Van Eyck (suite)
Beaucoup d’œuvres sont bâties sur un motif central qui souligne la symétrie de la composition et leur confère cette calme ordonnance dont l’artiste ne se départit guère. S’il traite des sujets dramatiques, et il le fait rarement, il évite les grands mouvements et se borne à l’expression de la douleur d’une manière un peu forcée : le Calvaire (musée de Berlin-Dahlem), les Trois Marie au Tombeau (musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam), à la perspective encore hésitante. Il est nettement plus à son aise dans les scènes paisibles, tel Saint François recevant les stigmates (galerie Sabauda, Turin).
Le portrait tient une place considérable dans l’œuvre eyckienne, et même les compositions religieuses en offrent quelques exemples remarquables. Le peintre scrute les visages avec un sens aigu de l’observation, et le résultat est sans doute d’une vérité implacable. Le premier portrait connu, le Tymotheus (1432, National Gallery, Londres), est d’une insignifiance totale : c’est l’image d’un benêt. L’Homme au turban rouge (1433, ibid.), par contre, frappe par son caractère décidé, son expression froide et distante. Ce caractère sera plus accentué encore dans le portrait d’un chevalier de la Toison d’or, Baudouin de Lannoy, d’une morgue insolente (Berlin, Stiftung Staatliche Museen). En revanche, le Cardinal Albergati (Kunsthistorisches Museum, Vienne) est un vieillard paisible, et l’Orfèvre du musée de Bucarest a l’air plus candide que son confrère Jan de Leeuw (1436, Vienne). Un seul portrait de femme : l’épouse de l’artiste, Margareta (1439, Bruges), d’un abord peu chaleureux avec ses lèvres serrées. À citer à part, le double portrait des Époux Arnolfini (1434, National Gallery, Londres), peut-être le premier exemple d’un portrait en pied, et surtout d’une scène d’intérieur profane. La qualité picturale, la beauté du registre chromatique, le mystère des objets quotidiens (avec cette image des témoins reflétée dans un petit miroir) ajouté à la sévérité des attitudes, le rôle actif, enfin, de la lumière tamisée qui unifie toute la composition magnifient ce chef-d’œuvre inaugural dédié à l’intimité bourgeoise.
Dans les tableaux religieux, le caractère dur du chancelier Rolin contraste avec l’air bonasse du chanoine Van der Paele, et personne ne croira à l’intelligence de Joos Vijd, l’homme qui commanda le retable de l’Agneau mystique. Ce réalisme puissant fait la grandeur de Van Eyck. Grâce à son dessin précis soutenu par un coloris dense, grâce à l’attention qu’il porte à la réalité de l’espace et de la lumière, il impose une nouvelle image du monde. L’homme se trouve confronté avec lui-même, avec les aspects de sa vie. Malgré le petit nombre d’œuvres qui nous restent pour juger l’artiste, l’opinion de ses contemporains est pleinement justifiée : Jan Van Eyck est le plus grand peintre de l’école flamande du xve s.
R. A.
E. Renders, Jan Van Eyck, son œuvre, son style, son évolution et la légende d’un frère peintre (Beyaert, Bruges, 1935). / C. de Tolnay, le Maître de Flémalle et les frères Van Eyck (la Connaissance, Bruxelles, 1938) ; le Retable de l’Agneau mystique des frères Van Eyck (la Connaissance, Bruxelles, 1938). / L. Baldass, Jan Van Eyck (Londres, 1952). / P. Coremans, l’Agneau mystique. Au laboratoire (Éd. de Sikkel, Anvers, 1953). / J. Bruyn, Van Eyck Problemen (Utrecht, 1957). / S. Thalheimer, Der Gentner Altar (Munich, 1967). / G. T. Faggin, L’Opera completa dei Van Eyck (Milan, 1968 ; trad. fr. Tout l’œuvre peint des frères Van Eyck, Flammarion, 1968).