Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Verga (Giovanni) (suite)

Deux aventures sentimentales aident à le distraire : l’une à Milan avec la comtesse Dina Castellazzi di Sordevalo, l’autre, plus durable, avec Giselda Fojanesi, qui venait de se séparer de son mari, le poète catanais Mario Rapisardi. En 1882 il se rend à Paris (où il rencontre Zola à Médan) et à Londres. Les Novelle rusticane (Nouvelles paysannes) paraissent en 1883, et le succès de la première de Cavalleria rusticana en 1884 (avec Eleonora Duse dans le rôle de l’héroïne Santuzza) encourage Verga à poursuivre sa carrière théâtrale avec In portineria (1885), La Lupa (1896), Dal tuo al mio (1903). Entre-temps, une longue controverse sur les droits d’auteur avait opposé Verga aux librettistes de Cavalleria rusticana, qui obtint un triomphe dès sa première représentation au théâtre Costanzi à Rome en 1890. La traduction française des Malavoglia en 1887 ne suscite guère d’échos malgré l’intérêt de Zola et de Maupassant. De même, la publication de Mastro Don Gesualdo (Maître Don Gesualdo) [en 1889 ; d’abord en feuilleton, puis en volume] est reléguée au second plan par les polémiques de Cavalleria rusticana.

Dès 1896, Verga entreprend La Duchessa di Leyra « Pour échapper à l’humeur noire » que provoque en lui la croissante hostilité populaire au nationalisme et à la politique coloniale de Crispi, qu’il admire et soutient. Affecté par la mort de quelques-uns de ses amis les plus chers (Giacosa, Gualdo), à partir de 1903 il se retire à Catane, où le retient l’administration du patrimoine familial.

Alors qu’il a pratiquement cessé d’écrire, son œuvre et son nom deviennent le symbole, pour les nouvelles générations, de l’anti-d’annunzianisme. En 1919, un groupe de jeunes intellectuels lui rend publiquement hommage dans le Messaggero della domenica pour l’inviter à honorer de sa présence la première romaine de Dal tuo al mio. Son quatre-vingtième anniversaire (1920) est solennellement célébré au théâtre Massimó Bellini de Catane. Dans son discours inaugural, Pirandello exalte en Verga le « poète des choses », opposé au « poète des mots » qu’est D’Annunzio. Nommé sénateur, Verga se rend la même année à Rome pour prêter serment. Une commotion cérébrale l’emporte deux ans plus tard, et le texte inachevé de La Duchessa di Leyra est publié posthume.

Le vérisme proprement dit n’a guère été au-delà du tableau de mœurs populiste et du mélodrame. Quelle que soit leur originalité, Cavalleria rusticana, Vita dei campi et Novelle rusticane ont les mêmes limites. Alors que les deux chefs-d’œuvre romanesques de Verga ont évoqué tour à tour le nom des sœurs Brontë (préface de D. H. Lawrence), de Manzoni et de Balzac.

I Malavoglia est la tragédie chorale d’une archaïque famille de pêcheurs abattue par autant de malheurs (naufrages, alcoolisme, prostitution, mort) qu’elle fait d’efforts pour échapper à sa misère ancestrale. Le nom même de la barque familiale, la Providence, est, par antiphrase, l’ironique symbole de ce destin inéluctable. La perspective « microscopique » de la narration (« Il nous faut regarder au microscope les petites causes qui font battre les petits cœurs ») reproduit de façon impressionnante la lutte exténuante des volontés vouées à l’échec et à la mort, tandis qu’une subtile technique de « contamination » fait participer la voix narratrice (mêlée de proverbes et de tours dialectaux) au chœur douloureux des humiliés.

La monotonie presque insoutenable des Malavoglia fait place, dans Mastro Don Gesualdo, à une structure romanesque plus complexe — centrée autour d’un héros puissamment caractérisé — et à une représentation plus diversifiée de la hiérarchie sociale, même si, encore une fois, le pessimisme radical de Verga voue la lutte des classes à l’échec. Enrichi à la force du poignet, l’ex-manœuvre Gesualdo croit couronner son ascension sociale (de mastro — manœuvre — devenu don) en s’alliant à une famille de nobles ruinés. Son mariage avec Bianca Trao n’est, en fait, destiné qu’à couvrir une « faute » de celle-ci et à redorer le blason des siens, qui n’en refusent pas moins de recevoir l’intrus. Le duc désargenté qu’épouse sa fille Isabella (elle aussi fruit d’un adultère et, comme sa mère, contrainte au mariage pour réparer une « faute ») dilapide le patrimoine, et le patriarche — nouveau Goriot — meurt comme un chien dans une mansarde du palais de sa fille.

L’originalité du roman, par rapport à Balzac, par exemple, tient essentiellement à sa dimension « sicilienne », tant du point de vue stylistique (perfectionnement de la technique de contamination élaborée dans I Malavoglia) que d’un point de vue anthropologique : mise en scène d’une conception archaïque des contrats sociaux qui, non moins qu’à ses personnages, semble imputable au romancier lui-même.

La critique marxiste italienne (en particulier Luigi Ferrante) a récemment tenté de réévaluer le théâtre de Verga à la lumière des concepts élaborés par Louis Althusser (Pour Marx, 1965) dans son analyse d’El nost Milan (1893) de Carlo Bertolazzi, dans la mise en scène de Giorgio Strehler (1955).

J.-M. G.

 L. Capuana, Studi sulla letteratura contemporanea (Milan et Catane, 1880-1882 ; 2 vol.) / B. Croce, La Letteratura della nuova Italia, t. III (Bari, 1915 ; nouv. éd., 1949). / L. Russo, Giovanni Verga (Naples, 1920 ; 4e éd., Bari, 1947). / F. Tozzi, Realtà di ieri e di oggi (Milan, 1928). / A. Favatà, La Vita e le opere di Giovanni Verga (Livourne, 1935). / N. Cappellani, Vita di Giovanni Verga (Florence, 1940). / E. De Michelis, L’Arte del Verga (Florence, 1941). / A. Momigliano, Dante, Manzoni, Verga (Messine, 1944). / G. Pintor, Il Sangue d’Europa (Turin, 1950). / G. Santangelo, Storia della critica verghiana (Florence, 1954). / D. H. Lawrence, Selected Literary Criticism (Londres, 1955 ; nouv. éd., New York, 1966). / L. Pirandello, Saggi Poesie e scritti vari (Milan, 1960). / G. Raya, Ottocento inedito (Rome, 1960). / G. Trombatore, Riflessi letterari del Risorgimento in Sicilia e altri studi sul secondo Ottocento (Palerme, 1960). / G. Devoro, Nuovi Studi di stilistica (Florence, 1962). / L. Ferrante, Verga (Milan, 1972).