Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vague (Nouvelle) (suite)

Ce moment somme toute privilégié du cinéma que constitue, au regard d’aujourd’hui, la Nouvelle Vague se prolongea par le succès de Jules et Jim de François Truffaut, qui abandonnait là l’autobiographie déguisée qui venait de causer l’insuccès de son Tirez sur le pianiste, l’interdiction du Petit Soldat de Godard, les échecs commerciaux de Godelureaux et des Bonnes Femmes de Chabrol, le triomphe international, dû au snobisme pour une bonne part, de l’Année dernière à Marienbad, que Resnais réalisa d’après un scénario d’Alain Robbe-Grillet. Parallèlement, divers « isolés » se révélèrent, tel le Robert Enrico (né en 1931) de la Rivière du hibou (court métrage, 1961) et de la Belle Vie (1963), qui fut un des seuls films du moment, avec le Petit Soldat (1960) et Muriel (1962) de Resnais, à évoquer la guerre d’Algérie, tels aussi le Jacques Deray (né en 1929) du Gigolo (1960), le Michel Drach (né en 1930) d’On n’enterre pas le dimanche (prix Louis Delluc, 1959), l’Alain Cavalier (né en 1931) du Combat dans l’île (1962) ou le Paul Paviot (né en 1926) de Pantalaskas (1959).

La Nouvelle Vague, qui n’a jamais, au fond, élaboré de vraie théorie du cinéma à mettre en application, a surtout innové sur le plan de la technique du film : refus des éclairages traditionnels, montage axé avant tout sur le faux raccord (d’où l’importance d’À bout de souffle), emploi d’une pellicule plus rapide et de caméras plus légères, tournage quasi systématique en extérieurs, découverte de comédiens neufs et talentueux (Jean-Paul Belmondo, Gérard Blain, Jean-Claude Brialy, Bernadette Lafont et même Jeanne Moreau, dont la carrière cinématographique, jusque-là, se révélait décevante).

Sur le plan thématique, en revanche, il semble bien que les cinéastes de la Nouvelle Vague, Resnais ou Godard exceptés, n’aient pas apporté de substance très enrichissante. Par leurs origines sociales et culturelles, les metteurs en scène des années 60 sont de petits ou de moyens bourgeois, et ils se contentent de décrire avec tendresse (Pierre Kast dans la Morte-Saison des amours, 1960) ou cruauté (le Chabrol des Bonnes Femmes) le milieu qui est le leur.

Il est même assez probable que, pour un historien du futur, le jeune cinéma de la Nouvelle Vague ne se différenciera guère, au niveau du contenu, de ce cinéma de la qualité (dialogué par Jean Aurenche et Pierre Bost) que François Truffaut, dans ses articles, vouait aux gémonies. Et le sujet d’À bout de souffle n’est-il pas une variation sur le thème de Quai des brumes ou de Pépé le Moko ? Si, par la suite, Jean-Luc Godard s’est de plus en plus éloigné des circuits traditionnels pour œuvrer même au sein du cinéma militant, force est de constater que Claude Chabrol et François Truffaut se sont rapidement glissés à l’intérieur du cinéma commercial, celui-là même qu’ils avaient décidé de faire disparaître quand ils étaient critiques. Landru ou la Femme infidèle de Chabrol, La mariée était en noir ou la Nuit américaine de Truffaut sont des œuvres estimables, mais rien moins que révolutionnaires. Il en est de même pour les « Contes moraux » d’Éric Rohmer, qui a connu un succès tardif et mérité pour Ma nuit chez Maud et le Genou de Claire, austères et précieuses histoires d’amour qui tentent de retrouver le classicisme du xviiie s.

Tandis que Michel Deville, avec Benjamin et Raphaël ou le Débauché, retrouve une audience qui lui faisait défaut depuis ses premiers films, que Philippe de Broca et Roger Vadim vont toujours plus profond dans des entreprises commerciales (le Magnifique pour le premier, Don Juan pour le second), que Resnais tourne de loin en loin un film, réussi (La guerre est finie, 1965) ou contesté (Stavisky, 1973), que de jeunes fous de cinéma viennent grossir les rangs des anciens de la Nouvelle Vague (Claude Lelouch est du nombre, dès 1964, avec Une fille et des fusils), que d’autres ne parviennent pas à tenir leurs promesses (le Claude de Givray [né en 1933] de l’Amour à la chaîne, 1965 ; l’Alain Jessua [né en 1932] de la Vie à l’envers, 1963), quelques cinéastes s’acharnent à demeurer fidèles à eux-mêmes et travaillent en francs-tireurs : ainsi Jacques Rivette qui, après un détour par le film de (plus) grande audience (Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot), est revenu aux méthodes du cinéma direct et de l’improvisation (l’Amour fou, Out one, Céline et Julie vont en bateau), ou Marcel Hanoun (né en 1929), qui se situe volontairement en marge de la production avec des films comme Une simple histoire (1957), l’Authentique Procès de Carl-Emmanuel Jung (1967) ou l’Automne (1972).

Que reste-t-il aujourd’hui de la Nouvelle Vague ? De très grands succès (À bout de souffle, Hiroshima mon amour, Cleo de 5 à 7 de A. Varda ou les Parapluies de Cherbourg de J. Demy), une façon insolite et insolente de pratiquer le réalisme (inspirée de Jean Renoir et de Roberto Rossellini), une tendance persistante à traiter de sujets souvent superficiels. Mais il faut surtout mettre à son actif un rajeunissement radical du cinéma français, la découverte d’auteurs à l’univers personnel, à l’écriture originale (même en surface), la défense de certains secteurs du cinéma considérés comme non existants (l’ethnologie et la sociologie avec Jean Rouch [v. documentaire], le père du « cinéma-vérité » [Moi un Noir, 1958 ; Chronique d’un été, 1960] ; le comique de poésie héritier de Jacques Tati avec le Pierre Étaix du Soupirant, 1962). Si, à quelques exceptions près (Godard, Resnais), la rupture que fut la Nouvelle Vague se fit dans la continuité de la tradition, elle n’en fit pas moins entendre des voix neuves. Que celles-ci se soient tues ou singulièrement affaiblies depuis ne change rien à l’affaire.

M. G. et J.-L. P.

 A. S. Labarthe, Essai sur le jeune cinéma français (le Terrain vague, 1961). / J. Siclier, Nouvelle Vogue ? (Éd. du Cerf, 1961).