Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

Au même moment, l’U. R. S. S., qui a pris conscience de l’importance de l’arme nucléaire, déploie un effort considérable pour s’en doter. La première bombe atomique soviétique annonce en 1949 la fin du monopole américain, mais il faudra plusieurs années encore avant que les forces de l’U. R. S. S. disposent d’armes atomiques opérationnelles et s’adaptent à leur emploi éventuel. Face à la menace de représailles massives du Strategic Air Command, le Kremlin doit se montrer prudent et ne pas heurter de front les intérêts américains. En Asie, la proclamation par Mao Zedong (Mao Tsö-tong) de la République populaire de Chine* (1er oct. 1949) est un succès pour le communisme mondial, mais aussi l’annonce pour Moscou d’une rivalité qui ne fera que s’aggraver malgré la signature du traité d’alliance sino-soviétique de février 1950. Au nord de la Chine, Moscou accorde son soutien à la Corée du Nord contre les États-Unis, et au sud à Hô Chi Minh* contre la France. En Europe apparaît en 1948 la première fissure du bloc stratégique socialiste avec la sécession de la Yougoslavie, compensée, il est vrai, en 1949, par la création de la République démocratique de l’Allemagne orientale.

Sur le plan militaire, cette période de l’immédiat après-guerre est marquée par une démobilisation partielle de l’immense armée rouge de 1945, qui prend en 1946 le nom d’armée soviétique. Au même moment s’exerce une efficace reprise en main du parti sur les forces armées. Elle est marquée notamment par le rétablissement en 1946 des commissaires ou officiers politiques (les zampolit) ainsi que par le détachement dans les unités d’agents du MVD ; elle s’accompagne de l’élimination des personnalités militaires trop voyantes, tel le maréchal Joukov* (relégué dans une fonction subalterne) au profit d’hommes du parti comme Nikolaï Aleksandrovitch Boulganine (1895-1975), promu maréchal et ministre des Forces armées de 1947 à 1949 et dont le successeur, le maréchal Aleksandr Mikhaïlovitch Vassilevski (né en 1895), prend en 1950 le titre de ministre de la Défense. La modernisation des forces est réalisée dans le cadre du IVe Plan quinquennal (1946-1950), dont un objectif est « le développement de la capacité de défense de l’U. R. S. S. et l’équipement de ses forces en matériels les plus modernes ». Ces efforts aboutissent, en dehors du domaine nucléaire, à la motorisation progressive de l’armée et à la mise en service en 1948 des premiers chasseurs (« Mig-15 ») et bombardiers (« Il-18 ») à réaction. Les chantiers navals sont remis en état au bénéfice quasi exclusif d’une marine militaire dont les premiers destroyers (type « Skory », 2 600 t) et croiseurs (type « Sverdlov », 20 000 t) d’après guerre apparaissent en 1950-1952.


1953-1962, de la guerre froide à la coexistence pacifique

Dans la politique de défense autant que sur le plan intérieur, la mort de Staline en mars 1953 est le point de départ d’une période de relative détente. Une de ses conséquences essentielles sera de libérer les esprits du dogmatisme stalinien, opération d’autant plus opportune que l’explosion, en août 1953, de la première bombe thermonucléaire soviétique conduira à une révision de cette politique et à une adaptation des forces aux conditions nouvelles de la stratégie. Cette mutation sera l’œuvre du maréchal Joukov, rappelé comme ministre de la Défense de 1955 à 1957, et assisté du maréchal Vassili Danilovitch Sokolovski (1897-1968), qui dirigera l’état-major général soviétique de 1953 à 1960. À l’armée d’effectifs de 1945 succèdent, dix ans plus tard, des forces plus réduites mais mieux structurées et mieux armées : l’armée de terre, perdant deux millions d’hommes de 1955 à 1961, est ramenée à 1 600 000 hommes, recrutés par un service militaire de trois ans, tandis que le nombre de ses divisions passe de 180 à 125, presque toutes motorisées ou mécanisées. Les premiers missiles tactiques nucléaires « Frog » apparaissent sur la place Rouge en 1957, année où la mise sur orbite du premier « Spoutnik » révèle aux Américains l’avance prise par l’U. R. S. S. dans le domaine des missiles stratégiques intercontinentaux (elle a permis à Khrouchtchev* de lancer le premier ultimatum nucléaire de l’U. R. S. S. lors de la crise israélo-arabe de 1956). Une arme des fusées (missiles) est créée sous forme autonome en 1960 et groupe l’ensemble des missiles stratégiques constituant la force de frappe de l’U. R. S. S. En 1961, Iouri Gagarine (1934-1968), à bord du premier « Vostok », confirme l’avance spatiale soviétique, tandis que sont reprises par Moscou les expérimentations thermonucléaires, interrompues depuis trois ans. En 1963 enfin paraît la Stratégie militaire, ouvrage dirigé par le maréchal Sokolovski, qui fait le point sur la doctrine nucléaire soviétique. Rejetant l’idée américaine d’une guerre limitée, le maréchal préconise la mise en œuvre immédiate de feux nucléaires puissants sur toute la profondeur du territoire de l’agresseur afin d’obtenir rapidement la décision et souligne la nécessité, pour l’U. R. S. S., de disposer de forces prêtes à tout instant à la riposte.

Au cours de cette période, les forces navales soviétiques connaissent un prodigieux essor, qui traduit la volonté de Moscou d’élargir à l’échelle mondiale le cadre, jusqu’ici continental, de sa stratégie. Cette expansion navale est poursuivie sous la direction de l’amiral Sergueï Gueorguievitch Gorchkov, mis à quarante-six ans à la tête de l’amirauté soviétique en 1956. Disposant en 1962 de 1 500 000 t de navires de moins de dix ans d’âge, la marine de l’U. R. S. S. devient la deuxième du monde, égale au quart de la marine américaine, mais au double de la britannique. Priorité est donnée à la flotte sous-marine (env. 350 unités), où apparaissent autour de 1960 les premiers sous-marins* lance-missiles à propulsion nucléaire.

Jouissant d’une popularité encombrante, le maréchal Joukov est brutalement congédié par Khrouchtchev en octobre 1957. Il est remplacé au ministère de la Défense par le maréchal Malinovski*, qui cède sa place de commandant des forces terrestres au maréchal Andreï Antonovitch Gretchko (1903-1976). Le départ de Joukov permet une nouvelle reprise en main du parti sur les armées, dont la très puissante « direction politique » passe du général Alekseï Sergueïevitch Jeltov (né en 1904) au général Filipp Ivanovitch Golikov (né en 1900) en 1958, puis en 1962 au général Alekseï Alekseïevitch Iepichev (né en 1908) représentants directs, auprès du ministre de la Défense, du secrétariat général du parti communiste et chefs de la hiérarchie parallèle des zampolit.