Turquie (suite)
L’époque classique ottomane, pour grande qu’elle soit, ne tient pas toutes les promesses du xve s. En ce temps d’exceptionnel humanisme, les Turcs ont interrogé le monde entier et ont paru capables de tout assimiler. L’Album du conquérant (musée de Topkapı), collection de dessins et de peintures sous influences chinoises, centre-asiatiques, iraniennes ou italiennes, rend bien compte de la curiosité intellectuelle qui les anime (œuvres de Nakkaş Sinan Bey, et d’Abdal Musa). Ce sont pourtant les œuvres de Mehmed Siyahkalem (Danse des chamans noirs, Derviches, Camp de nomades), réalistes ou surréalistes, aussi éloignées que possible de ce que nous croyons être la peinture islamique, qui nous permettent de mieux la mesurer.
Au xvie et au xviie s., pour les tapis, pour les céramiques (école d’Iznik), pour les tissus, pour la peinture de manuscrits (Nigârî, 1492-1582), les Turcs ont fait retour à l’Orient. Leur art s’enferme presque aussi étroitement que s’enferment les princes dans le magnifique palais de Topkapı, véritable anthologie de l’architecture palatiale du xve au xixe s. (salle d’audience, xve s. ; cuisines, xvie s. ; kiosque de Bagdad, xviie s. ; chambre d’Ahmet III, xviiie s. ; nouveau kiosque, xixe s).
La décadence
À partir du xviiie s., l’appauvrissement du pays et l’ouverture à l’Europe amènent la décadence de l’art turc. La lenteur de l’évolution peut, pendant un temps, faire illusion et laisser espérer la naissance d’un style nouveau : il y a encore de grandes beautés et un sens créateur réel dans les peintures d’Abdülcelil Levnî († 1732) ou dans la mosquée Nuruosmaniye d’Istanbul (1748-1755). Mais, quand, dès cette époque, le baroque trouve droit de cité en Turquie, il n’est plus possible de douter que l’art islamique est à la veille de disparaître. Il donnera encore quelques œuvres intéressantes, soit en recopiant simplement, mais avec talent, ce qui fut fait avant (mosquée de Bebek, sur le Bosphore), soit en mêlant de façon quelque peu choquante les éléments européens et musulmans (mausolée de Nakşıdil Sultan à Istanbul, 1817 ; mosquée Aziziye de Konya, 1874).
Aujourd’hui, l’artisanat lui-même est bien déchu. Les céramiques de Kütahya sont de valeur nulle en comparaison de celles d’Iznik. L’art des tapis est toujours florissant, mais bien des ateliers imitent les dessins européens. On trouve encore de bons tisserands et dinandiers. Quant à l’architecture religieuse, elle est incapable de se renouveler, et les mosquées « ottomanes » en béton finissent par porter préjudice à celles qu’elles imitent sans aucun talent.
L’architecture civile, après un essai de panislamisme et de style néo-musulman, est devenue de style international. De même se rattachent aux courants internationaux les arts plastiques de conception occidentale (peinture, sculpture...), introduits en Turquie dans la seconde moitié du xixe s. et qu’animent aujourd’hui de nombreux artistes des grands centres urbains.
J.-P. R.
➙ Brousse / Islām / Istanbul / Sinan.
A. Gabriel, Monuments turcs d’Anatolie (De Boccard, 1933-34, 2 vol.) ; Voyages archéologiques dans la Turquie orientale (De Boccard, 1942). / C. E. Arseven, l’Art turc depuis son origine jusqu’à nos jours (Istanbul, 1942) ; les Arts décoratifs turcs (Istanbul, 1952). / B. Ünsal, Turkish Islamic Architecture in Seljuk and Ottoman Times, 1071-1913 (Londres, 1959). / S. K. Yetkin, l’Architecture turque en Turquie (G.-P. Maisonneuve et Larose, 1962) ; l’Ancienne Peinture turque du xiie au xviiie siècle (Klincksieck, 1970). / O. Aslanapa, Turkish Art and Architecture (Londres, 1971). / A. Goodwin, A History of Ottoman Architecture (Baltimore, 1971). / F. Roiter et F. Stark, Turquie (Atlantis, Zurich, 1971).