Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Venise (suite)

Deodato Ipato, fils d’Orso et ancien magister militum, se proclame doge (742-755), puis transfère sa résidence à Malamocco, refuge des Padouans au vie s. La prise de Ravenne par les Lombards en 751 relâche les liens vénéto-byzantins, mais ne les supprime pas, l’appui de la flotte impériale restant le garant indispensable de la survie d’un peuple menacé par les ambitions lombardes jusqu’en 774, puis par celles des Carolingiens, dont les marins de Nicéphore Ier repoussent les assauts en 803 et en 810.


L’établissement définitif au Rialto (820-828)

En restituant en 814 à Byzance ses conquêtes dans la région lagunaire, Charlemagne stabilise, aux confins de Venise, la frontière entre l’Orient et l’Occident. Mais, par là, il renforce le pouvoir du doge, que ne coiffe plus la tutelle de l’exarque. Par ailleurs, le conflit franco-byzantin ayant révélé la vulnérabilité du lido de Malamocco, le centre de gravité des établissements vénéto-byzantins se fixe plus au nord, entre Torcello et les îles réaltines, lieu primitif de refuge des Trévisans. Organisé par Agnello (Angelo) Partecipazio (810-827) et par ses descendants, qui accaparent presque sans interruption le dogat jusqu’en 942, ce transfert renforce le peuplement des principales îles de la lagune centrale : au nord, Torcello, où s’est établi au viiie s. l’évoque d’Altino et qui reste jusqu’au xe s. le centre d’un commerce actif ; au centre, Olivolo, où s’élève l’église Saint-Pierre, siège d’un évêché depuis la fin du viiie s., et le Rialto, où la résidence d’Agnello Partecipazio est érigée en Palatium, dont la chapelle abrite les restes de saint Marc, rapportés d’Alexandrie en 828 par deux marchands de Torcello. Autour du palais s’édifie Venise.


À l’ombre de Byzance


Site et situation

Pointements calcaires (Dorsoduro, Rialto [Rivo alto]), îlots de boue recouverts de roseaux (Cannaregio), fragments de cordons littoraux (lidi) percés de graus (porti) ne forment pas un site favorable à l’établissement de l’homme. Mais celui-ci bonifie les zones envasées, drague les canaux d’écoulement des eaux, détourne par des travaux multiséculaires les fleuves qui menacent de submerger la lagune. Peu à peu, l’archipel du Rialto se réduit à quelques grandes îles : San Giorgio Maggiore, la Giudecca et surtout les deux îles principales, que sépare le Canal Grande et qu’irriguent de nombreux petits canaux appelés rii. Sur les bords de ces derniers s’édifient des maisons sur pilotis ; la multiplication de ces maisons supprime les champs de légumes et de céréales dont la production s’ajoutait aux ressources alimentaires (poisson et sel) que la mer fournissait aux Vénitiens.

Maîtres de leur site urbain, les Vénitiens exploitent les avantages de la situation géographique : débouché de la plaine lombarde sur l’Adriatique, liaisons relativement faciles avec le monde germanique par les cols alpins.

Jetés à la mer par la nature, contraints donc de vivre de ses fruits et du commerce, les Vénitiens deviennent les intermédiaires privilégiés des mondes byzantin, germanique, slave et même musulman.


La formation de la puissance vénitienne

Animé davantage par des vaisseaux grecs ou syriens que par les navires indigènes, qui monopolisent surtout le trafic fluvial, Torcello reste au xe s. le centre de ce commerce international qui redistribue dans tout l’Occident les draps, les soieries, les épices, les métaux précieux, le bois et les esclaves achetés à Constantinople, à Alexandrie ou dans les Balkans. En même temps se développe un commerce des denrées de première nécessité destinées à satisfaire le marché local : céréales des Pouilles et de Macédoine, sel et poisson de l’Adriatique, bois et poix de Dalmatie utilisés pour la construction d’immeubles et de navires, armés pour l’essentiel par des particuliers jusqu’au début du xiiie s.

Le grand bénéficiaire de ces échanges est le Rialto, où, au cours du xe s., se sont établies des familles de grands propriétaires fonciers auxquelles appartiennent les doges et qui ont réinvesti dans le commerce maritime leurs revenus fonciers sous forme de « commandes », de « rogadie », de prêts maritimes, de « colleganze ». En fait, au xie s., ces optimales, tels les Badoer, les Contarini, les Foscari, les Falier, les Orseolo (case vecchie) se contentent d’être les bailleurs de fonds d’opérations marchandes modestes dirigées par des familles nouvelles (case nuove) : Barbarigo, Molin, Morosini, etc.

Bien que leurs revenus diminuent considérablement au xe et au xie s., du fait des donations aux monastères byzantins, ces optimates conservent la direction de l’État. Investis d’un large pouvoir par l’arengo (assemblée populaire), s’intitulant dès le milieu du ixe s. non plus dux venetiae provinciae, mais dux Venetiarum ou dux Veneticorum afin de souligner leur volonté d’autonomie, les doges (ducs) maintiennent pourtant leur ville dans la dépendance économique de l’Empire franc, dont ils acceptent les monnaies (pacte de 840 conclu avec l’empereur Lothaire) et plus encore dans celle, politique, de l’Empire byzantin. Les doges, qui portent le titre d’hypatos (consul imperialis), sont choisis entre 810 et 1026 dans trois familles vénitiennes (Partecipazi, Candiano et Orseolo), qui aspirent à fonder une dynastie dogale. Victimes de leurs excès, des craintes de l’aristocratie et du peuple, ils ne réussissent qu’à renforcer la centralisation de l’État, notamment sous Pietro II Orseolo (992-1009). D’ailleurs, dès la fin du ixe s., leurs pouvoirs sont limités par leurs conseillers, les judices (juges), qui agissent au nom des grands propriétaires fonciers venus de Terre Ferme : les tribuni, transformés en fonctionnaires héréditaires. Ainsi s’instaure peu à peu un régime aristocratique qui, depuis la fin du ixe s., limite l’élection du doge aux seuls habitants des îles réaltines, alors ceintes d’une première muraille continue du Castello à Santa Maria Zobenigo. En 1084, celles-ci sont divisées en confinia à base paroissiale, tandis que le doge fait édifier une nouvelle chapelle à partir de 1063. Ainsi naît l’actuelle basilique Saint-Marc (San Marco), dont la coûteuse construction nécessite une réorganisation des finances vénitiennes. Gérées par trois chambres spéciales (Grado, Saint-Hilaire et Saint-Marc), celles-ci sont détachées de la chambre ducale, qui prend en charge les finances de l’État et la fortune personnelle du doge, lequel perd alors le droit de désigner son successeur.