Venezuela (suite)
Le Venezuela des civils
Depuis le début du siècle, les militaires avaient dirigé le pays, à trois ans près (1945-1948), et voici que, phénomène étrange, au moment où les régimes militaires s’installent partout sur le continent, le Venezuela réussit à poursuivre son expérience civiliste.
Non seulement l’A. D. exerce le pouvoir à travers les présidents Rómulo Betancourt (1959-1964) et Raúl Leoni (1964-1969), mais elle peut le transmettre en 1969 à un autre parti, le C. O. P. E. I. (Comité d’organisation politique électoral indépendant), parti démocrate-chrétien du président Rafael Caldera (né en 1916). Le régime manifeste ainsi sa capacité à résister à un changement de majorité.
Les difficultés ne manquent pas : la chute de Pérez Jiménez est suivie de plusieurs années confuses ; une série de putschs manqués accompagne le développement d’une guérilla appuyée par Fidel Castro. Betancourt est accusé à droite d’être le fourrier du communisme, à gauche d’être un social traître vendu à l’impérialisme. S’il se maintient contre vents et marées, c’est que son énergie s’appuie sur une large base populaire. Les gens ne veulent pas choisir entre la dictature et le chaos, ils optent pour le réformisme représenté par une réforme agraire qui vaut à l’A. D. l’appui des campagnes, et par une politique pétrolière modérée qui porte ses fruits à long terme (le Venezuela est responsable de la fondation de l’O. P. E. P., Organisation des pays exportateurs de pétrole), et qui aboutit en 1975 à la nationalisation de l’industrie pétrolière.
Le succès n’est pas sans danger : l’A. D. expérimente l’usure du pouvoir, les difficultés de la compromission ; le C. O. P. E. I. ne parvient pas à enthousiasmer les masses, qui, désenchantées, se retournent vers le vieux dictateur. La résurrection politique de Pérez Jiménez, dont les partisans organisent la Croisade civique nationaliste en vue des élections de 1968, ressemble à celle de son collègue colombien, Gustavo Rojas Pinilla. Dans les deux cas, on retrouve les ambiguïtés du populisme, du nationalisme et du césarisme, incarnées à merveille en Argentine par Perón. Élu sénateur par les gens des bidonvilles qui, quelques années auparavant, appuyaient la guérilla castriste, Pérez Jiménez est si populaire qu’il faut amender la Constitution pour l’empêcher de se présenter aux élections présidentielles de décembre 1973. Cependant, à ces élections, la Croisade civique nationaliste marque un net recul, tandis que le candidat de l’A. D., Carlos Andrés Pérez Rodrigues, est élu à la présidence.
J. M.
➙ Amérique latine / Caracas / Démocratie chrétienne / Empire colonial espagnol.
P. Vila, Geografia de Venezuela (Caracas, 1960). / E. Lieuwen, Venezuela (Londres, 1961). / M. Picon-Salos et coll., Venezuela independiente, 1810-1960 (Caracas, 1962). / R. J. Alexander, The Venezuelan Democratic Revolution (New Brunswick, N. J., 1964). / P. Cunill, l’Amérique andine (P. U. F., coll. « Magellan », 1966). / C. Balestrini, La Industria petrolea en America latina (Caracas, 1967). / D. H. Levine, Conflict and Political Change in Venezuela (Princeton, 1973). / J. P. Perez Alfonzo, Petróleo y dependencia (Caracas, 1973).