Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Van Eyck (suite)

Beaucoup d’œuvres sont bâties sur un motif central qui souligne la symétrie de la composition et leur confère cette calme ordonnance dont l’artiste ne se départit guère. S’il traite des sujets dramatiques, et il le fait rarement, il évite les grands mouvements et se borne à l’expression de la douleur d’une manière un peu forcée : le Calvaire (musée de Berlin-Dahlem), les Trois Marie au Tombeau (musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam), à la perspective encore hésitante. Il est nettement plus à son aise dans les scènes paisibles, tel Saint François recevant les stigmates (galerie Sabauda, Turin).

Le portrait tient une place considérable dans l’œuvre eyckienne, et même les compositions religieuses en offrent quelques exemples remarquables. Le peintre scrute les visages avec un sens aigu de l’observation, et le résultat est sans doute d’une vérité implacable. Le premier portrait connu, le Tymotheus (1432, National Gallery, Londres), est d’une insignifiance totale : c’est l’image d’un benêt. L’Homme au turban rouge (1433, ibid.), par contre, frappe par son caractère décidé, son expression froide et distante. Ce caractère sera plus accentué encore dans le portrait d’un chevalier de la Toison d’or, Baudouin de Lannoy, d’une morgue insolente (Berlin, Stiftung Staatliche Museen). En revanche, le Cardinal Albergati (Kunsthistorisches Museum, Vienne) est un vieillard paisible, et l’Orfèvre du musée de Bucarest a l’air plus candide que son confrère Jan de Leeuw (1436, Vienne). Un seul portrait de femme : l’épouse de l’artiste, Margareta (1439, Bruges), d’un abord peu chaleureux avec ses lèvres serrées. À citer à part, le double portrait des Époux Arnolfini (1434, National Gallery, Londres), peut-être le premier exemple d’un portrait en pied, et surtout d’une scène d’intérieur profane. La qualité picturale, la beauté du registre chromatique, le mystère des objets quotidiens (avec cette image des témoins reflétée dans un petit miroir) ajouté à la sévérité des attitudes, le rôle actif, enfin, de la lumière tamisée qui unifie toute la composition magnifient ce chef-d’œuvre inaugural dédié à l’intimité bourgeoise.

Dans les tableaux religieux, le caractère dur du chancelier Rolin contraste avec l’air bonasse du chanoine Van der Paele, et personne ne croira à l’intelligence de Joos Vijd, l’homme qui commanda le retable de l’Agneau mystique. Ce réalisme puissant fait la grandeur de Van Eyck. Grâce à son dessin précis soutenu par un coloris dense, grâce à l’attention qu’il porte à la réalité de l’espace et de la lumière, il impose une nouvelle image du monde. L’homme se trouve confronté avec lui-même, avec les aspects de sa vie. Malgré le petit nombre d’œuvres qui nous restent pour juger l’artiste, l’opinion de ses contemporains est pleinement justifiée : Jan Van Eyck est le plus grand peintre de l’école flamande du xve s.

R. A.

 E. Renders, Jan Van Eyck, son œuvre, son style, son évolution et la légende d’un frère peintre (Beyaert, Bruges, 1935). / C. de Tolnay, le Maître de Flémalle et les frères Van Eyck (la Connaissance, Bruxelles, 1938) ; le Retable de l’Agneau mystique des frères Van Eyck (la Connaissance, Bruxelles, 1938). / L. Baldass, Jan Van Eyck (Londres, 1952). / P. Coremans, l’Agneau mystique. Au laboratoire (Éd. de Sikkel, Anvers, 1953). / J. Bruyn, Van Eyck Problemen (Utrecht, 1957). / S. Thalheimer, Der Gentner Altar (Munich, 1967). / G. T. Faggin, L’Opera completa dei Van Eyck (Milan, 1968 ; trad. fr. Tout l’œuvre peint des frères Van Eyck, Flammarion, 1968).

Van Gogh (Vincent)

Peintre néerlandais (Groot-Zundert 1853 - Auvers-sur-Oise 1890).


L’image du génie fou et malheureux, qui flatte une certaine idée de l’art et des artistes, a trouvé en Van Gogh une de ses incarnations les plus convaincantes. Sa vie, tragique et brève, a été transformée en mythe par une abondante littérature. Il est vrai que, né d’un père pasteur et d’une mère portée vers les lettres et les arts, il va tenter, dans la religion d’abord, puis dans la peinture, de se réaliser avec une intensité douloureuse et violente jusqu’au paroxysme.

Après une enfance taciturne et rêveuse, il doit dès 1869 se mettre au travail et trouve un emploi, à La Haye, puis à Londres et à Paris, chez un marchand d’art qui le renvoie en 1876. Il se sent appelé à une plus haute, mais aussi plus dure mission : il se met au service d’un pasteur d’un quartier populaire de Londres, puis, après s’être essayé aux études théologiques, il est envoyé comme évangéliste dans le Borinage, auprès des mineurs. Poussant le dévouement jusqu’à l’extrême sacrifice, il atteint le fond de sa crise intérieure lorsqu’il doit renoncer, désapprouvé par l’Église (1879). Il réinvestit alors toute son énergie dans le dessin, cherchant à travers portraits, paysages et natures mortes la vérité sur l’homme et sur sa condition désespérante.


Les débuts, 1880-1885

Il commence son apprentissage d’artiste avec confiance, aidé financièrement et moralement par son frère Théo (1857-1891), avec lequel il entretiendra une correspondance exceptionnelle tant par son abondance que par ce qu’elle révèle sur sa sensibilité, ses pensées, son existence et sa manière de travailler. Outre l’étude de recueils de gravures et d’ouvrages techniques, il copie des œuvres de Millet* et en reprend sans cesse les thèmes (le semeur), s’initie à l’art des maîtres flamands et hollandais et aux lois de la perspective, dessine d’après nature (chez ses parents, à Etten, en 1881) des paysages, des instruments agricoles, des ateliers d’artisans et des portraits.

Mais cette ardeur au travail est fonction d’une détresse grandissante : après un cruel échec sentimental avec sa cousine Kee, une violente altercation avec son père (Noël 1881) et son départ pour La Haye (où un parent, le peintre Anton Mauve [1838-1888], l’initie à la peinture à l’huile), il connaît une liaison avec une prostituée, incarnation à ses yeux du déclassement qui correspond à sa propre volonté de rupture ; passée la période d’enthousiasme, l’aventure s’achève en 1883 dans la solitude, au cœur de la région sauvage de la Drenthe, puis, à l’approche de l’hiver, chez ses parents à Nuenen. Là, il reprend ses lectures, Zola* particulièrement, et son travail, dans des figures de paysans, des séries de scènes avec personnages (tisserands penchés dans la pénombre sur leur métier) et des natures mortes. Par les thèmes, la composition, le goût des détails et aussi celui des volumes définis par des éclairages brutaux, il retrouve l’héritage du réalisme hollandais (les Mangeurs de pommes de terre, 1885, musée national Vincent Van Gogh, Amsterdam). Mais bientôt, sous l’influence de Rembrandt et de Hals, de Delacroix, de Chardin (qu’il rapproche de Vermeer) et surtout de Rubens (découvert à Anvers en 1885), le problème de la couleur devient primordial pour le jeune homme : il éclaircit sa palette, assouplit sa facture et, dans le même temps, privilégie le portrait.

Cependant, c’est à Paris qu’il peut trouver, outre la présence fraternelle de Théo, qui le rassure, un climat d’effervescence artistique qui le stimulera de façon décisive. Il y arrive, déjà dégagé des contraintes de l’apprentissage, au début de 1886.