Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Avignon (suite)

Englobée dans la révolte anti-franque du duc Mauront (début viiie s. apr. J.-C.), prise d’assaut par Charles Martel (736 et 737), ravagée par les Sarrasins (739), reconquise peu après par les Francs, Avignon tire profit de la décadence carolingienne, qui entraîne son incorporation au royaume de Bourgogne. Placée par le roi Conrad le Pacifique sous l’autorité héréditaire du comte Guillaume et sous celle, éminente, de l’empereur, la ville semble renaître à la fin du xe s. en tant que cité épiscopale.

L’assèchement des zones marécageuses de Bédarrides, Sorgues et Védène au nord-ouest de la ville sous l’impulsion des monastères bénédictins (Saint-André de Villeneuve), la canalisation de la Sorgue grâce au chapitre de Notre-Dame-des-Doms (apparu vers 980) permettent la remise en culture des terres proches d’Avignon ainsi que la mise en exploitation de quelques moulins à farine ou à foulons indispensables à la fabrication des draps. Localement assurée, bénéficiant en outre des courants commerciaux qui convergent vers Avignon par les voies fluviales de la Durance et du Rhône, la renaissance démographique et économique s’affirme de plus en plus nettement.

Deux conciles se tiennent dans la cité en 1060 et 1066 pour imposer la réforme grégorienne au clergé provençal. L’autorité lointaine du marquis de Provence, Raimond de Saint-Gilles, bientôt parti en Terre sainte, où il meurt (1096-1105), celle plus proche mais moins contraignante du comte de Forcalquier, enfin le traité du 15 septembre 1125, qui fait de la ville et de sa campagne proche un domaine indivis des comtes de Provence, de Barcelone et de Forcalquier, favorisent l’apparition vers 1129 d’un puissant consulat qui contraint l’évêque de la ville à composer avec lui. Ne comprenant à l’origine que quatre consuls recrutés exclusivement parmi les chevaliers, le consulat d’Avignon prend l’initiative de construire le pont Saint-Bénezet et une puissante enceinte (xiie-xiiie s.). Aussi, la ville soutient-elle le comte Raimond VII de Toulouse contre le roi de France Louis* VIII, mais après un siège de trois mois la famine la contraint à capituler le 12 septembre 1226. Elle doit alors détruire elle-même ses remparts, céder Beaucaire et participer à la construction d’un château français sur la rive droite du Rhône. Au terme d’une vaine révolte menée contre le futur comte de Provence, Charles Ier d’Anjou (1246-1285), il lui faut, en outre, abandonner le consulat et accepter d’être administrée par un viguier.

Villeneuve-lès-Avignon

Villeneuve-lès-Avignon est le complément géographique et historique d’Avignon ; sur la rive droite du Rhône, il servit de poste frontière au royaume de France. À l’extrémité du pont Saint-Bénezet, Philippe le Bel éleva de 1293 à 1307 la tour qui porte son nom. Charles V y joignit, sur une colline voisine, le fort Saint-André, dont la porte s’ouvre entre deux énormes tours circulaires : magnifique exemple d’architecture militaire, de peu postérieur au palais des Papes et d’une conception très différente.

Villeneuve prend alors un essor insoupçonné. Les cardinaux, faute de place dans la ville pontificale, se feront construire, au-delà du pont, des résidences luxueuses appelées livrées. L’un d’eux, élu au pontificat sous le nom d’Innocent VI, y fonde une chartreuse et s’y fait inhumer. Son tombeau de marbre blanc, sous un dais gothique monumental, a été remis en valeur dans l’église. Cloître, salle de chapitre, réfectoire, fontaine, chapelle du pape forment un ensemble très cohérent ; la chapelle est décorée de fresques peut-être dues à Matteo Giovannetti.

L’hospice de Villeneuve se flatte de posséder une autre œuvre maîtresse : le Couronnement de la Vierge (1453) d’Enguerrand Charonton (ou Quarton), auteur présumé de la Pietà de Villeneuve aujourd’hui au musée du Louvre.

F. E.


La ville des papes

La chance pourtant sourit une nouvelle fois à Avignon au xive s. Déjà favorisée par la papauté, qui, à la demande du roi de Sicile Charles II d’Anjou, y crée une université, dotée de deux facultés (des arts et de droit canon), le 1er juillet 1303, Avignon devient la nouvelle capitale de la chrétienté lorsque Clément V s’y installe, théoriquement à titre passager, en 1309. En fait, lui-même et ses successeurs directs y séjournèrent jusqu’en 1376, et ce n’est qu’en 1403 que le dernier pape du Grand Schisme, Benoît XIII, se retirera de la ville dans la nuit du 11 au 12 mars.

L’exceptionnelle prolongation de ce transfert de la papauté de Rome à Avignon s’explique par des conditions éminemment favorables à son implantation définitive. La proximité des domaines que Raimond VII a cédés aux pontifes dans le comtat Venaissin en 1229, et dont ils n’ont pris possession qu’en 1274, la relative prospérité de la ville, sa faiblesse politique depuis 1226, la médiocrité relative de sa population (environ 5 000 hab. en 1309), la présence de l’imprenable rocher des Doms, sur lequel s’élèvent Notre-Dame-des-Doms et le palais épiscopal, à l’emplacement duquel Benoît XII (1334-1342) puis Clément VI (1342-1352) vont édifier tour à tour le Palais-Vieux et le Palais-Neuf, enfin les conditions géographiques locales (chaleur estivale assez douce, proximité immédiate des résidences d’été de Sorgues, de Noves et de Châteauneuf), tous ces facteurs locaux contribuent à fixer la papauté à Avignon.

À cet égard, les avantages offerts au gouvernement de l’Église par la situation de la ville ont joué un rôle analogue. Nœud de communications d’une importance exceptionnelle formé par la convergence de la voie fluviale du Rhône, qui unit la Flandre à l’Italie, et de la voie terrestre Italie-Espagne, qui traverse le fleuve au pont Saint-Bénezet, Avignon apparaît, en outre, beaucoup mieux située que Rome en tant que centre de la chrétienté. À l’heure même où cette dernière a perdu l’Afrique et l’Asie au profit de l’islām, Byzance et les terres slaves au profit de l’orthodoxie, la ville éternelle se trouve en effet rejetée à la périphérie du monde sur lequel elle prétend régner, alors qu’Avignon est comme le centre géométrique d’une Europe chrétienne qui bascule vers l’ouest et vers le nord. Aussi, après avoir été tentée pendant près de trente ans par le retour à Rome (1305-1334), la papauté s’installe-t-elle sans esprit de retour à Avignon (1334-1367), ainsi qu’en témoignent les actes de 1348 par lesquels Clément VI achète la ville à la reine de Naples Jeanne Ire d’Anjou pour la somme de 80 000 florins, et obtient la renonciation du roi des Romains, Charles IV de Luxembourg, à la suzeraineté de l’Empire.

Pourtant, l’achèvement de la pacification des États du Saint-Siège en Italie, l’espoir d’une réconciliation entre Rome et Byzance et enfin la pression de l’opinion publique amènent Urbain V (1362-1370), puis Grégoire XI (1370-1378) à décider le grand retour : ainsi s’expliquent les départs des 30 avril 1367 et 13 septembre 1376.

En réalité, pendant longtemps, un tel transfert avait paru impossible, en raison de la lourdeur croissante des services du gouvernement pontifical, qui avait définitivement pris forme à Avignon.