Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

Il faut attendre le règne de Pierre le Grand (1682-1725) pour assister à une renaissance de l’art musical, mais ce sera un art d’importation. Le tsar favorisa la venue en Russie de musiciens et d’orchestres étrangers ; musique vocale et danse arrivaient d’Occident. Après sa mort, le Français Jean-Baptiste Landet [ou Landé] († en 1748), établi en Russie en 1734, organise l’art chorégraphique. Le Napolitain Francesco Araja (1700 - v. 1767) dirige en 1736 la chapelle de la Cour, dont les exécutants se recrutent en Italie. En même temps, il fait connaître aux Russes l’opera seria et écrit le premier opéra sur un texte russe (Altzesta). À sa suite, les musiciens italiens envahissent la Russie : Pietro Antonio Locatelli, Giovanni Vincenzo Manfredini, Baldassare Galuppi, Tommaso Traetta, Giovanni Paisiello, Guiseppe Sarti, Giovanni Battista Martini, Cimarosa écrivent des opéras italiens pour le public russe. Certains d’entre eux bénéficient de la protection de l’impératrice Catherine. Concurremment, mais avec moins de succès, on représente des œuvres de Monsigny, de Gluck, de Grétry, de Méhul et de Mozart.

Cependant, à partir de la seconde moitié du xviiie s., un mouvement nationaliste se dessine timidement, encouragé par Catherine II. La première comédie-opéra russe, Aniouta, de Mikhaïl Popov, date de 1772. Des compositeurs russes, Evstignei Ipatovitch Fomine (1761-1800), Mikhaïl Alekseïevitch Matinski (1750 - v. 1820), écrivent des opéras où certains personnages accusent un caractère populaire. Déjà, ils emploient quelques mélodies folkloriques. Mais deux étrangers vont encore venir à Saint-Pétersbourg. Le Vénitien Catterino Cavos (1775-1840), arrivé en 1799 et nommé maître de chapelle de la cour, donne au théâtre opéras, ballets, vaudevilles. Si l’influence italienne demeure la plus grande dans son œuvre, il s’efforce toutefois de traiter des sujets russes (le Preux Ilia, Svetlana, Ivan Soussanine) et emprunte parfois des thèmes populaires, mais en les transformant par une technique tout italienne. De 1804 à 1810, le Français Boieldieu dirige la chapelle impériale et compose une dizaine d’opéras-comiques pour la cour.

Deux Russes, Maksim Sozontovitch Berezovski (1745-1777) et Dmitri Stepanovitch Bortnianski (1755-1825), qui ont étudié en Italie, consacrent leurs efforts à la musique d’église, en laquelle ils fusionnent les chants orthodoxes à la technique occidentale. Bortnianski affirme que le chant orthodoxe, dont il recommande l’étude, doit « contribuer à la naissance [...] d’une école foncièrement russe ».

Un autre Russe, Alekseï Nikolaïevitch Verstovski (1799-1862), se révèle comme le prédécesseur de Glinka avec son opéra le Tombeau d’Askold. Créé à Moscou en 1835, un an avant l’Ivan Soussanine de Glinka, il associe la technique occidentale au fonds national : sujet russe, allure populaire, emploi de mélodies russes.


L’école russe au xixe s

Poussant plus loin les tentatives éparses de ses prédécesseurs, Mikhaïl Ivanovitch Glinka (1804-1857), ainsi qu’il le disait lui-même, cherche à « unir le chant populaire russe et la bonne vieille fugue d’Occident ». Il fraie le chemin à une école nationale particulièrement originale. Il adapte les connaissances qu’il avait acquises en Allemagne et en Italie aux exigences d’une musique essentiellement russe : il emploie les thèmes populaires, ou en invente qui ont une saveur typiquement russe, son harmonie revêt un caractère modal, il use de rythmes impairs. Ses deux opéras, la Vie pour le tsar ou Ivan Soussanine (1836) et Rouslan et Lioudmila (1842), représentent l’essentiel de son message et annoncent tout l’opéra russe à venir. Le premier est une épopée nationale ; il donne une grande place au chœur ; le second exploite le goût de Glinka pour les mélopées orientales et dévoile un certain penchant pour le fantastique et le féerique, annonçant ainsi Kitège et le Coq d’or de Rimski-Korsakov, l’Oiseau de feu de Stravinski et l’Amour des trois oranges de Prokofiev.

Aleksandr Sergueïevitch Dargomyjski (1813-1869) reprend les idées de son prédécesseur et, dans son œuvre maîtresse, le Convive de pierre (1869), il pousse déjà très loin l’emploi du récitatif mélodique et dramatique, préfigurant ainsi le réalisme de l’école russe. Il abandonne le découpage en scènes de l’ancien opéra et s’inspire du déroulement du drame : la mélodie est motivée par le sens du texte ; tout l’art de Moussorgski se trouve en puissance dans cet opéra.

Succédant à ces deux pionniers, quelques musiciens forment vers 1860 le groupe des Cinq*. Il comprend Mili Alekseïevitch Balakirev, César Cui, Moussorgski*, Borodine* et Rimski-Korsakov*. Leur point commun est qu’aucun d’entre eux n’est parti dans la vie avec l’idée d’embrasser la carrière de compositeur. À part César Cui, qui avait fait des études musicales relativement poussées, les autres sont des autodidactes, mais l’intuition et le génie leur tiendront lieu de savoir. Reprenant les idées de Glinka en les développant, ils porteront très haut le renom de l’école russe. Peu fervents de formes fixes, ils préféreront la musique à programme (poème symphonique) et l’opéra, chacun traitant des sujets différents, mais se rapportant toujours à la Russie : Moussorgski, l’histoire ; Borodine, l’épopée ; Rimski-Korsakov, les contes et légendes.

Parallèlement aux Cinq, et s’opposant à eux, un groupe de musiciens académistes et occidentalisants naît sous l’égide du conservatoire de Saint-Pétersbourg, fondé en 1862 par Anton Grigorievitch Rubinstein (ou Roubinchtein) [1829-1894]. Tchaïkovski* en sera le plus illustre représentant par son sens de la forme et de l’orchestration, et malgré ses fréquentes rodomontades sentimentales. D’ailleurs, en dépit de leur nationalisme ardent, les Cinq ne resteront pas insensibles à la musique d’un Berlioz, venu deux fois en Russie (1847 et 1868). Le traité d’instrumentation de ce dernier leur servira de modèle, tout particulièrement à Rimski-Korsakov. Celui-ci, au cours d’un bref voyage à Paris en 1889, appréciera l’œuvre de Debussy et celle de Ravel...