Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

C’est cependant dans son actualité, et en particulier dans l’image qu’elle donne de la révolution et de la guerre civile, que réside surtout la nouveauté de la prose issue de la révolution. Romantiques, Boris Pilniak* (1894-1937), avec Goly god (l’Année nue, 1921), Vsevolod Viatcheslavovitch Ivanov (1895-1963) avec Partizany (les Partisans, 1921) et Bronepoïezd 14-69 (le Train blindé 14-69, 1922) et Issaak Babel* (1894-1941) avec Konarmia (Cavalerie rouge, 1923-1925) exaltent, dans un langage qui s’adresse surtout à la sensibilité, la spontanéité anarchique et violente de la révolution, qu’ils rattachent parfois, à la suite de Blok et de Pilniak, au principe « scythe » (c’est-à-dire anti-européen) de l’histoire russe. À l’inverse, de jeunes communistes comme Iouri Nikolaïevitch Libedinski (1898-1959) dans Nedelia (la Semaine, 1922), Dmitri Andreïevitch Fourmanov (1891-1926) dans Tchapaïev (1923) et Aleksandr A. Fadeïev* (1901-1956) dans Razgrom (la Défaite, 1925) soulignent le principe volontaire et réfléchi d’ordre et d’organisation qu’incarnent les révolutionnaires conscients que sont les commissaires bolcheviks : les procédés narratifs traditionnels et l’analyse psychologique tendent ici (et en particulier chez Fadeïev) à prendre le pas sur l’emphase expressive des « romantiques ». La même tendance, associée à un réalisme plus cru, apparaît chez l’institutrice sibérienne Lidia Nikolaïevna Seïfoullina (1889-1954), qui peint dans Peregnoï (l’Humus, 1922) et Virineïa (1925) la prise de conscience révolutionnaire d’une paysannerie étouffée par l’ignorance et les préjugés. La lucidité réaliste l’emporte chez des écrivains qui, comme Alexis Tolstoï* (1883-1945) dans le roman Sestry (les Sœurs, 1920-21), écrit en émigration, ou Mikhaïl A. Boulgakov* (1891-1940) dans Bielaïa Gvardia (la Garde blanche, 1925), peignent la guerre civile du point de vue des Blancs. Avec le recul, la révolution inspire des œuvres de longue haleine, dont certaines, comme Rossia, kroviou oumytaïa (la Russie lavée dans le sang, 1932) d’Artem Vesselyï (1899-1939), perpétuent le style romantique des années 20, mais dont les plus importantes, Tikhi Don (le Don paisible, 1re et 2e partie, 1928-29) de Mikhaïl A. Cholokhov* (né en 1905), Posledni iz Oudegue (le Dernier des Oudegues, commencé en 1929) de Fadeïev et la trilogie d’Alexis Tolstoï Khojdenie po moukam (le Chemin des tourments), continuée en 1927 avec Vossemnadtsatyï god (l’Année 18), suite du roman Sestry, confirment l’évolution de la littérature soviétique vers un réalisme épique et monumental, dont Gorki donne l’exemple avec Jizn Klima Samguina (la Vie de Klim Samguine, 1927-1936).

Cependant, le contraste entre la prose quotidienne, qui reprend ses droits à la faveur de la NEP, et l’exaltation révolutionnaire des dernières années provoque à partir de 1921 une floraison de la satire. Philosophique chez Ilia Ehrenbourg* (1891-1967), dont le feuilleton satirique Neobytchaïnye pokhojdenia Khoulio Khourenito (les Aventures extraordinaires de Julio Jurenito, 1922) est une critique corrosive du monde contemporain, et chez Zamiatine, qui présente dans My (Nous autres, écrit en 1921, publié à l’étranger en 1924) la vision terrifiante de l’État totalitaire de l’avenir, la satire se fonde ailleurs sur l’observation des mœurs et du langage quotidien de la Russie postrévolutionnaire. Elle est illustrée par les nouvelles de Boulgakov (Sobatchie serdtse [Cœur de chien, 1925]) et de Valentine P. Kataïev*, né en 1897) [Rastrattchiki (les Dilapideurs, 1926)], par les récits de Zochtchenko, qui imitent les façons de parler et de penser du badaud soviétique, par ceux d’Andreï Platonov* (1899-1951) [Gorod Gradov (la Ville de Villegrad, 1926), Vprok (À l’avance, 1931)], dont l’humour poussé jusqu’au grotesque laisse percer un sentiment d’angoisse devant la condition humaine, et enfin par les romans picaresques d’Ilia Ilf (1897-1937) [Dvenadtsat stouliev (les Douze Chaises, 1928)] et d’Ievgueni Petrov (1903-1942) [Zolotoï telenok (le Petit Veau d’or, 1931)], sommes satiriques de la société soviétique des années de la NEP.

Par-delà l’observation satirique de la vie quotidienne, la transformation en profondeur des structures sociales et des mentalités favorise la renaissance du roman d’analyse, où la prise de conscience de la société nouvelle se traduit par la création de types contemporains. Leonid M. Leonov* (né en 1899) peint dans Barsouki (les Blaireaux, 1924) les contradictions qui apparaissent entre les aspirations révolutionnaires de la paysannerie et l’ordre bolchevik. Fedor Vassilievitch Gladkov (1883-1958) décrit dans Tsement (le Ciment, 1925) les conflits psychologiques et moraux que l’édification d’une société nouvelle provoque en milieu ouvrier. Le personnage du révolutionnaire désenchanté, qui voit dans la NEP une revanche de la bourgeoisie et une défaite de la révolution, apparaît notamment dans le roman d’Ehrenbourg Rvatch (Rapace, 1925) et dans celui de Leonov Vor (le Voleur, 1927). Il se confond parfois avec celui de l’intellectuel petit-bourgeois, partagé entre son adhésion à l’idéal révolutionnaire et son attachement aux valeurs de l’individualisme traditionnel. Ce personnage, autoportrait critique du « compagnon de route », est au centre des romans de Fedine (Goroda i gody [les Cités et les années, 1924] et Bratia [les Frères, 1928]), des poèmes narratifs et des récits en prose de Pasternak (Spektorski, 1924-1930 ; Povest [le Récit, 1929]), des romans de Kaverine (Khoudojnik neïzvesten [Peintre inconnu, 1931]) et d’Aleksandr Gueorguievitch Malychkine (1890-1938). Le contraste entre l’assurance sans faille de l’homme nouveau et la mauvaise conscience de l’intellectuel est peint avec le plus de relief, d’acuité psychologique et d’ambiguïté tragique dans le roman controversé Zavist (l’Envie, 1927) de Iouri Kaplovitch Olecha (1899-1960).

Au théâtre, les représentations de masse des années de la guerre civile popularisent la recherche de formes scéniques nouvelles qui se poursuit au cours des années 1920 autour des metteurs en scène V. E. Meyerhold, I. B. Vakhtangov, A. I. Taïrov, N. P. Okhlopkov, tandis que K. S. Stanislavski fait sa rentrée en 1926, avec l’adaptation théâtrale de Bielaïa Gvardia de Boulgakov (sous le titre de Dni Tourbinykh [les Jours des Tourbine]). Le drame révolutionnaire évolue de la stylisation épique, qui marque encore en 1933 le chef-d’œuvre de Vsevolod Vitalievitch Vichnevski (1900-1951), Optimistitcheskaïa traguedia (la Tragédie optimiste), vers le réalisme psychologique, illustré par Konstantine Andreïevitch Trenev (1876-1945) dans Lioubov Iarovaïa (1926), et qui s’impose chez la plupart des jeunes dramaturges issus du « Proletkoult », comme Vladimir Mikhaïlovitch Kirchon (1902-1938), Aleksandr Nikolaïevitch Afinoguenov (1904-1941) ou Nikolaï Fedorovitch Pogodine (1900-1962). C’est surtout dans la comédie satirique que le répertoire s’enrichit, avec les pièces de Boulgakov (Zoïkina kvartira [l’Appartement de Zoïka, 1926], Bagrovyï ostrov [l’Île pourpre, 1929]), de Kataïev (Kvadratoura krouga [la Quadrature du cercle, 1928]) et de Nikolaï R. Erdman (Mandat [le Mandat], 1925). Les deux comédies de Maïakovski (Klop [la Punaise, 1929] ; Bania [les Bains, 1930]), mises en scène par Meyerhold, combinent l’invention scénique avec l’anticipation humoristique de l’avenir communiste et la peinture satirique des mœurs du présent.