Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vectoriel sur un corps commutatif (suite)

• Exemple de bases duales. Les trois formes linéaires sur ℝ, f1 = x + 2y + z, f2 = 2x + 3y + 3z et f3 = 3x + 7y + z, sont linéairement indépendantes, car une relation de la forme λ1 f1 + λ2 f2 + λ3 f3 = 0, λ1, λ2 et λ3 ∈ ℝ impose
λ1 + 2 λ2 + 3 λ3 = 0, 2 λ1 + 3 λ2 + 7 λ3 = 0 et λ1 + 3 λ2 + λ3 = 0.
Ce système n’admet que la solution λ1 = λ2 = λ3 = 0. Les trois formes f1, f2 et f3 forment donc une base de ℝ3*.

Soit (V1, V2, V3) la base duale de (f1f2f3). Dans la base canonique de ℝ3, les vecteurs V1, V2, V3 ont pour composantes (α1α2α3), (β1β2β3) et (γ1γ2γ3). Pour déterminer ces composantes, on écrit que fi(Vj) = δij.

Pour V1, on obtient le système
f1(V1) = α1 + 2 α2 + α3 = 1, f2(V1) = 2 α1 + 3 α2 + 3 α3 = 0 et f3(V1) = 3 α1 + 7 α2 + α3 = 0.
On trouve α1 = – 18, α2 = 7 et α3 = 5.

La résolution des deux systèmes pour V1 et V3 conduit aux valeurs β1 = 5, β2 = – 2, β3 = – 1, puis γ1 = 18, γ2 = – 6, γ3 = – 6. La base (V1, V2, V3) est complètement déterminée ainsi.

L’étude des espaces vectoriels conduit à celle des applications linéaires, puis, en dimension finie, à celle des matrices, des formes linéaires, des formes bilinéaires et quadratiques et des formes hermitiennes.

E. S.

➙ Déterminant / Espace euclidien de dimension trois / Forme linéaire / Hermitien (espace) / Linéaire (application) / Matrice d’une application linéaire / Quadratique sur un espace vectoriel E sur un corps K (forme).

 P. Dubreil et M. L. Dubreil-Jacotin, Leçons d’algèbre moderne (Dunod, 1961). / H. Blanchard et C. Forest, Traité de mathématiques, t. I (Hachette, 1966). / L. Chambadal et J. L. Ovaert, Cours de mathématiques. Notions fondamentales d’algèbre et d’analyse (Gauthier-Villars, 1966). / L. Chambadal, Mathématiques, t. I : Éléments d’algèbre (Dunod, 1967 ; 2e éd., 1969). / J. Lelong-Ferrand et J. M. Arnaudiès, Cours de mathématiques, t. I : Algèbre (Dunod, 1971).

Vega Carpio (Felix Lope de)

Écrivain espagnol (Madrid, 1562 - id. 1635).


Son rôle fut décisif dans l’histoire des lettres espagnoles. Grande fut aussi la part, surtout indirecte, qu’il prit dans la définition du théâtre moderne en Europe au tournant des xvie et xviie s. C’est, en plus, un grand poète, un inventeur de langages modèles qui répondaient aux besoins de la nouvelle société : un espagnol commun s’en dégagea, instrument de la communication entre les différentes classes, élégant sans afféteries, bourgeois sans pruderie, courtois sans hermétisme et populaire sans vulgarité. C’est enfin un maître en bonnes manières : il a imaginé dans ses comédies mille et une situations vraisemblables et montré comment un galant et une dame pouvaient les affronter avec de l’habileté et de la hardiesse. Lorsqu’il mourut en 1635, son jeune ami Juan Pérez de Montalbán se fit l’interprète de tout le peuple de Madrid qui voyait en lui : « Phénix dans tous les siècles, le prince du vers, l’Orphée de la connaissance, l’Apollon des Muses, nouvel Horace entre les poètes, Virgile de l’épopée, Homère par ses héros, Pindare par ses chants, Sophocle des tragiques et Térence des comiques ». Certes, pour la quantité comme pour la qualité de son œuvre, on tenait Lope de Vega — nous le tenons encore — pour un « prodige de la Nature ». La critique, pour rigoureuse qu’elle soit, succombe au charme qui émane de sa personne et de son écriture.


Une vie d’aventures

Lope de Vega naît en 1562 au sein d’une famille de brodeurs qui travaille pour la Cour et l’Église. Son père, un vieux-chrétien d’origine montagnarde, cultive à ses heures la poésie. Comme beaucoup de fils d’artisans, Lope est envoyé au collège des Jésuites, où, semble-t-il, le bon musicien, poète et romancier Vicente Espinel lui enseigne le latin. Brillant sujet, protégé par l’évêque d’Ávila, il poursuit ses études à l’université d’Alcalá de Henares, puis à l’université de Salamanque. Soudain, à dix-huit ans, c’est la révélation. L’incident le marquera pour toute la vie, décidera de sa vision du monde et lui fournira le modèle, l’« unité relationnelle », qu’il mettra en jeu dans tous ses ouvrages : il tombe amoureux de la comédienne Elena Osorio (Filis), fille de comédien, mariée à un comédien. Ne serions-nous pas tous des comédiens, sur la scène ou dans les coulisses ? « On aime, on est aimé, survient un méchant, on est trahi, on se venge, on est puni, on se repent, on aime, on est aimé. » La formule vaut pour ses comédies profanes ou religieuses, ses autos sacramentales, ses poèmes épiques, ses pièces lyriques, ses récits romanesques. Dans cette « fonction », la constante, c’est le triangle, et les variables passent de zéro à l’infini. « On » peut représenter le galant, la dame, l’âme, l’Église, le roi (la société). « L’autre », le méchant, ce peut être le diable en personne. La dame peut ne pas aimer du tout, tandis que Jésus aime l’homme « passionnément ». Le couple cherche à s’unir en présence d’un tiers et y parvient à travers des vicissitudes dramatiques par un soudain dépassement de ses relations : s’il s’agit de personnes, l’amour s’achève en s’accomplissant en Dieu, et c’est le sacrement du mariage ; s’il s’agit de héros, de demi-dieux, leur métamorphose les change en personnages mythiques divins, et pour l’éternité ; s’il s’agit de l’âme et de Dieu, ils s’unissent à jamais dans le sacrement de l’eucharistie. Souvent, le sang coule au dénouement, sacrifice nécessaire au rétablissement de l’ordre et dicté par la Providence. Ainsi, dans le monde, tout est farce, églogue, comédie, tragi-comédie ou tragédie.

Lope, notre jeune étourdi, se venge donc de la belle et de son amant. Il est exilé de la ville et de la Cour, Madrid, pour huit années (1588-1596). Il enlève alors une fille de son milieu, Isabel de Urbina (Belisa), dont le père est artiste-artisan, sculpteur. Contraint de l’épouser, pour sortir de l’imbroglio, il s’engage dans l’Invincible Armada. On le retrouve à Valence en 1589 ; il connaît alors la vie culturelle d’une grande ville marchande tournée vers l’Italie ; il y goûte un nouveau style de récit, la nouvelle, et un nouveau style de théâtre, la comédie bourgeoise. Mais il fait normalement carrière au service des grands du royaume : le duc d’Albe, à Alba de Tormes et à Tolède (1590) le marquis de Malpica (1596), le marquis de Sarriá (futur comte de Lemos) [1598]. En 1598, il retourne à Valence avec la Cour pour le mariage du nouveau roi Philippe III. Il aime, il est aimé : ses aventures ne se comptent plus. Parallèlement, il épouse en 1598 en secondes noces Juana de Guardo, la fille richement dotée d’un marchand de la halle. Et il se donne un blason où figurent, au dire de cette mauvaise langue de Góngora, dix-neuf moulins qui font du vent dans la morne plaine (vega). Et il est depuis peu engagé dans une liaison durable avec Micaela Luján (Camila Lucinda), une comédienne — mariée ailleurs — qui lui donnera sept enfants.