Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Varèse (Edgard) (suite)

De 1918 à 1921, grâce à deux mécènes anonymes, il peut se consacrer à la composition des Amériques, œuvre destinée à un très grand orchestre, qui ne fut exécutée qu’en 1926. Il écrit ensuite deux mélodies pour soprano et orchestre de chambre, puis se succèdent, concis, ramassés, déterminant un nouvel univers sonore, Hyperprism (1923), Octandre (1924), Intégrales (1925). Deux ans plus tard, Varèse termine une œuvre de grande envergure, Arcana, puis en 1928 il part pour Paris où il reste cinq ans. Mais on ne comprendra rien à la nécessité de « forger des modes d’expression nouveaux », et le compositeur ne pourra réaliser ses projets de création d’un nouvel institut musical, doublé d’un laboratoire de recherches acoustiques. Il retourne à New York, déçu, amer. Il rapporte l’œuvre qu’il a terminée en 1931, Ionisation, pour percussions seules. En 1934, Nicolas Slonimsky dirige Ecuatorial, pour voix de basse et orchestre, sur un texte fervent du Popol-Vuh des Mayas. En 1936, Varèse consent à écrire Densité 21,5 pour la flûte en platine de Georges Barrère, puis il s’enfonce dans un silence de vingt années, qu’il consacre à la méditation.

Il ne trouve aucun organisme pour s’intéresser à ses conceptions, à la création et à l’utilisation de machines électroniques destinées à former les éléments d’un univers sonore inouï. Il voyage, vit dans les déserts du Nouveau-Mexique, fait des conférences à Santa Fe, puis regagne New York ; il y fonde, en 1941, le Greater New York Chorus, dont le rôle est « de conserver, de propager et de bâtir ». Varèse ajoute, en ce temps de guerre mondiale : « À notre époque de crise, il est de la plus grande importance de protéger nos valeurs culturelles et même plus important de les dépasser et d’édifier de nouvelles réalités. » Il connaît alors une élite qui a fui le nazisme, fréquente Schönberg* et Béla Bartók*, Malraux* et Lévi-Strauss*. Henry Miller* lui consacre une partie du Cauchemar climatisé, relevant cette phrase de Varèse : « Je voudrais quelque chose qui donne l’impression du désert de Gobi. »

En 1950, après la sortie de son premier microsillon et de son cours de composition à Darmstadt, il commence la partition instrumentale de Déserts, tout en enregistrant des sons qu’il manipule sur son magnétophone pour construire les interpolations de « son organisé ». Henry Barraud l’invite à terminer cette musique sur bande magnétique dans les Studios d’essai de Pierre Schaeffer. En octobre 1954, Varèse revient à Paris et le 2 décembre, au théâtre des Champs-Élysées, les Déserts sont exécutés sous la direction de Hermann Scherchen, Pierre Henry assurant la diffusion des interpolations en « son organisé ». Le scandale est comparable à celui du Sacre du Printemps.

Lorsque Le Corbusier* est chargé par Philips de construire un pavillon pour l’Exposition universelle de Bruxelles, il exige la participation de Varèse, qui compose le Poème électronique à Eindhoven dans l’hiver 1957-58. La conception et la réalisation de l’architecture sont confiées à Yannis Xenakis*.

Au retour de Varèse à New York, sa musique est enfin connue et estimée. Il devient célèbre ; on organise concerts, rencontres et conférences dans les universités américaines. Ricordi édite ses partitions, plusieurs disques sont enregistrés, tandis que Varèse poursuit la composition de Nocturnal pour soprano solo, chœur de basses et orchestre. Une première partie est jouée en 1961, mais le compositeur ne pourra terminer son œuvre : le 6 novembre 1965, il meurt à l’hôpital universitaire de New York. Xenakis déclarera : « C’était notre grand alchimiste, le découvreur de terres vierges, l’inventeur d’une nouvelle combinatoire des sons [...] Varèse est peut-être le premier qui ne se soit fié qu’à son instinct, le premier à concevoir et à maîtriser le son en soi, le son non mesurable, le premier à composer les sons au lieu d’écrire des notes de musique. »


L’œuvre

« Mon œuvre commence avec les Amériques », disait Varèse. Le thème de cette œuvre est « une méditation sur les possibilités extraordinaires de notre nouvelle civilisation ». L’esprit est proche encore de Berlioz, mais le compositeur se sert, dès 1921, de moyens inhabituels. Ainsi utilise-t-il le son pur, qui agit sur les harmoniques comme le prisme de cristal sur la lumière pure : « Cette utilisation les irradie en mille vibrations variées et inattendues. » Il introduit des éléments géométriques, brise les rythmes, coupe les intensités brusquement, agit sur la dynamique pour produire des pulsations d’une violente vitalité, d’où l’angoisse n’est pas écartée. Les thèmes et les plans s’engendrent les uns des autres, jusqu’à un final incantatoire.

Les Offrandes, pour soprano et petit orchestre, témoignent d’une volonté de sobriété, de raffinement, plus proche d’un Debussy que d’un Schönberg. L’écriture instrumentale est caractéristique de Varèse : notes répétées, extrême précision du dynamisme, modelage d’une tenue par le souffle de l’exécutant. Les inventions, les découvertes fourmillent. La voix se déploie sur une large tessiture, tandis que le sentiment harmonique s’estompe pour laisser place à des accords de timbres, des jeux de lumière, des rythmes dont la liberté est méticuleusement contrôlée.

Hyperprism, composé en 1922-23 et que l’on considère souvent comme la première œuvre de musique spatiale, s’inspire de la décomposition de la lumière dans les prismes, créant « une impression auditive de déformation prismatique ». Varèse explique : « Dans mon œuvre, on trouve, à la place de l’ancien contrepoint linéaire fixe, le mouvement de plans et de masses sonores, variant en intensité et en densité. Quand ces sons entrent en collision, il en résulte des phénomènes de pénétration ou de répulsion. » L’œuvre est construite à partir d’une cellule, une note précédée de son appoggiature, cellule de base soumise à des variations, à des « transmutations », selon la terminologie de Varèse.