Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vassalité (suite)

Le système vassalique révèle alors ses imperfections. À la base, les populations ne connaissent plus d’autre autorité que celle des seigneurs locaux, qui organisent leur défense autour du château, dont ils ont la garde et qui perd son caractère de forteresse publique pour n’être plus que le garant matériel de leur autorité. À l’échelon immédiatement supérieur, les arrière-vassaux ne se sentent plus engagés qu’à l’égard de leur seigneur direct, de qui ils tiennent un bénéfice sous réserve de services vassaliques, dont l’exécution leur paraît plus contraignante que les devoirs dus à un roi trop lointain.

À l’échelon supérieur, enfin, les vassi dominici, investis d’honores, achèvent de vassaliser ces derniers sous le règne de Louis le Pieux, ce qui leur permet de fusionner au sein de leur patrimoine personnel les beneficia qu’ils détiennent es qualité avec les res de comitatu qui leur ont été remis en tant qu’agents de la puissance publique et seulement pour la durée de leurs fonctions. Nantis ainsi de biens fonciers considérables, présentant le plus souvent une grande cohérence territoriale, ne pouvant plus faire rétribuer leur fidélité par la concession de nouveaux biens prélevés sur les domaines impériaux, trop fortement amputés par les distributions antérieures de bénéfices ainsi que par les cessions de biens en pleine propriété ou par la transformation de tenures en alleux, les comtes et leurs subordonnés ne peuvent plus être déplacés ou révoqués. La nécessité d’assurer une certaine continuité administrative joue également en faveur de leur maintien en fonction leur vie durant et finalement en faveur de la transmission de leur charge à leur fils. En 877, le capitulaire de Quierzy et surtout la proclamation finale qui l’interprète sanctionnent ce glissement du bénéfice vers l’hérédité, qui s’est accéléré après 850.

Obligés d’entrer dans la vassalité royale, du moins dès le règne de Louis le Pieux, considérés comme des agents de la puissance publique titulaires d’honores comprenant à la fois leur dotation et leur fonction (episcopatus, abbatia) assimilée à un bienfait, contraints, enfin, comme les laïques, à l’hommage et au serment, les prélats se libèrent d’autant plus facilement de la tutelle royale qu’ils sont immunistes. À l’exception du glissement vers l’hérédité, ils tendent donc, comme les comtes, à devenir des seigneurs territoriaux autonomes, voire indépendants.


Bilan

Conçu par les Carolingiens pour maintenir la cohésion de l’État en assurant la diffusion de l’autorité royale dans tout l’Empire, le système vassalique, par un paradoxe qui n’est qu’apparent, aboutit à la désagrégation de l’État et, par contrecoup, à la formation, entre 875 et 925, de principautés territoriales nées d’un groupement de comtés, mais qui ne se perpétuent au xe et au xie s. que dans la mesure où leurs chefs savent exploiter les particularismes régionaux et, par là, donner une certaine cohésion à leurs constructions politiques : comté de Flandre, duchés de Bourgogne, d’Aquitaine, de Saxe, de Bavière, de Souabe, de Franconie et de Lorraine. L’autorité des chefs, détenteurs de la puissance publique dans la limite de leur principauté, est finalement atteinte à son tour par le déclin ; elle tend à se limiter aux comtés qui appartiennent en propre à ces chefs, tandis que les relations avec les dirigeants des autres comtés tendent à se limiter à des rapports vassaliques. À l’intérieur de ces rapports, l’autorité comtale se dégrade à son tour au profit de celle des châtelains, qui imposent leur ban aux communautés rurales voisines. Très nette en France, ainsi que l’attestent dans le Maçonnais le recul progressif de l’autorité du duc de Bourgogne au profit de celle du comte de Mâcon et le déclin des pouvoirs de ce comte au profit de ceux des châtelains détenteurs de la seigneurie banale, cette évolution est longtemps retardée en Allemagne en raison de la surveillance étroite exercée sur les ducs par les rois de la dynastie saxonne. Mais, dans les deux pays, elle aboutit également à l’identification du fief au beneficium.

Liés par la réciprocité des services, seigneur et vassal entretiennent dès lors un dialogue privilégié, et ce jusqu’au moment où la généralisation de la pratique de la pluralité des hommages, apparue dès 895, et la diffusion de l’institution de la ligesse, née vers 1050, y introduisent deux éléments perturbateurs, qui entraînent la dégénérescence d’un système qui, depuis le xe s., n’est plus vassalique, mais féodal.

Petit vocabulaire de la vassalité

bénéfice du vassal, concession qui, distincte du bénéfice ecclésiastique, de la tenure (octroyée sous ce nom en vertu d’un contrat de précaire ou en rémunération des services de certains agents domaniaux ou domestiques), peut revêtir plusieurs formes : celle d’une tenure d’une superficie variable, puisqu’elle peut être réduite à quelques manses ou correspondre à une ou à plusieurs villas (domaines) ; celle d’une abbatia (dignité d’abbé), accordée même à un laïque, qui peut ainsi toucher les revenus très lucratifs du monastère attaché à cette dignité.

Concédé par le seigneur à un autre seigneur qui devient son vassal en se recommandant à lui et en lui prêtant serment de fidélité, le bénéfice (beneficium) n’est détenu en droit par ce dernier qu’à titre viager ; pourtant, dès le ixe s., sa détention devient héréditaire par suite de l’altération du système vassalique.

homo ligius, ligius miles, littéralement « homme libre », « vassal libre » (sous-entendu de tout autre lien). Passant du seigneur au vassal, la notion de « lige » (née au milieu du xie s.) souligne dans cette expression la primauté de l’engagement liant le « vassal lige » à l’égard de son « seigneur lige », auquel il a prêté un « hommage libre » qui l’emporte sur les hommages prêtés à ses autres seigneurs. En France, les princes territoriaux sont ainsi qualifiés de « vassaux liges » du roi après l’apparition de la ligesse.