Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

urbanisation (suite)

Dans la mesure où les possibilités d’emploi dans le secteur agricole sont médiocres, soit qu’il y ait surpopulation rurale, soit que la prédominance de la grande propriété extensive décourage la majeure partie des jeunes, une part croissante du croît démographique se trouve dirigé vers les villes. Les seules qui offrent des avantages urbains véritables sont les plus importantes : la migration se fait directement des villages vers les grandes villes, dont la seule, dans beaucoup de pays, est la capitale.

L’urbanisation entraîne donc dans l’espace urbain des groupes hétérogènes : à côté des classes rompues à toutes les pratiques de la vie citadine, on voit s’entasser dans les bidonvilles des ruraux qui ne sont pour ainsi dire pas assimilés et qui gardent dans leur comportement l’héritage très lourd d’un passé de tradition. De plus en plus, les jeunes, scolarisés et le plus souvent politisés, constituent une nouvelle catégorie : idéologiquement, ils appartiennent déjà à la société nouvelle, mais celle-ci ne leur réserve aucune place, et leur formation les rend incapables, dans la plupart des cas, de suivre les voies traditionnelles d’intégration, par lesquelles les nouveaux venus apprenaient à se mouler dans le cadre d’une civilisation qui leur était étrangère, mais qui leur fournissait travail et modèle.

L’urbanisation des pays du tiers monde se fait à un rythme inégalé jusqu’ici : même dans l’Europe du xixe s., au moment de l’industrialisation forcenée, on n’a jamais vu la population des villes s’accroître au rythme de 6 ou 7 p. 100 par an, ce qui est devenu courant dans les petites nations, cependant que des taux de 5 p. 100 se rencontrent pour des pays de la dimension du Mexique ou du Brésil.

Dans le monde actuel, les espaces qui sont encore le moins marqués par le mouvement général d’urbanisation sont ceux de l’Afrique noire et de l’Asie de la mousson. Dans ce dernier domaine, les densités moyennes des régions rurales sont si élevées que la mutation sociologique peut se faire sans concentration générale de la population : c’est un peu en ce sens qu’il faut interpréter l’expérience chinoise de socialisme. En Afrique noire, où la population est généralement dispersée, on voit mal comment les mutations en cours pourraient se faire sans un bouleversement profond de l’organisation de l’espace. (V. ill. population.)

P. C.

➙ Agglomération urbaine / Ville.

 J. Beaujeu-Garnier et G. Chabot, Traité de géographie urbaine (A. Colin, 1964). / G. Breese, Urbonization in Newly Developing Countries (Englewood Cliffs, N. J., 1966). / K. Davis, World Urbanization, 1950-1970 (Berkeley, 1969-1972 ; 2 vol.). / M. Santos, les Villes du tiers monde (Génin, 1972). / J. Rémy et L. Voyé, la Ville et l’urbanisation (Duculot, Gembloux, 1974).

urbanisme

Science de la création et de l’aménagement des espaces urbains.


Histoire de l’urbanisme

Il en est de l’urbanisme comme de la prose : on en a toujours fait sans le savoir. Le concept est de création récente : la première utilisation du mot en langue française date de 1910, et son origine semble remonter à l’ouvrage d’Ildefonso Cerdá (1816-1876), l’urbaniste de Barcelone, Teoría general de la Urbanización y applicación de sus doctrinas a la reforma y ensanche de Barcelona (1867). Il n’en reste pas moins que l’urbanisme, en tant que pratique, remonte à la plus haute antiquité : Hippodamos de Milet, donnant les plans des villes grecques d’Asie Mineure au ve s. av. J.-C., était indiscutablement un urbaniste.

L’urbanisme, qui se définit comme une science, se distingue, par le fait même, de l’urbanisation* spontanée, produit des nécessités d’une situation, mais sans aucun contrôle ni de cette situation, ni de ses conséquences sur l’organisation de l’espace urbain (c’est ce qu’on appelerait aujourd’hui l’urbanisme sauvage).

L’urbanisme est donc un phénomène modérateur des appétits de puissance de certains groupes sociaux dans l’espace collectif de la ville. Il en était ainsi au Moyen Âge, lorsque le voyer, représentant de la communauté urbaine, faisait démolir par force les maisons empiétant sur l’espace de la rue. La pratique urbanistique se réduisait ici à la protection d’une certaine surface, assurant au cœur de villes extrêmement denses les échanges et les communications. Le contrôle de la collectivité sur les individus se bornait donc à la délimitation des sols (ce qu’est encore de nos jours le cadastre*), sans préjuger d’une utilisation plus ou moins abusive de la parcelle privée.


De l’urbanisme réglementaire à l’urbanisme planificateur

L’urbanisme classique, tel qu’il se définit à partir de la Renaissance et jusqu’à l’époque haussmannienne, a attaché une importance croissante à l’espace collectif et à son image, en développant le contrôle des façades : avec la réglementation de Versailles, sous Louis XIV, et surtout l’illustre « loi des bâtiments » d’Antoine Desgodets, au xviiie s., les règles de l’alignement sont étendues au plan vertical des façades, à leurs reliefs et à leur gabarit, voire même à leur ornementation qui, sans faire l’objet d’un ordonnancement absolument systématique, est néanmoins étroitement contrôlée (surtout à l’époque haussmannienne).

Avec la réglementation sur les servitudes de cours communes, qui se vulgarise dans la seconde moitié du xviiie s. (notamment pour le lotissement de la Halle-au-Blé, à Paris), apparaît la première tentative de contrôle de la puissance publique sur l’espace privatif des parcelles : la réglementation contemporaine ne fera que renforcer cette surveillance de la collectivité dans la double perspective d’un développement de l’hygiène (règles sur les dimensions d’ouvertures, les installations sanitaires, etc.) et d’une sécurité accrue contre les incendies ou les accidents (obligation d’accessibilité des façades, de cloisonnement des escaliers, systèmes anti-fumée, parois coupe-feu, etc.).