Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Victor-Emmanuel II (suite)

Tout en animant et consolidant le régime libéral dans le royaume de Piémont-Sardaigne, Cavour multiplie avec la France de Napoléon III les liens qui aboutiront à une alliance offensive. Le Piémont participe à la guerre de Crimée (1854-55), et Cavour obtient que la question italienne soit soulevée lors du congrès de Paris (1856). Le 21 juillet 1858, c’est l’entrevue de Plombières et, bientôt, la campagne d’Italie* (avr.-juill. 1859), brusquement terminée par la volonté de Napoléon III.

Contraint et forcé, Victor-Emmanuel adhère aux préliminaires de Villafranca (12 juill.), prélude au traité de Zurich (10 nov.), qui donne la Lombardie au Piémont. Cavour, indigné, désespéré, a tout de suite démissionné. Mais, rentré à Turin en août, le populaire ministre rassemble les forces politiques favorables à la poursuite de l’unité ; le 20 janvier 1860, le roi le rappelle au gouvernement, Cavour assurant la présidence du Conseil tout en étant responsable de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Dès les 18 et 22 mars, après des plébiscites organisés pour complaire à Napoléon III, l’annexion de l’Émilie (avec les anciens duchés de Parme et de Modène) et celle de la Toscane au Piémont sont prononcées par décret royal. Il est vrai que ces gains sont suivis de la cession de la Savoie et du comté de Nice à la France (mars-avr. 1860), cession prévue par les préliminaires de Villafranca.

La phase suivante de la poursuite de l’unité est plus trouble, car elle met en avant un personnage difficile à manier, Garibaldi*, dont les exploits, accomplis avec ses « Mille » — et notamment la conquête des Deux-Siciles (juill.-sept. 1860) —, servent de prétexte à Victor-Emmanuel et à Cavour pour occuper les Marches et l’Ombrie (sept.-oct. 1860). Le 26 octobre 1861, Garibaldi rencontre Victor-Emmanuel à Teano (prov. de Caserte) et le salue du titre de « roi d’Italie ». Le 14 mars 1861, après que des plébiscites ont donné partout des majorités écrasantes à l’Union, le royaume de Sardaigne est officiellement érigé en royaume d’Italie. Il ne reste plus à réunir que Rome, la Vénétie, Trieste, le Trentin.

Le 6 juin 1861, la mort de Cavour prive Victor-Emmanuel II d’un ministre exceptionnel. Or, le roi va devoir faire face à des moments difficiles, notamment en 1864 lorsque la France, pour retirer ses troupes d’Italie, exige le transfert de la capitale de Turin à Florence. Une redoutable émeute — heureusement sans lendemain — éclate alors à Turin, abandonné pour Florence en 1865. Il est vrai que les successeurs de Cavour — Bettino Ricasoli (1809-1880), dit le Baron de fer, Urbano Rattazzi (1808-1873), Giovanni Lanza (1810-1882) —, qui appartiennent à la « droite historique », sont beaucoup plus méfiants à l’égard des démocrates et aussi des Italiens non piémontais. C’est pourquoi Victor-Emmanuel ne devient pas Victor-Emmanuel Ier, roi d’Italie, mais continue à porter le numéro II, qui marque sa place dans la liste des rois de Sardaigne.

Les Piémontais au pouvoir maintiennent jusqu’en 1865 la capitale du royaume à Turin — ville très excentrique — et se contentent d’étendre à toute la péninsule les institutions et l’organisation administrative du Piémont-Sardaigne, la démocratie se heurtant en fait à l’ignorance et à l’apathie des masses et aussi à une ploutocratie favorisée par un régime électoral censitaire et capacitaire. Cette politique centralisatrice provoque des mécontentements qui s’ajoutent aux troubles sociaux du Midi et favorise le développement de l’anarchisme, du socialisme et des sociétés secrètes (camorra dans la région de Naples, Mafia en Sicile).

Mais c’est la Question romaine qui pèse le plus lourdement sur le jeune royaume, lequel, enrichi de la Vénétie — annexée en 1866 à la suite de la guerre italo-prussienne contre l’Autriche —, finit par avoir Rome pour capitale : le 20 septembre 1870, les troupes sardes ont raison de la résistance des troupes pontificales ; le 2 octobre, un plébiscite a lieu qui aboutit à l’annexion à l’Italie de l’État pontifical ; le 23 décembre, une loi approuve le transfert de la capitale de Florence à Rome ; le 2 juillet 1871, Victor-Emmanuel II s’installe définitivement au Quirinal, après le vote de la loi des garanties. Celle-ci codifie en fait le principe de « l’Église libre dans l’État libre », formulé par Cavour dans un esprit de très grand respect pour la personne et la liberté du pape et pour l’autorité ecclésiastique. Pie IX refuse néanmoins de la ratifier et devient volontairement le « prisonnier du Vatican ». En fait, des rapports officieux s’établiront entre le Vatican et le Quirinal. La conséquence la plus grave de l’attitude du pape est le veto qui enjoint aux catholiques italiens de rester étrangers aux élections. Ce qui faussera durant plus de trente ans les données de la vie politique italienne.

De 1870 à 1876 se maintient au pouvoir la « droite historique » (cabinet G. Lanza de 1869 à 1873, puis Marco Minghetti [1818-1886] de 1873 à 1876), qui se heurte à la médiocrité de l’économie italienne, au féodalisme et à l’anarchie du Mezzogiorno, à la naissance du socialisme. En 1876, une gauche anticléricale, où dominent mazziniens et garibaldiens, s’installe au pouvoir avec Agostino Depretis (1813-1887), un des chefs des « Mille ».

Le 9 janvier 1878 (un mois avant Pie IX), Victor-Emmanuel II meurt soudainement, pleuré par son peuple, qui admirait en lui sa parfaite loyauté de souverain constitutionnel, sa bravoure, sa simplicité d’accueil, son attachement profond à l’Italie et aux Italiens.

P. P. et M. V.

➙ Cavour / États de l’Église / Italie / Risorgimento / Savoie.

 V. Bersezio, Il regno di Vittorio-Emanuele II (Turin, 1878-1895 ; 8 vol.) / F. Ruffini, Vittorio-Emanuele II (Milan, 1918). / P. M. Arcari, Le elaborazioni della dottrina politica nazionale fra l’Unità e l’Intervento, 1870-1914 (Florence, 1934-1939 ; 3 vol.). / J. Godechot et M. Vaussard, Histoire de l’Italie moderne (Hachette, 1972 ; 2 vol.).