Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Verdun (suite)

L’enfer du combattant

C’est sur le champ de bataille de Verdun, dans cette région « au relief lunaire labouré sur deux ou trois mètres de profondeur,... là où les tranchées cessent et où l’on se cache dans des trous d’obus vaguement reliés entre eux... » (Teilhard de Chardin), que le combattant de la Première Guerre mondiale a atteint le paroxysme de son chemin de croix. Quatre jours de ligne, quatre jours de repos, quatre jours en réserve dans l’atmosphère pestilentielle du tunnel de Tavannes, tel est le rythme de vie du poilu de Verdun.

Les périls des relèves, du ravitaillement, de la recherche et de l’évacuation des blessés feront entrer l’homme de soupe, le coureur, le brancardier et l’aumônier dans la légende de cette bataille inhumaine, dont les pertes s’équilibreront aux environs de 330 000 hommes pour les Allemands, de 360 000 pour les Français.

Verga (Giovanni)

Romancier et auteur dramatique italien (Catane 1840 - id. 1922).


Verga est sinon le plus typique, certainement le plus grand représentant du « vérisme » littéraire italien, mouvement issu du naturalisme français et anticipant, à la fin du xixe s., nombre des postulats du néo-réalisme. L’originalité la plus évidente du vérisme est d’avoir élargi au-delà du milieu de prédilection du roman naturaliste — la grande ville industrielle — la représentation de l’aliénation populaire. C’est en ce sens que D. H. Lawrence (traducteur et préfacier du roman en 1923) a pu voir dans I Malavoglia une « date » comparable à celle de Madame Bovary. Tout en qualifiant de « parti pris » le caractère hyperbolique de la misère représentée dans le roman (« la famille Malavoglia est la plus humblement humble » qui soit), Lawrence reconnaît que la peinture de cette misérable famille de pêcheurs siciliens est unique dans toute la littérature.

Le vérisme, en revanche, ne suffit plus à définir Mastro Don Gesualdo, l’autre chef-d’œuvre romanesque de Verga, dont l’ampleur, la maîtrise stylistique et la complexité structurale évoquent plutôt le nom de Balzac. Mais l’œuvre de Verga qui a le plus efficacement contribué à la popularité du vérisme (ainsi qu’à lui valoir, à lui-même, l’épithète de « vériste ») est sans doute Cavalleria rusticana, grâce tout d’abord à l’interprétation d’Eleonora Duse (dans la version théâtrale), puis, malgré les remaniements inconsidérés de librettistes abusifs, surtout à la musique de Pietro Mascagni.

Si le vérisme a été un mouvement « sudiste » par l’origine de ses artistes et le décor de ses œuvres, c’est à Milan — et, secondairement, à Turin — que ces œuvres ont été conçues et lancées. Verga n’échappe pas à la règle, qui nourrit son œuvre des souvenirs et des impressions de sa Sicile natale tout en résidant à Milan. Et, lorsque, à la fin de sa vie, après des séjours de plus en plus prolongés, il reviendra s’établir à Catane, il aura désormais cessé d’écrire.

Né à Catane d’une famille de petite noblesse (barons de Fontanabianca), le jeune Verga subit d’abord l’influence de son professeur Antonino Abate, patriote, républicain et auteur de vers romantique. Son premier roman (Amore e patria, resté inédit), écrit à seize ans, porte plus particulièrement la marque de cette influence. Verga abandonne rapidement ses études de droit pour l’engagement politique (il s’enrôle encore tout jeune dans la garde nationale de Catane), le journalisme (il collabore notamment à Roma degli Italiani et Italia contemporanea) et la littérature : il publie en 1861-62 I Carbonari della montagna (épisode de la résistance calabraise contre les Français de Murat) et en 1863 Sulle lagune (les amours d’une jeune Italienne et d’un officier hongrois à Venise sous l’occupation autrichienne).

De 1865 date son premier séjour à Florence, où il s’établira de nouveau de 1869 à 1871. Il y fréquente le salon littéraire de Francesco Dall’Ongaro et les milieux où l’on prône le « romantisme social ». Una peccatrice (1866) narre les amours d’un étudiant pauvre et de la comtesse Narcisa Valderi, qui, délaissée, s’empoisonne au rythme berceur de sa valse préférée. Storia di una capinera (Histoire d’une fauvette, 1870), écrit également à Florence, est le journal épistolaire d’une jeune Sicilienne recluse, contre son gré, dans un couvent. Le succès du livre ouvre au jeune homme les plus brillants salons de Milan (en particulier celui de la comtesse Maffei), où il s’établit en 1872 (il continue cependant à passer l’été en Sicile). Verga se lie d’amitié avec Arrigo Boito, Giuseppe Giacosa, Federico De Roberto et surtout Luigi Capuana. Son roman Eva (1873) — l’amour tragique d’un peintre sicilien, Enrico Lanti, pour une danseuse — provoque éreintages et enthousiasmes. Tigre reale (Tigre royal, 1874) et Eros (1875) concluent cette première série de feuilletons d’un romantisme sentimental et mondain, hérité de Dumas et d’Eugène Sue. Tigre reale est l’histoire d’une excentrique beauté russe pour laquelle perd la tête un père de famille, qui, après avoir été abandonné, retrouve la cruelle en Sicile, où, malade de tuberculose, elle est revenue mourir. Eros raconte, dans un décor de salons et de villes d’eaux, les aventures galantes du marquis Alberto, qui finit par se suicider d’un coup de revolver.

Le premier récit vériste de Verga, Nedda (l’héroïne est une paysanne sicilienne qui vit de la cueillette des olives), date de 1874, et Padron ’Ntoni, première ébauche des Malavoglia, de 1875. Dès 1878, dans une lettre à son ami Paola, Verga esquisse le projet d’un vaste cycle romanesque, I Vinti (les Vaincus) : « J’ai en tête un travail qui me paraît grand et beau. Une espèce de fantasmagorie de la lutte pour la vie, qui va du chiffonnier au ministre et à l’artiste, et qui assume toutes les formes, de l’ambition à l’appétit du gain, et se prête à mille représentations du grand grotesque humain, lutte providentielle qui guide l’humanité à travers tous les appétits, nobles et bas, vers la conquête des vérités. Saisir en somme le côté dramatique, ou ridicule ou comique, de toutes les physionomies sociales, chacune avec sa caractéristique, dans ses efforts pour aller de l’avant au milieu de cette vague immense qui est poussée à aller de l’avant par les besoins les plus vulgaires ou par l’avidité de la science, incessamment, sous peine d’échec ou de mort pour les plus faibles et les moins habiles. » Des cinq romans prévus alors, Padron ’Ntoni, Mastro Don Gesualdo, La Duchessa delle Gargantas, L’Onorevole Scipioni, L’Uomo di lusso, seuls les deux premiers ont été accomplis ; le troisième est resté inachevé sous le titre de La Duchessa di Leyra. Tandis qu’il travaille à I Malavoglia, Verga publie, en revue, quelques-unes des nouvelles qui seront recueillies dans Vita dei campi (Vie aux champs, 1880). Le « fiasco » (le mot est de Verga lui-même, qui parle aussi d’une « conjuration du silence ») des Malavoglia (1881) affecte profondément le romancier, qui n’en déclare pas moins (lettre à Luigi Capuana) : « Si je devais réécrire le livre, je le referais comme je l’ai fait. Mais en Italie, sans le sel de la scène dramatique, on ne veut pas de l’analyse plus ou moins exacte. »