Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aviation (suite)

En 1910, la France possède une trentaine d’aéroplanes. C’est une période d’intense recherche : choix du matériel le mieux adapté à l’observation (unique mission militaire alors envisagée), mise au point des méthodes de travail (navigation, photographie, procédures), formation de pilotes (le premier règlement de pilotage établi par le colonel Hirschauer [1857-1943] date de 1911). C’est aussi l’époque des premières manœuvres avec emploi de l’avion et des premiers raids à travers la campagne. C’est enfin celle de la mise au point d’une organisation rationnelle : en octobre 1910, un décret crée l’Inspection permanente de l’aéronautique militaire, service regroupant dans l’armée de terre toutes les troupes et établissements de l’aérostation et de l’aviation, à la tête duquel est placé le général Roques (1856-1920). Au même moment est lancé un Concours d’appareils militaires d’aviation, et la première escadrille est créée en 1912, au lendemain des manœuvres de Poitou.

Organisation, étude des matériels et formation des personnels se poursuivront avec ardeur et nous vaudront à l’entrée en guerre la meilleure aviation du moment et surtout des pilotes entraînés : Barès (1872-1954) et Bellenger se sont essayés en opérations pendant la guerre des Balkans en 1912. Mais les résultats obtenus en France sont connus dans le monde entier et, dès 1910 ou 1911, tous les pays étrangers s’intéressent à cette nouvelle arme : la Grande-Bretagne crée d’entrée de jeu un Royal Flying Corps autonome, alors que l’aviation demeure sous la direction des armées de terre dans tous les autres pays ; l’Allemagne, en avance pour les dirigeables grâce au génie du comte Ferdinand von Zeppelin (1838-1917), prend conscience, dès 1910, de son retard dans le domaine du plus lourd que l’air. En 1912, elle se lance à fond dans la création d’une industrie aéronautique qui lui permettra, en septembre 1915, de dépasser qualitativement la France. L’Italie, attirée par l’aviation, est la première à utiliser l’avion en opérations (Libye, 1911). En 1912, la plupart des pays européens utilisent des appareils français, les mieux adaptés à l’emploi militaire, et envoient du personnel dans nos écoles de pilotage. On ne peut qu’admirer la clairvoyance d’hommes comme le général Roques, le commandant Estienne (1860-1936) [futur créateur des chars], son chef de cabinet, le colonel Hirschauer, successeur de Roques, sans oublier le courage des premiers pilotes qui surent créer l’aviation militaire française.


1914-1918 : l’aviation conquiert le droit de cité dans les armées

C’est incontestablement la Première Guerre mondiale qui a permis de montrer les possibilités réelles de l’avion. Tout ce qui se fera par la suite sera imaginé et essayé au cours de cette guerre : création des subdivisions d’armes, tactique d’emploi, organisation, armement, infrastructure, écoles, D. C. A., etc. Mais tout cela n’intervient que très progressivement. Il faut tenir compte, en effet, du faible crédit dont jouissaient les aviateurs au début de la guerre, de la faiblesse de leurs moyens en 1914 (200 avions environ pour toute l’armée française, à peu près autant du côté allemand), enfin des performances bien modestes de leurs appareils. Toutefois, dès la fin de 1914, les premiers résultats obtenus (en particulier la découverte du changement de direction de l’armée de von Kluck vers la Marne, infirmant tous les renseignements des deuxièmes bureaux) ont modifié l’opinion générale. À la fin de la guerre, les effectifs en ligne seront multipliés par vingt. Les équipements, inexistants en 1914, apparaissent peu à peu : mitrailleuses (1915), compas de navigation, bombes spéciales larguées de lance-bombes bien adaptés, viseurs de tir et de bombardement, appareils photos de prise de vues aériennes, qui ont joué un rôle capital à partir de 1916, T. S. F. (1917), etc.

Dans ces conditions, dès 1917 et surtout en 1918, l’aviation, par ses interventions directes dans le combat terrestre, joue un rôle de premier ordre, et chaque commandant d’unité exige de disposer de ses propres avions, ce qui engendre les discussions les plus passionnées sur l’organisation à donner à cette nouvelle arme, au fur et à mesure que l’expérience du combat permet de dégager des leçons et d’imaginer le meilleur emploi possible.

• Diversification des missions de l’aviation. La guerre de mouvement avait prouvé l’utilité du renseignement aérien ; la guerre de position fait naître l’observation des arrières du champ de bataille, où se préparent, à grand renfort de mouvements, les actions de l’ennemi. L’avion de 1915 trouve ainsi sa première mission : aller survoler l’adversaire et voir plus loin, plus vite et de façon plus précise tout ce qui est hors de vue ou mal distingué par les ballons, que remplaceront bientôt les saucisses et drachens, d’emploi toujours limité.

La détection, par les avions d’observation, des indices permettant de déceler les mouvements de matériel, la relève de troupes, les ravitaillements en munitions rend très vite des services aux états-majors, qui commencent à en apprécier la valeur. Le repérage exact des positions de batteries d’artillerie, les réglages de tirs amis (par signalisation des impacts), les photographies des tranchées apportent au combattant au sol une aide sur laquelle très vite il apprend à compter.

Ces missions sont si fructueuses qu’il faut empêcher l’adversaire d’y recourir. Ainsi naît le rôle du chasseur, qui attaquera l’observateur ou lui interdira un coin de ciel. Seul d’abord, en patrouille ensuite, puis en groupe, il lui appartient d’empêcher l’ennemi d’acquérir ou de transmettre le renseignement observé. Mais il faut aussi faciliter aux avions amis les tâches que l’on tente d’interdire aux autres. Les chasseurs accompagneront donc les avions d’observation et les protégeront contre les attaques de la chasse ennemie.

Avant même la naissance du chasseur, l’avion a été utilisé pour « bombarder » (Taube allemand sur Paris en 1914, bombardement français de la Badische Anilin à Ludwigshafen en mai 1915), portant ainsi au cœur du pays en guerre plus d’insécurité apparente que de ravage réel. Les capacités d’emport croîtront peu à peu, jusqu’à la bombe de 1 000 kg en 1918. Les raids des « Gothas » sur Paris et des avions allemands géants « R » sur Londres peuvent être considérés comme les précurseurs des grandes actions de bombardement de la Seconde Guerre mondiale.