Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tyrol (suite)

En revanche, le luthéranisme ne trouva guère d’écho dans la population tyrolienne (pas plus que dans la Bavière voisine) ; à la différence de ce qui se passait dans le reste des provinces autrichiennes, le Tyrol fut toujours un bastion du catholicisme romain. L’accord profond de la population avec les Habsbourg date de cette époque, d’autant plus que ceux-ci flattèrent le particularisme du Tyrolien en créant à Innsbruck un gouvernement à peu près indépendant de celui de Vienne. En 1564 s’installait en effet un fils cadet de Ferdinand Ier, l’archiduc Ferdinand (1529-1595), qui avait reçu le Tyrol et l’Autriche antérieure en apanage. Il y créait un Conseil privé, une Chambre des comptes et un Conseil de la guerre. Lorsqu’en 1665, à la mort de l’archiduc Sigismond-François, le Tyrol revint à la branche aînée, l’empereur Léopold (1658-1705) prit soin de garantir les libertés du pays et y laissa un Conseil d’État ; par la suite, il y établit sa demi-sœur Eléonore (1653-1697) et son beau-frère Charles IV de Lorraine.

Au xviiie s., Marie-Thérèse* poursuivit une politique qui donnait satisfaction aux sujets comme au souverain. En particulier, les Tyroliens jouissaient de très grands privilèges fiscaux et ne contribuaient guère aux dépenses communes de la monarchie. Ce sont les guerres de l’Empire qui provoquèrent une crise politique grave. En 1805, au traité de Presbourg, l’Autriche, vaincue par Napoléon, dut céder le Tyrol au roi de Bavière, allié et client de la France. Ainsi le Brenner échapperait aux Autrichiens. Mais les Tyroliens supportèrent mal le gouvernement de Munich, beaucoup plus autoritaire et plus moderne que celui des Habsbourg. Très conservateurs, catholiques convaincus, ils étaient hostiles à toutes les nouveautés imposées par les français ou leurs alliés. Aussi devaient-ils profiter de la reprise de la guerre entre Vienne et Paris, en 1808, pour se rebeller contre la Bavière. L’âme de la résistance fut un jeune aubergiste, Andreas Hofer (1767-1810), qui, à trois reprises, se souleva contre les Franco-Bavarois. Capturé, il fut condamné à mort par un conseil de guerre et fusillé à Mantoue en 1810. Il devint le héros national, mais le traité de Schönbrunn (1809), qui consacrait la défaite autrichienne, confirma l’annexion bavaroise ; la région de Lienz était toutefois rattachée aux Provinces Illyriennes et celle de Trente au royaume d’Italie.

Il fallut attendre les traités de 1814-15 pour que le Tyrol redevînt partie intégrante de l’empire d’Autriche. Toutefois, les traités de Vienne contenaient le germe de difficultés ultérieures : au comté de Tyrol était rattaché l’évêché de Trente (attribué à l’Autriche de 1801 à 1805), qui, naguère autonome, était une province de culture et de langue italiennes. Ainsi naquit au Tyrol l’irrédentisme italien, qui prit des proportions inquiétantes après la réalisation de l’unité italienne. Certes, l’administration autrichienne respectait l’autonomie culturelle du groupe italien (l’homme d’État italien A. De Gasperi* fut, dès 1911, député du Trentin au Reichsrat de Vienne), mais c’était fournir un argument de poids au gouvernement de Rome, qui réclamait toutes les terres italiennes. Le reste de la province, en dépit de la construction des chemins de fer au cours des années 1850 et 1860 (ligne de l’Arlberg, de Zurich à Vienne par la haute vallée de l’Inn et ligne transalpine du Brenner reliant Munich à Vérone), demeura un secteur rural, conservateur, très à l’écart des grands courants du siècle ; Innsbruck avait servi de refuge à l’empereur Ferdinand Ier (1835-1848) et à sa cour, chassés par la révolution viennoise de 1848.

Aussi l’effondrement de la monarchie et le partage du pays entre la République autrichienne et le royaume d’Italie éclatèrent-ils comme un coup de tonnerre. Dès la déclaration de guerre, le gouvernement de Rome avait négocié avec les deux camps pour se faire payer son concours au plus offrant. Vienne promit le Trentin et rien d’autre ; les Alliés offrirent tout le Tyrol méridional jusqu’au Brenner, pour des raisons stratégiques, promesse qui fut ratifiée par le traité de Londres de 1915, base de toutes les revendications ultérieures de l’Italie. En 1918, celle-ci réclama non seulement le Trentin, mais la province de Bolzano (Bozen), qui, en 1910, était peuplée de 215 000 Allemands contre 16 500 Italiens et 6 000 Ladins (analogues aux Romanches de la Confédération helvétique). C’était évidemment contraire aux quatorze points de Wilson. Néanmoins, par le traité de Saint-Germain en 1919, la République autrichienne dut céder à l’Italie la province de Bolzano. Les Tyroliens, mécontents, avaient songé un instant à se rattacher à l’Allemagne, mais les Alliés s’y opposèrent formellement. Ainsi était posée la question du Tyrol méridional (appelé pudiquement par les Italiens Haut-Adige), qui n’est toujours pas résolue aujourd’hui. D’autre part, les Tyroliens se sentaient mal à l’aise dans une République autrichienne dominée par « Vienne la rouge » ; c’est pourquoi ils contribuèrent à faire adopter une constitution de type fédéral, qui leur garantissait une certaine autonomie par rapport au centralisme viennois.

À partir de 1922, les minorités allemandes de la province de Bolzano furent vraiment opprimées. Aucun traité ne liait l’Italie quant à la protection des minorités, et Mussolini s’engagea résolument dans une politique d’italianisation du pays en imposant l’enseignement de l’italien, en plaçant des fonctionnaires italiens et surtout en implantant dans les villes des Italiens venus du Mezzogiorno. L’alliance germano-italienne, à partir de 1936, ne contribua guère à améliorer le sort de la population germanophone. Hitler sacrifia les Tyroliens à l’alliance dont il avait besoin, et l’accord du 21 octobre 1939 ne fut qu’un progrès apparent : les habitants du Tyrol méridional devaient opter définitivement pour la citoyenneté italienne ou la citoyenneté allemande. Dans ce dernier cas, ils devaient déménager ; en fait, l’accord avait pour but de vider le pays de sa minorité allemande. Environ 70 000 germanophones quittèrent le pays ; quant au Tyrol septentrional, il fut, en 1938, annexé au Reich allemand, comme le reste de l’Autriche.