Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

variation (suite)

Les premières variations

Il semble que l’on puisse considérer la diminution ou multiplication des valeurs et l’ornementation*, qui se confondent d’ailleurs dans leur conception comme les premières manifestations savantes de variations. Elles habillent de mille parures improvisées la littérature folklorique, celle du Moyen Âge religieux et profane, enfin celle des instruments dont l’importance va grandissant au début du xvie s. À partir de ce moment, ce n’est d’ailleurs plus dans la musique vocale, où elle évolue de façon restreinte en vocalises ornementales, mais dans la musique instrumentale qu’on suivra l’évolution de la variation. On s’accorde pour reconnaître dans les Diferencias pour vihuela ou clavier de A. de Cabezón* et Luis Narváez (xvie s.) les premières formes de variations conscientes. Elles sont toutes inspirées et imprégnées de celles qui florissaient alors en Espagne dans les œuvres pour vihuela ou guitare. C’est à elles que sont redevables, aux xvie et xviie s., les variations des Italiens, celles des virginalistes anglais, celles des Néerlandais, des Allemands, enfin, celles des Français. Toutes adoptent le même procédé. Partant d’un thème de chanson connue, les compositeurs organisent sur ce cantus une suite de variations tantôt rythmiques, tantôt mélodiques, qui garde la structure harmonique le plus souvent intacte. C’est le cas des variations sur l’air La dama le demande de Cabezón, sur La Romanesca de G. Frescobaldi*, sur Ma jeune vie a une fin de J. P. Sweelinck*, sur Est-ce Mars ? de Samuel Scheidt, ou sur l’air Une jeune fillette de E. Du Caurroy*. Les variations de ce genre, par leurs attaches populaires, annoncent les thèmes variés des Haydn, Mozart et Beethoven.


Choral* et variations

Dans une perspective liturgique, c’est une démarche parallèle qui préside aux variations de chorals, celles-ci étant généralement assez complexes. Cette forme prend racine dans les improvisations de préludes de chorals des organistes allemands des xvie et xviie s. Pour rappeler le thème du cantique à l’assistance, ceux-ci le présentent sous des parures ornementales sans cesse renouvelées qui attestent le génie inventif de leur auteur. Après les chorals variés des Samuel Scheidt (1587-1654), Heinrich Scheidemann (v. 1596 - 1663), Jan Adams Reinken (1623-1722), Franz Tunder (1614-1667), Johann Gottfried Walther (1684-1748), Pachelbel* et Buxtehude*, chacun des commentaires de Bach apparaît individuellement un modèle du genre. Pris globalement, ils témoignent des ressources infinies de la variation. À cet égard, l’autographe de la couverture de l’Orgelbüchlein est très explicite quant à sa destination : « Petit livre d’orgue dans lequel il est donné à un organiste débutant une méthode pour exécuter en toutes sortes de manières un choral. » Dépassant ce célèbre recueil, sorte de modèle réduit de la variation, pour embrasser la totalité des cent cinquante chorals laissés par Bach, on peut distinguer plusieurs principes de variations. C’est d’abord le choral simplement harmonisé à quatre voix (BWV 253-438), le choral contrapuntique (BWV 630), le choral fugué (BWV 669), figuré (BWV 668), canonique (BWV 608) — le plus bel exemple de ce traitement restant les Variations canoniques sur le choral de Noël pour orgue (BWV 769), orchestrées deux siècles plus tard par I. Stravinski* —, le choral en trio (BWV 664), orné (BWV 622), le choral-fantaisie (BWV 651), le choral-partita (BWV 768)... À l’imitation des préludes de chorals du Cantor, des Mendelssohn* (6e sonate pour orgue), des Reger (chorals-variations, pour orgue également), entre autres, tentèrent, en vain semble-t-il, de faire renaître une forme déjà parvenue à son achèvement, à la perfection.


Ostinato et variations

Issu de l’ancien cantus firmus grégorien, puis de la teneur, l’ostinato va apparaître progressivement dans la musique vocale, puis instrumentale, et constituer désormais une des formes les plus élaborées de la variation. Si l’on excepte les messes des xve et xvie s. sous-tendues par un cantus firmus grégorien ou profane, et qui annoncent donc les formes à ostinato, le premier exemple réel dans ce domaine semble être une basse-danse de Diego Ortiz (né v. 1510).

Basso ostinato en Italie, basse contrainte en France, ground bass en Angleterre, ce thème de quatre ou huit mesures, inlassablement répété à la partie grave, donne lieu à l’édification de variations synthétisant parfaitement invariant et variants. Le madrigal à deux voix Zefiro torna de Monteverdi*, la plainte de Didon abandonnée de H. Purcell*, qui offre de troublantes similitudes avec le Crucifixus de la Messe en « si » mineur de Bach, donnent, entre autres, l’idée la plus parfaite de l’ostinato dans la musique vocale. Dans la musique instrumentale, cette forme d’écriture gardera le nom de ground (quelquefois prolusio et divisions) chez les gambistes et virginalistes anglais des xvie et xviie s. ; elle prendra celui de passacaille ou chaconne dans les autres pays. Encore qu’en France la signification de tels termes devait subir de très sensibles distorsions, puisque, à de très rares exceptions près (André Raison), la passacaille et la chaconne adoptent chez nous la forme rondeau (Louis et François Couperin*). Cette science de l’ostinato, déjà rencontrée en Italie (Frescobaldi), en Grande-Bretagne (W. Byrd*, John Bull, Giles Farnaby) et qui périclite dans notre pays, s’imposera avec éclat dans les Allemagnes, d’abord avec les prédécesseurs immédiats de Bach (Pachelbel, Buxtehude), puis, et surtout, avec le Cantor lui-même. Sa Chaconne pour violon seul et sa grande Passacaille et fugue pour orgue semblent en effet atteindre une limite difficile à dépasser dans l’exploitation de la variation sur ostinato. Cette limite paraît pourtant repoussée encore avec l’Offrande musicale et l’Art de la fugue, qui sont des formes à variations dont la conception, par l’omniprésence du thème et en dépit de ses transformations, se rapproche étrangement de celle des formes à ostinato. Tombée par la suite en désuétude, la passacaille retrouvera pourtant un lustre passager avec Brahms* (quatrième symphonie), Max Reger (Introduction, passacaille et fugue pour orgue), Berg (passacaille du premier acte de Wozzeck) et H. Dutilleux* (deuxième symphonie). Appliqué principalement au rythme, l’ostinato est le fondement de grandes partitions du xxe s. (le Sacre du printemps de I. Stravinski*, Turangalîla-Symphonie de O. Messiaen*, ou encore le célèbre Boléro de M. Ravel*, qui combine ostinatos mélodique, harmonique et rythmique).