Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aviation (suite)

Au printemps 1942 le rapport Lindemann suggère, comme meilleur moyen de paralyser la production de guerre allemande, de choisir comme seul objectif les soixante villes industrielles de plus de 100 000 habitants. En août 1942, les quadrimoteurs américains « Forteresse volante » B-17 et « Liberator » se joignent aux escadres anglaises. La conférence des chefs d’États alliés de janvier 1943 à Casablanca confirme ce choix. Dès lors, les bombardements se déchaînent sur l’Allemagne : les 35 000 t de bombes lancées par la R. A. F. en 1941 deviennent 45 000 en 1942, 120 000 en 1943, 680 000 en 1944 (dont la moitié sur les villes) et 480 000 pour les quatre premiers mois de 1945. Au total, l’Allemagne a reçu 1 350 000 t, dont 500 000 sur les villes. Le phénomène nouveau de « tempête de feu », dû à l’extrême concentration des bombes dans le temps, explique le chiffre des victimes civiles, qui s’éleva à 550 000 tués et 850 000 blessés ; 3 500 000 habitations furent détruites (environ le cinquième du total).

Pourtant, ces immenses destructions n’entraînent pas directement la reddition du Reich, pas plus qu’elles ne diminuent longtemps sa capacité de production, sauf à partir du milieu de 1944. Sans même parler de sa justification morale, on a donc souvent mis en cause le bien-fondé de cette stratégie ; en fait, dès 1943, les raids alliés ont obligé le Reich à consacrer la moitié de son industrie aéronautique à la construction des chasseurs, diminuant d’autant ses possibilités offensives ; 600 000 personnes étaient immobilisées pour le déblaiement des ruines, et 1 500 000 hommes servaient dans la défense aérienne. À partir du printemps 1944, l’attaque des voies de communication et de l’industrie du pétrole paralyse réellement l’ensemble de la production et bloque les avions de la Luftwaffe sur leurs terrains et les chars sur les routes : de ce fait, le débarquement et la reconquête de l’Europe furent facilités, au point que les pertes des combattants terrestres alliés en Europe furent inférieures à celles des aviateurs alliés de 1940 à 1945 et bien inférieures à celles qui furent subies lors de la Première Guerre mondiale.

• Dans le Pacifique : l’aviation, arme de la décision. Pour la première fois dans l’histoire, à Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, une force aérienne met hors de combat — par surprise il est vrai — une flotte de haute mer. Jusqu’à la fin de 1942, la stratégie de l’état-major nippon repose sur l’arme aéronavale*. À partir de 1943, la réplique américaine à la submersion japonaise a été d’asphyxier les forces ennemies dispersées en s’attaquant à la marine, qui constitue leur moyen de ravitaillement. Une fois ces forces neutralisées, elle vise, par le bombardement aérien des centres industriels, à provoquer la reddition. Pour cela, il fallait disposer de bases de départ assez proches, en raison du rayon d’action limité des avions disponibles : le combat direct contre les forces terrestres a été systématiquement refusé, sauf lorsqu’il s’agissait d’assurer la conquête de bases aériennes nécessaires à la réalisation de l’approche du Japon, en vue de l’application du plan de bombardement sur les centres vitaux du pays. Ainsi, le rôle de l’aviation — qu’elle soit basée à terre ou sur porte-avions — a été capital sur ce théâtre ; ce sera l’arme d’attaque principale contre les convois en mer et les flottes de guerre japonaises, le facteur essentiel dans la conquête des îles du Pacifique, enfin le moyen unique de destruction du potentiel industriel. Les raids sur le Japon durent à peine plus d’un an, mais, faute d’une défense appropriée au sol, les résultats sont considérables : en dix mois, la production industrielle est réduite de 50 p. 100, et celle du pétrole de 80 p. 100 ; rien qu’à Tōkyō, qui reçoit au total 16 000 t de bombes, on compte 260 000 tués, 400 000 blessés et 2 000 000 d’habitations détruites. Les deux bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki (6 et 9 août 1945) stupéfient le monde par l’étendue des destructions, presque aussi graves que celles subies par Tōkyō en un an. Le Japon se rend sans conditions le 16 août, avant même qu’un débarquement eût été tenté. Au total, les Américains ont lancé 660 000 t de bombes sur l’ensemble du théâtre du Pacifique.

• Les enseignements de la Seconde Guerre mondiale. Tout au long du conflit, la doctrine d’emploi de l’aviation a donc très pragmatiquement évolué. Au schéma tactique allemand de la guerre éclair (1939-1941) succède une conception anglo-saxonne plus large, fondée sur une sorte d’« encagement » aérien du champ de bataille (préalable nécessaire à l’obtention locale de la maîtrise de l’air) et sur un appui très décentralisé des troupes au sol. Si l’on excepte l’importance unanimement reconnue du transport aérien militaire, auquel cette guerre a donné un très large essor, les opinions sont beaucoup plus partagées sur le plan de l’emploi stratégique de l’arme aérienne au cours du conflit. L’exemple du Japon semble confirmer les théories du général italien Douhet ; celui de l’Allemagne est plus discuté, notamment sur le choix des objectifs à atteindre. C’est sans doute qu’il a fallu bien longtemps pour comprendre qu’il existe un seuil minimal à franchir pour obtenir des effets de destruction décisifs ; c’est aussi qu’il est très difficile d’apprécier à l’avance la capacité de résistance morale d’une population.

La bataille aérienne d’Angleterre

« Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few » (« Jamais dans l’histoire des conflits de l’humanité tant d’hommes ont dû autant à si peu d’entre eux ») [W. Churchill le 20 août 1940 aux Communes].

Forces en présence au début d’août 1940

Luftwaffe : flottes aériennes no 2 Kesselring (Picardie et Flandres), no 3 Sperrle (Bretagne et Normandie), no 5 Stumpff (Norvège et Danemark).
Au total, environ 2 700 avions de combat, dont 1 400 bombardiers (« Do-17 », « Do-215 », « He-111 », « Ju-87 », « Ju-88 »), 1 000 chasseurs (« Me-109 ») et 300 chasseurs bombardiers (« Me-110 »).