Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vermeer (Johannes) (suite)

Oubli, confusions, redécouverte

À cela se borne ce que l’on sait. Les mentions faites par les historiographes sont rares et laconiques. Au xviiie s., quelques artistes et connaisseurs (Gérard De Lairesse en 1707, Reynolds* en 1781, Jean-Baptiste Pierre Lebrun en 1792) manifestent leur admiration devant telle ou telle toile ; mais la rareté et la dispersion des œuvres, le peu de copies, l’absence de gravures de reproduction contemporaines comme de tout dessin ou esquisse firent que l’œuvre ne put être appréciée à sa juste valeur. Chose plus grave, elle se volatilisa en partie : confusion avec les nombreux homonymes (les paysagistes de Haarlem Jan Vermeer père [1628-1691] et fils [1656-1705], leur fils et frère le peintre de natures mortes Barent Vermeer [1659 - av. 1702], un Johann Van der Meer actif à Utrecht dans la seconde moitié du xviie s.) ; attributions à d’autres mains dans les passages en vente publique (Gérard Terborch [1617-1681], Pieter de Hoogh*, Gabriël Metsu [1629-1667], Frans Van Mieris [1635-1681], Samuel Van Hoogstraten [1627-1678], etc.) ; apposition de fausses signatures (P. de Hoogh et Nicolaes Maes [1634-1693])...

Ce n’est qu’à partir de 1848 que l’œuvre reprend consistance grâce à Théophile Thoré (dit William Bürger), qui, en partant de la Vue de Delft (Mauritshuis, La Haye), regroupe d’une manière trop généreuse un ensemble de soixante-seize tableaux. Le catalogue devra être réduit. En 1888, avec Henry Havard, il n’en restait que cinquante-six numéros ; actuellement, le nombre des authentiques faisant la quasi-unanimité de la critique oscille autour de trente-cinq. Il s’agit uniquement de peintures pour collectionneurs, de formats petits et moyens, reflétant, comme plus tard celles de Chardin, le cadre et la vie domestique de la petite bourgeoisie. Font exception une peinture religieuse, le Christ chez Marthe et Marie (National Gallery, Édimbourg), une peinture mythologique, Diane et ses nymphes (Mauritshuis), toutes deux des débuts de l’artiste, et une allégorie, la Foi (Metropolitan Museum of Art, New York), l’une des dernières œuvres, sans doute une commande. La production a donc été très lente : une à deux peintures par an, traitant de thèmes choisis librement par l’artiste en combinant les mêmes éléments, décor, mobilier, personnages pris dans son entourage immédiat. Parmi ces toiles, une vingtaine sont signées plus ou moins clairement, mais deux seulement portent une date (1656 : Chez l’entremetteuse, Gemädegalerie, Dresde ; 1668 : l’Astronome, collection privée, Paris). Les discussions sur la chronologie ont donc été nombreuses.


Vermeer et la peinture de son temps

Vermeer est de ces artistes qui assimilent très tôt et totalement les influences subies. Aussi les historiens d’art ont-ils pu trouver des rapprochements précis, concernant la composition, les attitudes, les sujets traités, l’éclairage, mais qui se sont révélés épisodiques, car ne concernant qu’un ou deux tableaux, et peu explicatifs, car relevant de l’emprunt superficiel et non d’une affinité profonde avec un autre créateur. Ces recherches permettent, cependant, de situer dans le contexte de son époque une œuvre qui semble tantôt se confondre avec celle des autres peintres de genre*, si l’on ne s’attache qu’aux sujets traités, tantôt n’avoir pas de précédents, si l’on est sensible seulement aux qualités uniques de l’artiste et de son univers très secret.

Divers jeux de coordonnées ont été mis en œuvre. D’abord les rapports avec les peintres italiens, évidents surtout dans les œuvres de jeunesse ; l’hypothèse d’un voyage en Italie semble peu plausible, bien qu’il puisse être tentant de penser que Vermeer ait vu des Giovanni Bellini*, des Giorgione*, des Piero* della Francesca (Roberto Longhi fait de la Madone de Senigallia de ce dernier le pendant idéal de certaines figures de Vermeer). En tout cas, Vermeer connaissait fort bien la peinture italienne (l’expertise de 1672 à La Haye le prouve), peut-être par son commerce d’art et l’accès à certaines collections. Il est certain, par ailleurs, que des artistes hollandais, surtout de l’école d’Utrecht*, lui ont transmis des échos du grand courant caravagesque. Le Christ chez Marthe et Marie est proche de Hendrik Terbrugghen (1588-1629), qui a traité le même thème ; une toile de Dirck Van Baburen (v. 1590-1624) est peinte au mur de deux des intérieurs de Vermeer (elle était sa propriété) et des éléments de la palette de Vermeer se retrouvent chez les peintres d’Utrecht (les bleus, les jaunes vifs sont employés notamment par Terbrugghen), comme aussi les thèmes de musiciens.

Vermeer a également été influencé par les tableaux de Jacob Van Loo (1614-1670), en particulier lorsqu’il peignait la Diane et ses nymphes. Quant à son compatriote Léonard Bramer (1594-1674), qui fut témoin de son mariage, il a été souvent signalé comme un maître possible ; il transmettait, lui aussi, des influences caravagesques, mais à travers l’exemple de Rembrandt.

Rembrandt* et son entourage constituent un autre pôle d’attraction pour Vermeer. La possibilité d’un contact direct, lors d’un voyage à Amsterdam, a été avancée : pure hypothèse là encore, dont on peut faire l’économie, les rapprochements étant plus convaincants avec Nicolaes Maes, Carel Fabritius (1622-1654) et Samuel Van Hoogstraten — ce dernier utilisateur de chambres noires servant à résoudre des problèmes de perspective et dont on a souvent pensé que Vermeer avait pu se servir lui-même.

Les rapprochements les plus évidents, car portant sur les sujets traités, concernent les autres peintres de genre hollandais. Des analogies sont évidentes avec Gérard Terborch, Gabriël Metsu, Frans Van Mieris et surtout Pieter de Hoogh, mais il est difficile de savoir dans quel sens s’exercent les influences : elles furent mutuelles, au moins dans le cas de Pieter de Hoogh. Par contre, Vermeer devait exercer une influence certaine — bien que parfois confondue avec celle de Terborch et avec celle de Pieter de Hoogh — sur Jacob Ochtervelt (actif v. 1652 - † av. 1710), Cornelis Man (ou de Man) [1621-1706] et Michiel Van Musscher (1645-1705).