est analytique, autrement dit tautologique, il n’a pas de valeur informative (il ne dit rien sur aucune réalité distincte de lui), tandis que, s’il est empirique, il n’est ni nécessaire ni sûr, et il tombe bizarrement dans son propre champ d’applicabilité.

Il est naturel de demander que quiconque énonce une proposition soit en mesure d’indiquer à quelles conditions cette proposition est vraie ou fausse, et on a en effet l’impression que « celui qui ne serait pas capable de cela ne sait pas ce qu’il dit » (Waismann). Cependant, il y a davantage dans l’exigence de vérifiabilité. Pour éviter les malentendus les plus grossiers, les membres du cercle de Vienne ont précisé que vérifiabilité n’équivaut pas à vérité et qu’il faut entendre par vérifiabilité une vérifiabilité de principe, la possibilité logique d’une preuve tirée de l’observation et qui établirait, si on la trouvait, la vérité de la proposition en question (alors que, dans le « critère » de Bridgman cité plus haut, les règles sont supposées immédiatement présentes).

Certaines formulations du principe de vérifiabilité ont engendré des conséquences indésirables. Ainsi, il ne suffit pas de dire qu’une proposition donnée est douée de sens s’il est possible de décrire une preuve fondée sur l’observation et d’où résulterait que cette proposition donnée est vraie. Lorsqu’on traduit en termes précis cette tentative de définition : « Une proposition p est douée de sens s’il existe des énoncés d’observation O1, ..., On tels que p est conséquence logique de la conjonction de O1, ..., On », on s’aperçoit que la condition proposée est satisfaite dans deux cas imprévus, celui où p est analytique (c’est-à-dire vraie sur la base de la logique seulement) et celui où O1, ..., On sont incompatibles entre eux (leur conjonction est inconsistante ; elle implique n’importe quoi). On exclut ces deux cas en disant que p est vérifiable si elle est non analytique et conséquence logique d’un ensemble fini et consistant d’énoncés d’observation. (En passant, on voit sur cet exemple, quel genre de bénéfice la philosophie est à même de tirer de l’analyse logique du langage ; on remarque aussi que la philosophie du cercle de Vienne procède avec des énoncés qui sont des règles autant que des assertions et que ces règles sont susceptibles de voir leur formulation se perfectionner dans le sens d’une correction et d’une rigueur croissantes.) Néanmoins, sous la dernière forme indiquée ci-dessus, le principe de vérifiabilité n’est pas encore à l’abri des objections : en effet, certaines lois scientifiques apparaissent comme n’étant pas complètement vérifiables ; il n’existe pas d’ensemble fini déterminé d’expériences dont la donnée équivaudrait à la vérification de ces lois. Par exemple, une loi qui a la forme d’une quantification universelle et qui, donc, est susceptible d’un nombre indéfini d’instances ne peut pas être conséquence d’un nombre fini d’énoncés d’observation. Hempel (« The Empiricist Criterion of Meaning », repris dans Ayer) cite d’autres défauts de la formulation ci-dessus : si une proposition p satisfait un tel critère, p ⋁ s, où s est une proposition condamnée comme dénuée de sens par le critère, le satisfait aussi. Une autre conséquence surprenante ou paradoxale est celle-ci : si une quantification existentielle ∃xP(x) est vérifiable, sa négation ne sera pas complètement vérifiable (en tant qu’énoncé général, cf. plus haut). Par suite, la négation d’une proposition vérifiable n’est pas forcément vérifiable.