Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Venise (suite)

De même que la peinture religieuse, aujourd’hui trop souvent dispersée, était conçue pour s’intégrer à la fastueuse décoration des églises, de même la peinture profane avait sa place dans les palais de la société patricienne, sur des étoffes murales, souvent au milieu de stucs d’abord exubérants comme ceux du palais Albrizzi, puis délicatement modelés et colorés comme ceux du ridotto Venier. Le goût du rococo marque tous les arts dits « mineurs ». Une place importante revient au mobilier. Après avoir connu le style sculptural d’Andrea Brustolon (1662-1732), Venise a trouvé sa spécialité dans les meubles, sièges, cadres de miroirs peints et vernis à l’imitation des laques d’Extrême-Orient, avec des motifs souvent inspirés de la Chine. La porcelaine, d’abord analogue à la pâte tendre de France, puis à base de kaolin, atteste aussi le goût de la chinoiserie. Une célébrité internationale est acquise au verre de Murano, soufflé ou effilé, souvent traité en floraisons polychromes dont l’éclat triomphe dans le décor des lustres.


Du néo-classicisme à nos jours

Dès le milieu du xviiie s., on voit Giorgio Massari (v. 1686-1766) revenir à un classicisme assez strict, d’ascendance palladienne ; on lui doit ainsi l’église des Gesuati (ou Santa Maria del Rosario), celle de Santa Maria della Pietà (ou della Visitazione) et le froid palais Grassi. Une tendance plus rigoureuse et plus archéologique apparaît à la fin du siècle, rompant pour la première fois l’harmonieuse continuité du tissu urbain. Elle est représentée par Giannantonio Selva (1753-1819), auteur du théâtre de La Fenice (1792). Sous l’Empire, les bâtiments du fond de la place Saint-Marc sont malencontreusement remplacés par l’aile napoléonienne, lourde imitation des Procuratie Nuove, qui abrite le musée civique Correr. Ce qui sera construit désormais ne fera guère que déparer Venise, à l’exception d’un pastiche réussi, la Pescheria (1907) de Cesare Laurenti (1854-1936). Il faut se rendre à l’évidence : Venise est l’éblouissante image d’un passé dont la gloire avait déjà pris fin avant l’abolition de la république.

B. de M.

 E. R. Trincanato, Venezia minore (Milan, 1948). / S. Bettini, Venezia (Novare, 1953 ; trad. fr. Venise, Nathan, 1954). / F. Valcanover, Gallerie dell’ Accademia di Venezia (Novare, 1955 ; trad. fr. les Galeries de l’Accademia, Venise, Novare, 1959). / J. Alazard, la Venise de la Renaissance (Hachette, 1956). / T. Pignatti, Pittura veneziana del Cinquecento (Bergame, 1957 ; trad. fr. la Peinture vénitienne du xvie siècle, Flammarion, 1963) ; Venise (A. Michel, 1971). / M. Levey, Painting in xviii Century Venice (Londres, 1959 ; trad. fr. la Peinture à Venise au xviiie siècle, Julliard, 1964). / O. Demus, The Church of San Marco in Venice (Washington, 1960). / E. Bassi, Architettura del sei e settecento a Venezia (Naples, 1962). / M. Brion, Venise (A. Michel, 1962). / M. Muraro et A. Grabar, les Trésors de Venise (Skira, Genève, 1963). / E. Martini, la Pittura veneziana del Settecento (Venise, 1964). / J. Rudel, Nous partons pour Venise (P. U. F., 1965). / G. Mariacher, Ca Rezzonico (Venise, 1967). / Unesco, Sauver Venise (Laffont, 1971). / E. Arslan, Venise gothique. L’Architecture civile gothique à Venise (Electa, Milan, 1972). / F. Roiter, Venise. Hier et Demain (Éd. du Chêne, 1973).

vénitienne (école)

École musicale fondée à Venise au xvie s., et qui donna à l’Italie l’hégémonie musicale jusqu’alors détenue par les Pays-Bas. Son essor se prolongea aux xviie et xviiie s.


Au xve s., les compositeurs franco-flamands imposent leur art dans la péninsule. Mais aux alentours de 1500, Josquin Des* Prés, Loyset Compère (v. 1450-1518) et Heinrich Isaak (v. 1450-1517) écrivent des frottole où fusionnent leur style sévère et des éléments stylistiques italiens. En 1527, Adriaan Willaert* succède à son compatriote Pierre de Fossis comme maître de chapelle à Saint-Marc de Venise ; il poursuit la tâche de ses prédécesseurs avec une telle efficacité qu’on le considère comme le vrai fondateur de l’école vénitienne. Le premier, il donne au chant à plusieurs chœurs, pratiqué à Saint-Marc, une coloration nouvelle (chromatisme) et lui associe des instruments à vent et à archets. Son œuvre se poursuit avec ses successeurs, le Flamand Cyprien de Rore (maître de chapelle de 1563 à 1564) et les Italiens Gioseffo Zarlino (de 1565 à 1590), Baldassare Donato (de 1590 à 1603), Giovanni Croce (de 1603 à 1609) et Giulio Cesare Martinengo (de 1609 à 1613). En même temps, les orgues de la basilique sont successivement tenues par Girolamo Parabosco (v. 1524-1557), Annibale Padovano (1527-1575), Claudio Merulo (1533-1604) et Andrea et Giovanni Gabrieli*, qui, par leur talent, font progresser la technique de leur instrument. G. Gabrieli a le mérite de transférer le procédé du double chœur dans la musique instrumentale (Sacrae Symphoniae, 1615) et d’ouvrir ainsi la voie, de même que Willaert, au style concertant. Durant cette période, Venise devient un grand centre d’imprimerie musicale avec Antonio Gardane, Ottaviano et Girolamo Scotto, Riccardo Amadino et Giacomo Vicenti. En 1558, Francesco Senese publie les Istitutioni harmoniche de Gioseffo Zarlino (v. 1517-1590), important ouvrage théorique de la Renaissance.

En 1613, Monteverdi* succède à Martinengo comme maître de chapelle à Saint-Marc. Il annonce une période non moins faste, orientée cette fois vers l’art lyrique. Le compositeur de L’Orfeo fait connaître en effet le stile recitativo, donne au madrigal un nouvel esprit et contribue de façon décisive à la naissance de la cantate et du drame musical. En 1637 s’ouvre à Venise le premier théâtre public d’opéra, le San Cassiano, inauguré avec l’Andromeda de Francesco Manelli (1595-1667). Peu après, d’autres théâtres s’édifient, le Santi Giovanni e Paolo (1639), le San Moise (1639), le Novissimo (1641) et beaucoup d’autres. L’opéra vénitien, dont Monteverdi est le fondateur (Il Ritorno d’Ulisse in patria, 1641 ; L’incoronazione di Poppea, 1642), se développe ensuite avec Francesco Paolo Sacrati (?-1650), Pier Francesco Cavalli (1602-1676), Giovanni Legrenzi (1626-1690), Pietro Andrea (v. 1620-1684) et Marco Antonio Ziani (1653-1715), Carlo Francesco Pollarolo (1653-1722), Giovanni Rovetta (v. 1596-1668) et Carlo Pallavicino (v. 1630-1688). Antonio Cesti (1623-1669) est alors le grand rival de Cavalli. Il recherche comme lui le pittoresque et le style comique, mais son opéra perd de sa spontanéité, car il tend à s’éloigner du peuple et « même de l’Italie » pour adopter un art aristocratique de caractère international. Avec lui, l’opéra vénitien laisse décliner ses principaux mérites avant de succomber, vers la fin du siècle, avec Domenico Gabrielli (v. 1659-1690) et Gian Domenico Freschi (v. 1625-1710), devant la suprématie napolitaine.